Le Parlement panafricain désigne enfin son nouveau président

L’échec du Parlement panafricain à élire un président pendant plus d’un an a sapé davantage sa légitimité déjà contestée.

Il a fallu l’intervention sévère du président de la Commission de l'Union africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, pour que le Parlement panafricain (PAP) de Midrand, en Afrique du Sud, parvienne finalement à élire son président et quatre vice-présidents cette semaine – avec un an de retard.

Il y a un an, les tentatives d'élections ont complètement échoué dans une atmosphère de chaos grotesque et de violences verbales, voire physiques. L’Afrique australe a insisté pour que le principe général de rotation de l’UA entre les cinq régions du continent soit appliqué au PAP.

Les députés de l'Afrique australe ont empêché la tenue des élections qui auraient probablement placé un candidat malien au pouvoir. Ils ont déclaré que l'Afrique de l'Ouest avait déjà exercé la présidence, tout comme l'Afrique centrale (deux fois) et l'Afrique de l'Est. C’était à présent le tour du Sud et du Nord.

Le Sud a présenté un candidat, le Zimbabwéen Chief Fortune Charumbira, chef traditionnel et sénateur nommé au Parlement du Zimbabwe par le gouvernement de l'Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique. Les autres régions ne voulaient rien entendre, déclarant qu’aucun principe de rotation de l’UA ne pourrait être imposé au PAP, une institution autonome qui n’avait pas adopté ce principe par elle-même.

Il y a un an, les tentatives des élections du PAP ont complètement échoué, dans une atmosphère de chaos et de violences verbales, voire physiques

Pendant ce temps, Faki a ordonné à ses conseillers juridiques de faire la lumière sur la question. Ces derniers ont recommandé que le principe de rotation soit appliqué. Cette recommandation a été approuvée par le conseil exécutif de l’UA et son Assemblée des chefs d’État, comme l’a déclaré Faki au PAP cette semaine.

Le gouvernement du Soudan du Sud a soutenu que cette décision n'avait jamais été approuvée par l'UA et a insisté sur la candidature légitime de son député, l'ancien enfant-soldat Albino Aboug.

Faki a reconnu cette semaine que le principe de la présidence par rotation n'avait malheureusement pas été ratifié par le nombre d'États requis, et qu'il était donc juridiquement inapplicable. Il a néanmoins exhorté le PAP à l’adopter pour sortir de l’impasse embarrassante qui a terni l’image de cette institution et celle de l’ensemble du continent et a rendu le Parlement incapable de s’acquitter de ses fonctions comme il convenait.

« Les scènes insoutenables diffusées par les chaines de télévision et dans les réseaux sociaux ont ému les citoyens africains médusés par une telle dégradation du Parlement. Ce fut une honte pour le continent », a-t-il déclaré depuis le podium.

Ainsi, faisant amende honorable, le PAP a adopté le principe de la rotation, le Soudan du Sud a battu en retraite et Charumbira a été dûment élu sans opposition, avec 203 voix pour, 16  voix contre, 31 abstentions et 11 bulletins nuls. Ce dernier a déclaré : « Je suis le président de tout le monde, quelque soit la façon dont vous avez voté », et il a exhorté les députés à mettre de côté les conflits linguistiques et toute autre division.

Il est presque impossible d’imaginer un scénario où les États membres de l’UA concéderaient des pouvoirs réels aux législateurs continentaux

L’inconvenance des non-élections de 2021 n’a fait que renforcer la perception déjà largement répandue que le PAP, dépourvu d’objectifs réels, s’était transformé en une arène où l’on s’affrontait pour des postes ou des indemnités, dans un contexte de favoritisme, plutôt que d’être un lieu de débats sur les programmes et les principes. Ces élections ratées avaient déjà été précédées d'une interruption de près d'un an lorsque le président précédent, en butte à la corruption, avait démissionné.

Le PAP a vu le jour en 2004, tout comme une panoplie d'institutions panafricaines, peu après la création de l’UA. Il a été conçu par les pères fondateurs de l’UA (principalement le Sud-africain Thabo Mbeki, le Nigérian Olusegun Obasanjo et l’Algérien Abdelaziz Bouteflika) comme une instance qui permettrait aux populations africaines d’exiger de leurs dirigeants qu’ils leur rendent des comptes. Il devait leur permettre également d’accéder finalement aux pouvoirs législatifs et non plus seulement consultatifs, ce qui n’est jamais arrivé et n’est pas près d’être atteint, car le même Protocole de Malabo qui aurait approuvé le principe de rotation et conféré des pouvoirs législatifs au PAP n’est jamais entré en vigueur, en raison du nombre insuffisant de ratifications nationales.

Quoi qu’il en soit, il est presque impossible d’imaginer un scénario où les États membres de l’UA concéderaient des pouvoirs réels aux législateurs continentaux. La plupart des dirigeants, sans doute, ne concèdent pas un tel pouvoir même à leurs propres législatures.

Ce qui constitue le cœur du problème, comme le souligne Liesl Louw-Vaudran, chercheuse principale à l'Institut d'études de sécurité (ISS). Comment obtenir un parlement légitime pour l’ensemble du continent, alors que la démocratie est si fragile dans de nombreux pays africains ? Comment croire réellement en une institution dite démocratique qui aurait à sa tête une personne elle-même non élue dans son pays, mais nommée par le gouvernement ? Et, de surcroît, dans un pays qui n'est pas réputé pour la légitimité de ses élections ?

Charumbira devra dépasser ces limites s'il veut avoir un impact.

Il est clair que les gouvernements africains voient peu d’avantages à un PAP fort qui les soumettrait à une plus grande obligation de rendre des comptes

Louw-Vaudran estime néanmoins que, même sans pouvoirs législatifs aussi poussés, le PAP pourrait encore s’avérer utile en fonctionnant comme un organe de contrôle, principalement en soumettant les institutions de l'UA à une plus grande obligation de rendre des comptes. Que Faki ait dû se rendre à Midrand cette semaine pour dire au PAP comment gérer ses élections est pour elle un signe révélateur.

Elle souligne qu’il s’agit là d’un renversement des rôles, dans la mesure où c’est la Commission de l’UA – qui n’a après tout qu’un rôle bureaucratique dans l’UA – qui devrait demander conseil au PAP. Mais, en raison du spectacle indigne de ses élections de l'année dernière, la maturité de la supervision de Faki a malheureusement été nécessaire.

Louw-Vaudran pense que le PAP devrait envoyer des observateurs aux élections africaines comme il le faisait auparavant, et son président devrait régulièrement prononcer des allocutions aux sommets de l’UA, pour accroître son importance.

Il faut ajouter que le PAP a par le passé contrôlé les budgets de l'UA, et ce rôle devrait être renforcé et institutionnalisé.

L'assemblée législative est-africaine – la législature multilatérale la plus réussie du continent – surveille les fonctions économiques de la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE). Disons que, dans l’idéal, le PAP devrait jouer un rôle similaire à celui de l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine – bien que cela exigerait de grandes compétences techniques.

Soit dit en passant, l'assemblée législative est-africaine est directement élue par les électeurs des pays membres de la CAE. Quels que soient ses pouvoirs, le PAP tirerait certainement bénéfice d’élections directes similaires, au lieu d’être élu indirectement par les parlements nationaux, ce qui semble avoir amoindri la représentation de l’opposition au fil des ans.

Comme l’indique Louw-Vaudran, il est clair que les gouvernements africains voient peu d’avantages à un PAP fort qui les soumettrait à une plus grande obligation de rendre des comptes. Il revient donc certainement aux citoyens africains, et notamment aux législateurs nationaux, d’assumer la responsabilité de transformer le PAP en une institution utile. Bien qu’à leur manière exubérante, les députés du parti sud-africain les Combattants pour la liberté économique ont joué en partie ce rôle dans le PAP en remettant en question son objectif.

Elle note également que lors de leur sommet à Lilongwe en août dernier, les dirigeants de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) ont décidé de transformer le Forum parlementaire de la SADC en un parlement, bien que restreint à un « organisme consultatif et délibératif ».

Si l’on en croit le PAP, ce serait une terrible idée. La SADC devrait à tout le moins lancer une campagne à l'échelle régionale pour demander à ses citoyens s’ils considèrent que ce serait une bonne idée, et si c'est le cas, ce qui serait nécessaire à sa réussite.

Peter Fabricius, Consultant, ISS Pretoria

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Image : © Pan African Parliament

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