Le président nigérian Bola Tinubu prend l’économie en main

Ses réformes marquent une avancée, mais elles ne doivent pas plonger les citoyens dans la pauvreté ni violer l’État de droit.

Un mois à peine après son investiture le 29 mai, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu a appliqué les principales réformes économiques préconisées par les analystes des politiques publiques et par les institutions financières internationales.

Il faudra cependant résoudre de profonds problèmes structurels avant que les Nigérians ne puissent en tirer des bénéfices. De plus, les réformes ne devront pas se faire au détriment du bien-être des citoyens ou de l’état de droit.

Tinubu a hérité d’une économie nigériane en perte de vitesse, avec un taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) de 3,1 % en 2022 et de 2,31 % pour le premier trimestre 2023. En outre, la reprise économique du Nigeria est lente en raison des déficits commerciaux dus à la pandémie de COVID-19. L’excédent commercial de 2022, qui n’est que de 2,85 milliards de dollars, fait pâle figure face aux 54,1 milliards de dollars de 2014.

Les investissements directs étrangers dans l’économie nigériane ont chuté de 2,2 milliards de dollars en 2014 à 0,47 million de dollars en 2022. Le déficit budgétaire a augmenté de 370,54 % entre 2016 et 2023, et le service de la dette a dépassé les recettes publiques, la dette publique ayant été multipliée par dix en dix ans. Ainsi, en juin 2013, la dette publique totale était de 7 930 milliards de nairas ; elle s’élève aujourd’hui à environ 77 000 milliards de nairas.

Au cours de cette période, la dette extérieure a augmenté de 473 % et la dette intérieure de 7 029 %. Il semble que l’octroi inconsidéré de prêts par la Banque centrale du Nigeria (CBN) au gouvernement fédéral a contribué à la hausse du taux d’inflation (22,41 % en mai dernier).

Il faut résoudre les problèmes structurels pour que l’économie du Nigeria puisse profiter aux Nigérians

Ces pressions, ajoutées à l’insécurité, ont entraîné la hausse des prix des denrées alimentaires, alors que 63 % de la population du pays vit dans une pauvreté multidimensionnelle. Le taux de chômage était de 33,3 % en 2020 et le cabinet de conseil KPMG estime qu’il atteindra 40,6 % de la population active cette année.

Lors de sa campagne, Tinubu avait promis de « se mettre au travail » s’il était élu président. C’est ce qu’il a fait en annonçant deux réformes économiques majeures dans son discours d’investiture : la suppression des écrasantes subventions de l’essence à la pompe et l’unification des multiples taux de change du naira.

Les subventions à l’essence ont grevé les comptes publics du Nigeria, contribuant à une situation où la hausse des cours mondiaux du pétrole nuit à l’économie. Leur suppression devrait permettre de libérer des ressources publiques qui pourront être affectées à la croissance et à la relance. Mais elle a aussi entraîné une hausse de 200 % du prix de l’essence à la pompe. Selon la Banque mondiale, la réforme des subventions pourrait plonger sept millions de Nigérians supplémentaires dans la pauvreté.

Tinubu tient également sa promesse de faire « flotter » le naira. Sous la direction de l’ancien gouverneur de la CBN, Godwin Emefiele, le taux de change officiel entre le naira et le dollar était rarement déterminé par le marché. Or, la CBN ne pouvait plus répondre à la demande de dollars à un taux fixe, ce qui a contribué à l’essor du marché noir des devises et à la baisse de confiance des investisseurs.

Le gouverneur de la CBN a depuis été démis de ses fonctions et les banques ont reçu pour instruction de « vendre et d’acheter librement le naira » à des taux déterminés par l’offre et la demande. Cela devrait permettre de libérer les ressources auparavant utilisées par la CBN pour « défendre » le naira, et donc réduire le déficit budgétaire et attirer davantage d’investissements étrangers.

Le gouvernement nigérian doit non pas réduire, mais réaffecter les dépenses et augmenter les recettes fiscales

Mais cette réforme a des implications. Les calculs basés sur les nouveaux taux vont augmenter la dette extérieure du Nigeria, les droits d’importation et les tarifs de l’électricité, ce qui entraînera une hausse des coûts des transports, de l’énergie et des biens de consommation. La suspension de Emefiele a également suscité des inquiétudes en matière d’état de droit.

Malgré ces difficultés, les réformes de Tinubu ont été bien accueillies par la communauté financière internationale. Toutefois, il faudra donner la priorité à certains défis structurels plus profonds pour consolider les réformes et orienter le Nigeria sur la voie de la prospérité.

Les finances publiques restent un défi majeur, et le débat se poursuit pour savoir si le Nigeria souffre plutôt d’un problème de dépenses ou de recettes. La part des dépenses publiques dans le PIB du Nigeria était de 12 % en 2021, l’un des taux les plus faibles au monde. Plutôt que de réduire les dépenses, le gouvernement doit les réaffecter tout en augmentant les recettes. Le ratio des recettes fiscales par rapport au PIB était également l’un des plus faibles au monde, à hauteur de 7 % en 2021.

Les impôts constituent l’essentiel des recettes publiques pour de nombreux gouvernements dans le monde, mais le ratio impôts/PIB du Nigeria est aujourd’hui estimé à 10,21 %, malgré les récentes améliorations de la collecte fiscale. Ce chiffre reste inférieur à la moyenne africaine de 16 %. L’augmentation des recettes publiques est essentielle pour améliorer les investissements publics dans la santé, l’éducation et les infrastructures favorables aux entreprises.

Tinubu et son équipe affirment qu’ils veilleront à l’augmentation des recettes fiscales. Les observateurs ont évoqué la possibilité qu’il applique le « modèle de Lagos » aux finances du Nigeria, en référence à l’accroissement des recettes fiscales internes lorsqu’il était gouverneur de l’État de Lagos.

Les réformes de Tinubu envoient un signal positif aux marchés financiers locaux et aux investisseurs étrangers

À cela s’ajoute le risque de sacrifier le pouvoir d’achat des Nigérians sur l’autel de réformes fiscales répondant à la loi des marchés. Le coût de la vie n’a cessé d’augmenter, diminuant le pouvoir d’achat. Le choix d’entreprendre une campagne fiscale agressive visant à prélever davantage d’impôts sur les Nigérians sans toutefois accorder la même attention à l’élargissement de l’assiette fiscale pourrait contribuer à l’instabilité politique.

Il faudra faire preuve de prudence dans la mise en œuvre de ces réformes, et pas uniquement en raison de considérations de bien-être. En effet, la consommation représente généralement plus de 70 % du PIB du Nigeria, donc la réduction du pouvoir d’achat des consommateurs pourrait nuire à la croissance économique.

Au-delà de la nécessité de mobiliser davantage de ressources, le gouvernement de Tinubu doit trouver comment dépenser plus efficacement et assurer une protection sociale à court terme tout en garantissant des retombées économiques à moyen et à long terme. C’est un problème auquel sont aussi confrontés d’autres pays africains.

Il y a également l’énorme tâche qui consiste à stimuler la productivité et la capacité de production du Nigeria, ainsi qu’à accroître et à diversifier ses exportations en dehors du pétrole brut. L’insécurité persistante aggrave cette situation déjà difficile. Ces défis requièrent de nombreuses réformes et mesures et une volonté politique forte et soutenue dans le temps.

Ces réformes contribueront à résoudre les problèmes relatifs au climat des affaires et à créer des emplois. Elles placeront également le Nigeria dans une meilleure position pour tirer parti d’opportunités telles que l’Accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine.

Jusqu’à présent, les réformes de Tinubu semblent envoyer un signal positif aux marchés financiers locaux et aux investisseurs étrangers. La bourse nigériane a atteint son plus haut niveau en 15 ans dans l’espoir de l’unification du taux de change, après la suspension d’Emefiele. Ces réformes ont également été prises en compte par les agences de notation financière mondiales.

La position de la nouvelle administration en faveur du marché a ses avantages, mais son objectif ultime devrait être d’améliorer le bien-être et la prospérité des Nigérians. L’impact des réformes en cours se verra dans les semaines et dans les mois à venir. Il y aura certainement une phase d’ajustement difficile pour les Nigérians.

Le gouvernement de Tinubu doit montrer en quoi ces réformes bénéficieront aux Nigérians à long terme et expliquer comment ils seront soutenus pendant la période de transition. Il doit également s’imposer des mesures d’austérité similaires, en réduisant ou en diminuant les salaires et avantages sociaux des membres du gouvernement. Il s’agit là d’un point essentiel qui permettra de maintenir ou non le soutien de l’opinion publique à l’égard de ces réformes. Cette administration devrait également faire preuve du même zèle pour résoudre les problèmes structurels plus complexes du pays.

Enfin, dans la poursuite des réformes, le respect de l’état de droit doit rester un impératif.

Teniola Tayo, consultante à l’ISS et conseillère principale chez Aloinett Advisors

Image : © Bola Ahmed Tinubu/Twitter

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