L’eco de l’Afrique de l’Ouest n’est pas freiné uniquement par l’économie
Officiellement, ce ne sont pas les profondes divisions politiques qui sont à l’origine du nouveau retard dans le lancement de la monnaie commune.
Publié le 20 novembre 2020 dans
ISS Today
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L’eco, le projet de monnaie unique pour les membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), devait être lancé en 2020. En septembre, le président ivoirien Alassane Ouattara a indiqué que son lancement pourrait être retardé de trois à cinq ans en raison de la pandémie de COVID-19. Cette annonce a été faite quelques jours après que les dirigeants de la CEDEAO ont évoqué un report du projet lors de leur Sommet, également en septembre dernier.
L’échec du lancement de l’eco en juillet 2020 constitue la cinquième tentative en une vingtaine d’années. Cette fois, il n’y a pas de nouvelle date et, à la place, des discussions sont en cours sur une nouvelle feuille de route. Les projets régionaux tels que l’eco de l’Afrique de l’Ouest sont essentiels à une meilleure intégration économique, un enjeu crucial au moment du lancement, le 1er janvier 2021, de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
Officiellement, les raisons de ce retard sont principalement économiques, les États membres ne sont pas en mesure de satisfaire aux critères de convergence pour le lancement de la monnaie unique. Il s’agit notamment de l’inflation, du ratio dette/PIB, du déficit budgétaire et de son financement, des réserves et de la stabilité du taux de change. Or, même en surmontant ces obstacles, cette monnaie ne pourra certainement pas prendre son envol en raison de problèmes politiques.
Le premier défi à relever, pour l’éco, est celui de l’inclusion du Nigeria, la première économie de la région. Ce pays représente 65 % du Produit intérieur brut (PIB) de la région et environ 50 % de sa population totale. Il est également l’un des deux seuls exportateurs nets de pétrole de la région. Cela signifie qu’il est sujet à une détérioration des termes de l’échange qui nécessite de mettre en place une politique monétaire spécifique qui sera défavorable aux autres pays membres.
Le lancement de l’eco en juillet 2020 a échoué pour la cinquième fois en vingt ans
Il ne s’agit pas là d’un problème insurmontable, mais d’aucuns s’inquiètent à juste titre de l’indiscipline budgétaire passée du Nigeria et du manque d’indépendance de sa banque centrale, compliquant ainsi la tâche d’une banque centrale régionale.
L’inclusion du Nigeria dans la monnaie unique nécessitera quelques innovations. En tant que contributeur principal au budget de la CEDEAO, le Nigeria dispose d’un pouvoir politique important dans la région. C’est probablement le recoupement des intérêts économiques et politiques qui explique le manque d’appétit des États de la région pour exclure le Nigeria de l’eco ou du moins pour mettre en lumière les problèmes que pose l’intégration de ce pays pour le projet.
L’eco est aussi affectée par d’autres dimensions politiques. En effet, il existe déjà une monnaie commune en Afrique de l’Ouest, le franc CFA. Créé en 1945 pour les colonies françaises, le franc CFA a été maintenu en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale après les indépendances. Le franc CFA est actuellement la monnaie de huit pays d’Afrique de l’Ouest et de la Guinée-Bissau, seul pays membre qui n’est pas une ancienne colonie française.
Il y a des débats concernant ses avantages économiques, mais ce sont les implications politiques du franc CFA qui sont encore plus controversées. Largement considérée comme un vestige gênant du colonialisme français en raison du rôle du Trésor public français dans sa gestion, cette monnaie s’est récemment trouvée sous le feu de critiques croissantes de la part d’universitaires et de militants.
Le bloc francophone d’Afrique de l’Ouest est accusé d’avoir détourné le projet de monnaie commune
C’est dans ce contexte que M. Ouattara et le président français Emmanuel Macron ont annoncé en décembre 2019 que le franc CFA serait remplacé par l’eco, ce qui a suscité une controverse. En effet, cette annonce indiquait que l’eco demeurerait arrimé à l’euro et que les conditions de la garantie du Trésor français seraient similaires à celle du franc CFA.
Les pays anglophones d’Afrique de l’Ouest ont publié un communiqué commun condamnant cette initiative. Le président du Nigeria, Muhammadu Buhari, a commenté directement la décision sur Twitter. Le bloc francophone a été accusé de détourner le projet de monnaie commune. Le Nigeria se trouve dans une position qui lui est familière, étant donné que sa politique régionale en Afrique de l’Ouest a longtemps été motivée par la nécessité de contrer l’influence de la France dans la région.
L’alignement historique de l’élite politique d’Afrique de l’Ouest francophone sur le gouvernement français et les soupçons que cette relation crée dans le bloc anglophone sont un obstacle au lancement de l’eco. Le jeu de pouvoir apparent entre les deux plus grandes économies de la région, le Nigeria et la Côte d’Ivoire, contribue d’autant plus à l’enlisement. Le Ghana s’est rallié à l’annonce de Ouattara dans un premier temps, mais a ensuite rejoint le bloc anglophone et sa condamnation de l’annonce.
L’impasse dans laquelle se trouve l’eco depuis des décennies nuit à la région. Des investissements importants ont été réalisés pour établir cette monnaie, avec la création d’au moins deux agences dédiées à cette tâche, à savoir l’Institut monétaire d’Afrique de l’Ouest et l’Agence monétaire d’Afrique de l’Ouest. Chaque report du lancement de la monnaie unique signifie l’augmentation du coût financier de l’entretien de ces agences.
Pour avancer, les dirigeants ouest-africains doivent faire part de leurs réserves concernant l’éco
Les messages contradictoires concernant une monnaie commune ont engendré une certaine incertitude politique, entravant la capacité de planification des banques centrales. La Banque du Ghana, par exemple, a introduit de nouveaux billets de banque en 2019, malgré son engagement à rejoindre l’éco. Peu de pays de la région possèdent un plan clair pour faire la transition vers une nouvelle monnaie.
Le fait d’annoncer et de manquer régulièrement la date de lancement de cette devise n’est pas pour rassurer les partenaires commerciaux et financiers internationaux, ni les investisseurs étrangers. Cela crée également une incertitude pour les efforts d’intégration tels que la ZLECAf, qui s’appuie sur des organisations régionales telle que la CEDEAO pour mettre en œuvre cet accord commercial.
Pour avancer sur la question de l’eco, les dirigeants des pays de l’Afrique de l’Ouest doivent faire part de leurs réserves sur la monnaie afin qu’une position claire sur la manière de procéder puisse être définie. Il pourrait notamment s’agir d’une suspension du projet pour une période indéterminée, ou d’une refonte radicale qui produise un résultat économiquement faisable et politiquement souhaitable.
L’autre possibilité consiste à repenser l’inclusion du Nigeria, pour le meilleur ou pour le pire. Il faut sortir de la coûteuse impasse dans laquelle se trouve l’eco et voir si la nouvelle feuille de route prendra en compte ces réalités.
Teniola Tayo, chargée de recherche, Programme Bassin du lac Tchad, ISS Dakar
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