Nigéria : mieux coopérer avec la Chine pour profiter de la ZLECAf

En alignant ses intérêts commerciaux et d’investissement dans le cadre de la ZLECAf, le Nigéria pourrait développer des relations plus productives avec la Chine.

Le Nigéria est un État parti à l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), mais il est également l’un des derniers des 54 pays à l’avoir signé en raison d’incertitudes quant à l’impact de l’accord sur son marché intérieur.

L’accord de libre-échange devrait favoriser l’industrialisation du continent et apporter la prospérité aux Africains. Toutefois, la dépendance du Nigéria à l’égard des exportations de pétrole brut et les difficultés auxquelles est confronté son secteur manufacturier pourraient en réduire les avantages.

Le pays doit collaborer de manière plus stratégique avec certains partenaires clés tels que la Chine et négocier des accords mutuellement bénéfiques susceptibles d’accroître sa compétitivité dans le cadre de l’accord de libre-échange africain. Selon une étude récente réalisée par Dataphyte au Nigéria, de telles négociations pourraient s’inscrire dans une stratégie nigériane plus large à l’égard de la Chine, dans un monde de plus en plus marqué par la multipolarité.

Le Nigéria constitue la plus importante économie d’Afrique, et certains estiment, à tort, que cela lui confère un avantage indu dans le cadre de la ZLECAf. Avec plus de 200 millions d’habitants, c’est aussi le pays le plus peuplé du continent. Le panier d’exportation du Nigéria est dominé par les produits pétroliers et gaziers, le pétrole brut représentant plus de 70 % de ses exportations en 2022. Cette dépendance à l’égard des matières premières a eu un impact négatif sur les indicateurs socio-économiques du pays.

Faute d’industrialisation, le Nigéria risque d’être un pays consommateur dans la ZLECAf

La faible base industrielle du Nigéria et son environnement opérationnel peu favorable impliquent qu’à court terme, le pays est voué à jouer un rôle de marché de consommation au sein de la zone de libre-échange. Une étude réalisée en 2023 sur les bénéficiaires de la ZLECAf a estimé un gain de bien-être de 146,12 millions de dollars US pour le Nigéria et de 1,46 milliard de dollars US pour l’Afrique du Sud, en raison des capacités manufacturières beaucoup plus élevées de cette dernière.

Ces difficultés ont conduit certains organismes, tels que l’Association des industriels du Nigéria, à faire retarder la signature de l’accord par le pays. Cette réticence contraste avec la politique « afrocentriste » du Nigéria et le rôle majeur joué par ses fonctionnaires dans la concrétisation de l’accord de libre-échange.

La Chine devrait bénéficier de manière significative de l’accord, même si la mise en œuvre complète de la ZLECAf pourrait entraîner une diminution des échanges commerciaux avec la Chine, à mesure que les échanges entre les pays africains s’intensifieront. Les efforts visant à accroître la production de biens et de services sur le continent peuvent néanmoins bénéficier à la Chine qui est un important fournisseur de biens intermédiaires et de machines.

En 2017, le cabinet de conseil stratégique McKinsey estimait à plus de 10 000 le nombre d’entreprises détenues par des ressortissants chinois en Afrique, de sorte que la Chine est bien positionnée pour tirer parti d’un essor de l’industrie locale. La demande accrue d’infrastructures commerciales intra-africaines peut également être satisfaite par des entrepreneurs chinois expérimentés dans le déploiement de tels projets en Afrique. Le continent a dépassé l’Asie en tant que principale destination des projets de construction chinois.

La Chine peut aider le Nigéria à développer ses infrastructures et son secteur manufacturier

Le Nigéria et la Chine entretiennent d’étroites relations, le Nigéria constituant le premier marché d’exportation africain de la Chine en 2021 et le deuxième en 2022. Premier partenaire d’importation du Nigéria, la Chine a contribué de manière significative au déficit commercial du Nigéria, qui s’élevait à 11,1 milliards de dollars US en 2021. Depuis qu’il a rejoint l’initiative chinoise de la Nouvelle route de la soie en 2018, le Nigéria représente une destination phare dans les domaines de la construction, des investissements et du commerce pour la Chine, ayant reçu environ 7,5 milliards de dollars US d’investissements directs chinois entre 2013 et 2021.

En janvier 2023, l’ambassadeur de Chine au Nigéria, Cui Jianchun, a souligné la solidité des liens qui unissent les deux pays dans les domaines du commerce et des investissements. Cependant, Beijing semble être plus stratégique qu’Abuja. En 2017 par exemple, le Nigéria a demandé à Taïwan de fermer son bureau de représentation d’Abuja, un jour seulement après l’annonce par la Chine d’un plan d’investissement de 40 milliards de dollars US au Nigéria. Abuja a toutefois nié tout lien entre les deux événements. De fait, le parlement nigérian surveille de près les activités de la Chine. En 2016, il a critiqué certaines entreprises et, en 2020, il a lancé une enquête sur les prêts chinois.

Le Nigéria doit collaborer davantage avec la Chine pour renforcer sa position au sein du ZLECAf. À travers ses investissements et le transfert de connaissances, la Chine peut aider le Nigéria à améliorer ses infrastructures et à soutenir son secteur manufacturier.

La Chine a déjà une bonne compréhension de la complexité de l’environnement opérationnel du Nigéria et parvient à y évoluer avec succès. Il peut donc être plus facile pour le Nigéria de promouvoir les investissements dans son industrie auprès du secteur privé chinois qu’auprès d’autres investisseurs. La Chine connaît également les insuffisances capacitaires du secteur manufacturier nigérian et peut contribuer à les combler à moyen et à long terme.

La stratégie nigériane envers la Chine doit concilier divers intérêts et identifier des opportunités de coopération

Mais la Chine a également certains intérêts à protéger, tels que la création d’emplois pour ses ressortissants, la facilité d’accès aux matières premières et la vente d’un volume plus important de produits à mesure que l’Afrique s’enrichit.

L’un des piliers de la stratégie nigériane vis-à-vis de la Chine devrait consister à concilier ces divers intérêts et à identifier des opportunités de coopération mutuellement bénéfiques. Cette stratégie devra tenir compte de l’évolution des relations entre les deux pays et de leurs attentes respectives, afin de répondre à la dépendance croissante du Nigéria à l’égard de la Chine.

Les zones économiques spéciales gérées par la Chine au Nigéria rendent difficile le développement de l’industrie locale, un problème auquel cette stratégie devrait remédier. Vingt-huit mille Nigérians auraient ainsi perdu leur emploi dans l’industrie textile en raison d’importations chinoises plus compétitives.

Les pays africains ont plus ou moins fait preuve d’initiative dans leurs relations avec la Chine, mais cette dernière semble toujours décider de l’ordre du jour. Le Nigéria pourrait montrer la voie aux autres pays du continent à cet égard. Il est essentiel pour l’Afrique de mieux comprendre la Chine, de clarifier ses intérêts et de les exploiter au profit des Africains, à l’heure où les tensions géopolitiques s’intensifient.

Le continent doit explorer de manière proactive les opportunités offertes par l’initiative chinoise de la Nouvelle route de la soie pour répondre aux besoins en infrastructures de la ZLECAf. Les répercussions des traités commerciaux bilatéraux tels que l’accord de libre-échange conclu entre la Chine et l’île Maurice devront être examinées de près.

Le Nigéria continue d’être confronté à des défis en matière de politique étrangère, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Afrique. Ses besoins dans le cadre de la ZLECAf devraient l’inciter à être plus stratégique dans ses relations avec la Chine. Si le nouveau gouvernement du président Bola Tinubu accepte de jouer un rôle de premier plan dans les relations entre l’Afrique et la Chine, une nouvelle ère pourrait s’ouvrir dans les relations extérieures du Nigéria.

Teniola Tayo, consultant, ISS et Muhammed Badamasi, associé, Aloinett Advisors

Image : © APM Terminals Apapa

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