Le président ghanéen Mahama sautera-t-il le pas de la réforme constitutionnelle ?
La Constitution du Ghana permet à une présidence surpuissante d’influencer tous les niveaux de l’administration : il faut la réformer.
Publié le 06 mars 2025 dans
ISS Today
Par
Sampson Kwarkye
chef de projet, États Littoraux d'Afrique de l'Ouest, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
John Mahama a remporté près de 57 % des voix lors de l’élection présidentielle de décembre 2024 au Ghana. Son parti, le National Democratic Congress (NDC), a obtenu environ les deux tiers des 276 sièges du Parlement. Mahama avait déjà exercé un premier mandat de 2012 à 2017.
La reconnaissance rapide de sa victoire par son principal adversaire, l’ancien vice-président Mahamudu Bawumia du New Patriotic Party, et la transmission pacifique du pouvoir le 7 janvier ont consolidé la réputation du Ghana d’être l’une des démocraties les plus stables d’Afrique.
Bénéficiant d’un mandat électoral fort, Mahama pourra procéder aux réformes de la gouvernance, auxquelles le pays a échappé depuis le retour à la démocratie constitutionnelle en 1992. Elles sont dans la ligne de sa promesse de campagne de « réinitialiser le Ghana ».
Ces réformes sont essentielles pour rétablir la confiance dans les institutions de gouvernance du pays. Entre 2012 et 2024, la satisfaction des Ghanéens à l’égard de la démocratie au Ghana a diminué de 23 %, et le soutien au régime militaire a plus que doublé, passant de 14 % à 32 %.
Le score de l’Indice Ibrahim de la gouvernance africaine pour le Ghana stagne depuis 2014, avec une baisse des indicateurs de sécurité et de l’état de droit. Ce désenchantement se manifeste par une défiance à l’égard du système judiciaire, des forces de l’ordre et de l’organe de gestion des élections.
Cette situation est due aux faiblesses structurelles créées par la Constitution. Bien qu’elle prévoie un système présidentiel-parlementaire hybride et une séparation des pouvoirs, elle sape involontairement cette dernière en donnant au président un pouvoir exécutif bien trop puissant.
Plusieurs dispositions confèrent à la présidence une emprise considérable sur toutes les institutions de gouvernance. Le pouvoir de procéder à des milliers de nominations met les titulaires de postes clés du gouvernement à la disposition de la présidence.
En vertu de l’article 78, le président nomme la plupart des ministres parmi les membres du Parlement où ils continuent à siéger. Le Parlement est devenu vulnérable à l’influence de l’exécutif, ce qui nuit à sa capacité à lui demander des comptes.
Le pouvoir judiciaire n’est pas non plus à l’abri de cette l’influence. La nomination du président de la Cour suprême et des autres juges des juridictions supérieures nécessite une majorité simple au Parlement, condition à laquelle répond généralement le parti du président. Il est important de noter que la Constitution ne limite pas le nombre de juges de la Cour suprême, ce qui permet au président d’en nommer autant qu’il l’estime nécessaire.
Le président détient un pouvoir exécutif bien trop puissant qui nuit à la séparation des pouvoirs
Cela a conduit Mahama et le NDC à accuser l’ancien président Nana Akufo-Addo de manipulation judiciaire avant les élections, l’année dernière.
La Constitution compromet également l’indépendance des services de sécurité. Le président peut nommer ou révoquer l’inspecteur général de la police et la plupart des membres du Conseil de la police, qui le conseille sur la politique à adopter dans ce domaine, les promotions des hauts gradés et les questions administratives et budgétaires. En conséquence, les partis d’opposition se méfient de la police, qu’ils accusent de servir les intérêts du gouvernement.
Même la Commission électorale indépendante du Ghana n’échappe pas à la domination de l’exécutif. L’article 70 habilite le président à nommer le responsable de la Commission, ses adjoints et d’autres membres, sans l’approbation du Parlement.
En 2018, Akufo-Addo avait démis de ses fonctions la présidente de la Commission électorale, Charlotte Osei, nommée par Mahama lors de son premier mandat, ainsi que ses deux adjointes, sur recommandation d’un comité créé par le président de la Cour suprême. Le 27 janvier, Mahama a été saisi d’une demande pour révoquer la présidente de la Commission électorale, Jean Mensa, et d’autres responsables de la Commission électorale nommés par Akufo-Addo.
Les membres de la Commission électorale du Ghana sont nommés sans l’aval du Parlement
L’article 243(1) permet au président de nommer tous les chefs des exécutifs métropolitains, municipaux et de district. L’article 242(d) l’autorise à nommer 30 % des membres des assemblées locales. Ces pouvoirs, et le fait que la plupart des recettes des gouvernements locaux transitent par le gouvernement central, rendent les autorités locales largement responsables devant la présidence, et non devant leurs communautés.
Les nominations présidentielles sont également omniprésentes dans la fonction publique et les institutions parapubliques. Plus de 4 000 postes seraient directement pourvus par nomination présidentielle. Un changement de gouvernement d’un parti à un autre entraîne généralement non seulement des licenciements massifs, mais aussi la révocation des nominations effectuées avant et juste après les élections.
La récente directive du chef de cabinet de Mahama à toutes les institutions publiques afin de révoquer toutes les nominations dans la fonction publique après les élections de décembre 2024 en est un exemple controversé.
Les gouvernements qui se sont succédé ont reconnu ces faiblesses et mis en place des comités de révision constitutionnelle pour y remédier. Mahama a déjà créé un comité responsable, entre autres, d’examiner les recommandations des comités précédents et de proposer d’éventuels amendements.
Mahama et le NDC semblent avoir la volonté de transformer la gouvernance
Le NDC ayant promis de « réinitialiser » le Ghana, le moment est venu de s’attaquer aux dispositions constitutionnelles qui empêchent la mise en place d’institutions fortes, exemptes de toute ingérence politique. Une réforme significative devrait inclure soit la réduction du nombre de nominations présidentielles, soit leur soumission à un processus inclusif avec une influence minimale de l’exécutif.
Le président de la Cour suprême pourrait être nommé par le président parmi quatre juges expérimentés, présélectionnés par le Conseil judiciaire et approuvés par une majorité parlementaire des deux tiers. Cela favoriserait le mérite par rapport aux considérations politiques. Une procédure similaire pourrait être utilisée pour les juges de la Cour suprême. Leur nombre devrait être fixé ainsi que celui des juges de la Haute Cour.
D’autre part, les dirigeants des commissions électorales devraient être nommés à la majorité des deux tiers au Parlement et les candidats ayant des affiliations politiques connues devraient être exclus. L’inspecteur général de la police devrait être nommé pour une durée déterminée avec une sécurité d’emploi, et le Conseil de la police rendu indépendant de la présidence.
Pour renforcer le rôle de surveillance du Parlement, l’article 78 devrait être changé afin de séparer les pouvoirs exécutif et législatif. Enfin, la modification des articles 55(3) et 243(1) faciliterait l’élection des chefs de l’exécutif métropolitain, municipal et de district, et garantirait la participation des partis politiques dans les collectivités locales.
Grâce à leur évidente bonne volonté, Mahama et le NDC pourraient transformer la gouvernance au Ghana. Les efforts précédents avaient été compromis par des désaccords entre partis et parfois par un manque de soutien de la population.
Cependant, comme le montre le rapport de la Commission de révision de la Constitution de 2011, la plupart des amendements évoqués ci-dessus bénéficient d’un fort soutien de la population. Et, à l’exception de l’article 55(3), les dispositions ne sont généralement pas inscrites dans la Constitution et leur révision requiert le vote de la majorité parlementaire des deux tiers.
La création du comité de révision par Mahama est un signe positif. Il reste cependant à voir si son administration présentera une réforme de fond et saura résister à la tentation de remplir les institutions de gouvernance de sympathisants du parti.
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