Les BRICS+ et le fragile équilibre géopolitique mondial

Les BRICS élargis vont-ils donner jour à un nouvel ordre international ou s’effondrer sous le poids de leurs contradictions internes ?

Les mots du poète persan Djalâl ad-Dîn Rûmî du 13siècle, « Dès que tu avances sur le chemin, le chemin apparaît », ont certainement trouvé un nouvel écho à Johannesburg lors du 15e Sommet des BRICS.

Outre l’élargissement du club diplomatique à l’Iran, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, ce Sommet a mis au jour la désillusion croissante des pays du Sud global à l’égard de la structure actuelle du système international.

Ces frustrations renforcent l’attrait pour les BRICS, perçus comme un contrepoids aux grands pays occidentaux, tels que ceux qui composent le G7. Plus important encore, l’élargissement des BRICS sonne le ralliement des pays du Sud global pour une réforme du système international, à l’exclusion des puissances occidentales, voire en opposition à celles-ci.

Ce mouvement sans précédent reflète le déplacement du centre du pouvoir mondial et pousse les BRICS élargis à se frayer un chemin en terrain inconnu.

Les décisions relatives à la nature et à la trajectoire de l’ordre mondial étaient autrefois l’apanage des « grandes » puissances européennes et des États-Unis. Le système international contemporain sera sans aucun doute façonné par la région Asie-Pacifique, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Amérique latine.

Sans évolution des institutions, la coopération internationale ne pourra qu’échouer sur les questions pressantes

Si les institutions mondiales ne parviennent pas à évoluer et à s’adapter à cette réalité, la coopération internationale sur les questions les plus pressantes de notre époque échouera inévitablement. En théorie, il s’agit là du défi fondamental que les BRICS entendent relever afin d’instaurer un « ordre international plus représentatif et plus équitable, [et] un système multilatéral réformé ».

Mais en pratique, les moyens d’y parvenir ne sont pas clairement définis.

Une approche probable consiste à utiliser le poids économique combiné du groupe pour obtenir des réformes mondiales en matière de gouvernance, de systèmes financiers et judiciaires, et des voies alternatives sur des questions spécifiques telles que le changement climatique.

D’ores et déjà, la production économique collective des États des BRICS (sur la base du PIB ajusté en parité du pouvoir d’achat) dépasse d’environ 3 000 milliards de dollars américains celle du G7, qui comprend le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, les États-Unis et le Royaume-Uni (en tant que membre non recensé, l’Union européenne est exclue de ce calcul).

Avec les six nouveaux membres des BRICS en 2024, cette différence s’élève à un peu moins de 11 000 milliards de dollars américains. Cependant, la production économique mesurée par le PIB sur la base des taux de change courants fait du G7 l’économie combinée la plus importante (même avec les six nouveaux membres des BRICS).

Agir de manière coordonnée en cas de problème pourrait se révéler plus complexe pour les BRICS que pour le G7

Quoi qu’il en soit, les pays du Sud sont de plus en plus en mesure de contester la domination économique des puissances traditionnelles. De plus, si l’on se base sur les trajectoires de croissance actuelles des pays du Sud, ils surpasseront résolument les économies du G7 au cours des prochaines décennies.

Cette influence économique combinée pourrait contribuer à assurer une meilleure représentation et une règlementation plus équitable au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, de la Cour pénale internationale, de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, qui ont été cités dans la Déclaration de Johannesburg II des BRICS.

Toutefois, il pourrait se révéler plus difficile pour les BRICS élargis que pour le G7 de se coordonner sur une action commune sur des points de discorde spécifiques.

Les pays du G7 ont structuré leur coopération sur les questions mondiales autour de valeurs et de normes politiques libérales communes, notamment en matière de démocratie et de libertés civiles. Bien que ces valeurs soient menacées depuis quelques années par la montée des régimes populistes de droite, c’est cet important alignement normatif et politique des membres du G7 qui est à la base de leur puissance économique mondiale.

Le groupe élargi des BRICS, en revanche, est une constellation plus arbitraire d’États aux systèmes politiques et aux valeurs très différents (et parfois diamétralement opposés). Il s’agit tant de démocraties constitutionnelles progressistes que de théocraties fermées et répressives, voire de pays expérimentant l’autoritarisme hybride.

Paradoxalement, les BRICS ont peut-être le vent en poupe en raison de leur ambiguïté et du manque de clarté de leur vision

On relève des données extrêmement variables lorsqu’on analyse les diverses tendances de gouvernance dans les pays membres, notamment la perception de la stabilité politique, l’état de droit, l’efficacité du gouvernement et les libertés fondamentales. Pour chacune de ces variables, l’écart-type par rapport à la moyenne est souvent plus de deux fois supérieur à celui des pays du G7.

Cela soulève l’épineuse question de la capacité des BRICS à mener une action cohérente et coordonnée sur la réforme institutionnelle mondiale, même si ses membres s’accordent à dire que le système international est structuré de manière injuste. Sans base normative solide pour la coopération, les désaccords sur des questions telles que l’égalité des sexes, les droits et libertés individuels et la définition d’un nouvel ordre international pourraient  entraver l’élan nécessaire à un changement significatif.

Paradoxalement, les BRICS pourraient bien être en pleine ascension en raison de leur ambiguïté et de leur vision plutôt vague de la multipolarité et d’un système international réformé. Toutefois, à mesure que le groupe s’élargit et devient plus concret, il va devenir de plus en plus difficile d’écarter les questions contentieuses.

Par exemple, comment chacun des membres justifie-t-il les dispositions de la Déclaration de Johannesburg II sur le respect du droit humanitaire international dans les situations de conflit, la participation accrue des femmes aux processus de paix, la promotion et la protection de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous ?

La conciliation de ces dispositions avec les violations flagrantes commises par certains membres actuels et futurs des BRICS mettra à l’épreuve le courage du club diplomatique. Ces contradictions doivent être surmontées pour que les BRICS puissent rassembler non seulement leur poids économique, mais aussi le capital moral et politique nécessaire pour poursuivre les réformes et servir de contrepoids au G7.

La sagesse de Rûmî est toujours d’actualité, mais alors que le groupe élargi des BRICS se dirige vers un nouvel ordre mondial, le chemin à parcourir pourrait s'avérer plus obscur que prévu.

Priyal Singh, chercheur principal, L’Afrique dans le monde, ISS Pretoria

Image : © Amelia Broodryk/ISS

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