Le référendum constitutionnel au Tchad peut-il encore aboutir ?

Les opposants au processus de transition prévoient de boycotter le vote du 17 décembre sur la création d’un État unitaire ou fédéraliste.

Depuis le décès du président Idriss Déby Itno en mai 2021, le Tchad est entré dans une transition dirigée par son fils, le général Mahamat Idriss Déby. Cette transition comporte trois étapes : un dialogue national, l’adoption d’une nouvelle constitution et des élections. Les deux premières ont déjà engendré de profondes divergences politiques, mettant en péril le consensus autour de l’ensemble du processus de transition.

Le 17 décembre, les Tchadiens seront appelés aux urnes pour trancher le débat non résolu sur la forme de l’État, une recommandation du dialogue national inclusif et souverain. Les participants étaient partagés entre un État unitaire décentralisé et un État fédéral. Des divisions persistent sur le contenu de la constitution proposée et sur le processus lui-même.

Le processus de transition a officiellement débuté le 12 janvier, lorsque le gouvernement a mis en place une Commission nationale pour l’organisation du référendum constitutionnel (CONOREC) et un comité chargé de rédiger la nouvelle constitution. De juillet à octobre, la CONOREC a procédé à un recensement électoral dans les provinces du pays et de ses ressortissants à l’étranger.

La formulation de la question posée aux électeurs et la conception des bulletins de vote, y compris les couleurs et les caractéristiques, ont été détaillées dans un décret publié le 31 octobre. Un autre décret convoquant le corps électoral a été publié le 7 novembre. La CONOREC a annoncé la campagne électorale pour le référendum, qui aura lieu du 25 novembre au 15 décembre.

Des divisions persistent sur le contenu de la constitution soumise au vote le 17 décembre

Deux grandes tendances se dégagent. D’un côté, les protagonistes de la transition, l’ancien parti au pouvoir, le Mouvement patriotique du salut (MPS), les acteurs politiques du gouvernement de transition et les signataires politico-militaires de l’Accord de Doha. De l’autre, les opposants à la conduite des processus de transition et de référendum.

Le premier camp plaide en faveur d’un État unitaire décentralisé et craint qu’une fédération ne sème la division dans un pays déjà fragmenté. Le Premier ministre de transition, Saleh Kebzabo, est à la tête d’une large coalition rassemblant toutes les sensibilités au sein du gouvernement. Cette coalition rejoint l’alliance des partis politiques et des acteurs de la société civile menée par le MPS.

Dans le camp d’en face, on trouve les opposants à la transition, notamment des acteurs politiques radicaux tels que Les Transformateurs, dirigés par Succès Masra, et le Parti socialiste sans frontières, dirigé par Yaya Dillo Djerou Betchi. Les autres partis et groupes d’opposition comprennent le Bloc fédéral, la Plateforme républicaine, le Groupe de concertation des acteurs politiques (GCAP), le Rassemblement national des démocrates tchadiens, les politico-militaires qui n’ont pas signé l’accord de Doha, et les acteurs de la société civile tels que Wakit Tama.

Ceux-ci estiment que l’État unitaire tchadien, en place depuis l’indépendance, n’a pas réussi à sortir le pays de l’ornière, d’où la nécessité d’une fédération qui permettrait un développement plus autonome des territoires.

L’adoption forcée d’une constitution à travers un processus partial et exclusif serait néfaste

Les Transformateurs, critiques du processus de transition et du référendum, ont assoupli leur position depuis la signature de l’accord avec le gouvernement à Kinshasa le 31 octobre. Conformément à cet accord, Masra s’est engagé à œuvrer pour un retour à l’ordre constitutionnel dans le calme, dans le délai fixé par le gouvernement. Les Transformateurs estiment que le texte proposé serait meilleur que la Constitution suspendue après la mort de Déby, tout en reconnaissant ses lacunes.

Selon les opposants au référendum, le processus de transition privilégie l’État unitaire sans possibilité de choix. Malgré les recommandations du dialogue national en faveur d’un référendum préalable sur la forme de l’État, la CONOREC propose une constitution qui consacre exclusivement l’État unitaire.

Les opposants au référendum affirment que l’absence de participation de tous les acteurs politiques et de la société civile au processus compromet la neutralité de la CONOREC. La Commission, dirigée par le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Bonne gouvernance, aux côtés de membres de l’ancien parti au pouvoir, est considérée comme étant sous l’emprise du gouvernement. Ce qui contredit l’article 7 de la Charte de la transition, qui exige la neutralité de l’organe chargé de diriger le processus référendaire.

Parmi les partisans d’un boycott total du référendum figure Albert Pahimi Padacké, ancien premier ministre de transition et président du Rassemblement national des démocrates tchadiens, ainsi que le Bloc fédéral. Le GCAP et la Plateforme républicaine sont également partisans d’un vote contre la constitution.

Le gouvernement tchadien doit sensibiliser l’opinion publique aux enjeux du processus de transition

Le Tchad s’engage dans un processus controversé, risquant une finalisation insatisfaisante de deux des trois étapes de la transition, à savoir le dialogue national et une nouvelle constitution. De plus, des troubles sociaux potentiels pourraient être réprimés par les forces de sécurité, comme le 20 octobre dernier, lors de manifestations contre la prolongation de la transition de 24 mois et la remise en question de l’éligibilité des autorités de transition.

La nouvelle constitution est la clé de voûte de l’avenir politique du pays. Son contenu ainsi que la manière dont elle est élaborée, présentée au peuple et adoptée doivent au moins être gérés de manière inclusive et faire l’objet d’un débat ouvert. Une constitution adoptée de force par un processus partial et exclusif serait de mauvais augure pour l’avenir du Tchad.

Le gouvernement doit utiliser le temps qui lui reste pour sensibiliser l’opinion publique aux enjeux du processus en cours. Engager des discussions pour sauver la situation avant le 17 décembre est crucial. Il est essentiel d’explorer toutes les options, y compris un éventuel report du référendum, pour rétablir un processus plus pacifique et plus inclusif, avec le risque de bouleverser le calendrier général de la transition.

La Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) a désigné le président congolais Félix Tshisekedi comme facilitateur au Tchad. Ses actions ont permis le retour au pays de certains opposants politiques en exil après les événements du 20 octobre. Tshisekedi pourrait à présent tenter de rapprocher les parties. L’Union africaine, qui suit activement la situation par l’intermédiaire de son Conseil de paix et de sécurité et de son envoyé spécial à N’Djamena, doit également se joindre aux efforts de médiation de la CEEAC.

Remadji Hoinathy, chercheur principal, Afrique centrale et Grands Lacs, ISS, et Yamingué Bétinbaye, directeur de recherche, Centre de recherche en anthropologie et sciences humaines, N’Djamena, Tchad

Image : © Denis Sassou Gueipeur / AFP

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