Les coupes budgétaires de Trump vont nuire à l’Afrique du Sud et à la région
Bien que Ramaphosa en minimise l’impact potentiel, l’Afrique du Sud et le continent sont en grand danger.
Publié le 06 février 2025 dans
ISS Today
Par
Kelly E Stone
consultante principale, Justice et prévention de la violence, ISS Pretoria
Donald Trump, le président américain, a déclaré sur Truth Social, il y a quatre jours vouloir « suspendre tout financement à l’Afrique du Sud » jusqu’à la conclusion d’une enquête sur la Loi sur l’expropriation foncière. Il a qualifié cette loi de « violation massive des droits de l’homme » et a accusé à tort le gouvernement sud-africain de « confisquer des terres et de maltraiter certaines catégories de personnes ».
Les affirmations de Trump ont été réfutées par les responsables gouvernementaux et les organisations de la société civile du pays, à l’exception d’AfriForum, qui serait à l’origine de la campagne de désinformation de Trump contre l’Afrique du Sud. La loi sur l’expropriation foncière, à l’instar de la loi américaine sur l’expropriation, autorise le gouvernement à acquérir des terres privées pour un usage public, à condition de rémunérer équitablement les propriétaires.
La réponse du président sud-africain Cyril Ramaphosa était mesurée. Il a déclaré que l’Afrique du Sud était une « démocratie constitutionnelle attachée à l’état de droit, à la justice et à l’égalité ». Et qu’en dehors de l’aide reçue dans le cadre du PEPFAR (le Plan présidentiel d’aide d’urgence à la lutte contre le sida), qui représente 17 % du programme national de lutte contre le VIH/Sida, « les États-Unis n’ont pas accordé d’autre financement important à son pays ».
Malgré les efforts de Ramaphosa pour apaiser les inquiétudes du peuple quant à la perte potentielle des financements américains, la réalité est tout autre.
En 2024, les États-Unis ont accordé 453 millions de dollars (8,5 milliards de rands) en financement direct à l’Afrique du Sud en vertu du PEPFAR, avec une projection de 439 millions de dollars (8,2 milliards de rands) pour l’année 2025.
En 2024, les États-Unis ont fourni 453 millions de dollars à l’Afrique du Sud dans le cadre du PEPFAR
En outre, l’Agence américaine pour le développement international (USAID) a investi près de 60 millions de dollars dans des initiatives visant à lutter contre le changement climatique, à promouvoir l’égalité des sexes, à prévenir la violence au sein des communautés et à défendre les principes démocratiques. Ce montant est loin d’être négligeable pour les nombreuses organisations non gouvernementales sud-africaines qui dépendent des bailleurs internationaux, dont l’USAID est un acteur majeur.
Le 4 février, John Steenhuisen, leader de l’Alliance démocratique –principal parti historique d’opposition en Afrique du Sud et membre du Gouvernement d’unité nationale (GNU) depuis 2024 – a exprimé ce sentiment d’inquiétude. Il a déclaré qu’il serait « tragique » que l’Afrique du Sud perde ces financements et que le GNU dialoguerait avec Trump pour clarifier la situation.
La décision de suspendre ces fonds intervient une semaine seulement après que Trump a annoncé le gel de toutes les aides étrangères. Le monde est encore aux prises avec les répercussions de cette déclaration, surtout pour les pays africains qui dépendent de ce soutien depuis des décennies. Cette crise est aggravée par le démantèlement éclair de l’agence USAID durant le week-end.
Bien qu’un tribunal fédéral américain a temporairement bloqué le gel la semaine dernière, Trump tente d’outrepasser son pouvoir exécutif. Il a fait appel à Elon Musk pour éliminer toutes les dépenses « inutiles » du gouvernement fédéral.
Au cours du week-end, deux hauts responsables de la sécurité d’USAID ont été mis en congé administratif pour avoir refusé l’accès aux systèmes informatiques à des membres du nouveau ministère de l’Efficacité gouvernementale (ministère non officiel du gouvernement américain) tenu par Musk.
En 2022, tous les pays africains ont reçu une aide américaine, allant de 125 à 500 millions de dollars
Peu après, le site web d’USAID a été mis hors ligne. Lundi, le siège d’USAID à Washington était fermé et selon CNN, Musk avait déclaré que l’agence était une « organisation criminelle [...] irrécupérable » qui devait être « fermée ».
Trump et Musk considèrent les formes d’aide vitale – non seulement pour l’Afrique du Sud mais aussi pour le reste du monde – comme des dépenses inutiles.
Malgré les préoccupations liées aux conséquences de la réélection de Trump pour l’Afrique du Sud, dans un contexte mondial de montée de l’autoritarisme et de recul des droits humains, personne n’aurait imaginé que l’Afrique du Sud serait visée. Encore moins que les États-Unis supprimeraient complètement leur financement, pas même les rédacteurs du controversé « Project 2025 » de l’extrême droite américaine.
Trump n’a pas visité l’Afrique durant son premier mandat et ses déclarations désobligeantes concernant le continent, son ignorance des réalités sud-africaines et africaines n’ont rien de surprenant.
Le désintérêt de Trump pour l’Afrique est souligné par un bulletin publié dimanche par le nouveau Secrétaire d’État Marco Rubio. Intitulé « Bringing U.S. Foreign Policy Home : Advancing American Interests First », le bulletin parle de construire « un hémisphère occidental prospère » en favorisant les relations des États-Unis avec l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud au détriment de l’Afrique et du reste du monde.
Ce retrait d’Afrique laissera un vide qui va compromettre la sécurité des Américains dans le monde
Quel impact pour l’Afrique ?
Selon les données d’USAID et du département d’État américain pour 2022, tous les pays africains ont reçu de l’aide américaine sous différentes formes, allant de 125 à 500 millions de dollars. Un retrait total ou partiel entraverait le progrès économique et aggraverait la pauvreté et les crises humanitaires.
Les États-Unis ont offert une assistance financière et technique aux pays confrontés à des problèmes de sécurité croissants. En 2024, les programmes de soutien à la démocratie, aux droits humains, à la gouvernance et à la sécurité représentaient 10 % du programme d’aide à l’Afrique de 8 milliards de dollars proposé par USAID. Les principaux bénéficiaires de l’aide non-humanitaire sont le Nigeria (622 millions de dollars), le Mozambique (564 millions de dollars), la Tanzanie (560 millions de dollars), l’Ouganda (559 millions de dollars) et le Kenya (512 millions de dollars).
L’interruption de ce financement augmente le risque de violations des droits humains et de méfiance des citoyens à l’égard de leurs gouvernements, et expose les pays à la montée de l’extrémisme violent. Les groupes terroristes exploitent le mécontentement des citoyens, les abus des forces de sécurité, la pauvreté et l’exclusion comme outils de recrutement. Les conséquences potentielles sont alarmantes, notamment dans les pays d’Afrique de l’Ouest, en Somalie et au Mozambique, où les groupes extrémistes sont à l’origine d’une violence généralisée.
Quel impact pour les États-Unis ?
Un retrait américain partiel ou total de l’Afrique laisserait un vide important, permettant à des puissances autoritaires comme la Chine et la Russie – qui accroissent déjà leur influence sur le continent – d’étendre leur champ d’action. Les États-Unis auront un accès restreint aux marchés émergents et perdront des opportunités commerciales dans une région prospère. En outre, cela favoriserait le développement de politiques allant à l’encontre des intérêts américains.
Ce retrait pourrait également accroître les risques pour la sécurité des États-Unis, créer un vide que les insurgés pourraient exploiter et compromettre la sécurité des Américains dans le monde. Les retombées d’une diminution l’aide en santé publique et humanitaire alimenteraient le sentiment d’abandon et détérioreraient les relations diplomatiques à long terme.
Nombre de ces risques vont à l’encontre des intérêts des États-Unis, surtout si l’on considère la menace terroriste persistante en Somalie, où al-Chebab renforce ses liens avec les Houthis au Yémen.
Le retrait des États-Unis en Afrique mettrait un terme à des initiatives de développement vitales, exacerberait l’instabilité et la pauvreté et perturberait les alignements géopolitiques. La capacité de l’Amérique à promouvoir la démocratie et les droits de l’homme serait affaiblie ainsi que son influence en Afrique et sa position dans le monde.
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