Le Nigeria doit trouver sa place en Afrique

Il est temps de rompre avec le mythe du « géant » et d’adopter une approche plus collaborative des affaires africaines.

Si le Nigeria assume un rôle de leader en Afrique, c’est principalement en raison de la taille de sa population et, plus récemment, celle de son économie. Cet essor a inspiré le rôle que le pays a joué dans des situations telles que la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud et les guerres au Liberia et en Sierra Leone.

Ces aspects continuent de façonner le rôle prépondérant que joue le pays dans des organisations internationales telles que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Banque africaine de développement où le Nigeria est le plus grand contributeur.

Cependant, les problèmes intérieurs au Nigeria ont nui aux interactions avec les autres pays africains et influencé la manière dont il est perçu sur le continent, qui n’a jamais vraiment accepté son rôle autoproclamé de leader. Le Nigeria se doit de repenser sa politique africaine afin de garantir des retombées positives, pour lui-même mais aussi pour le continent.

Femi Gbajabiamila, président de la Chambre des représentants du Nigeria, a récemment déclaré que le pays devait améliorer son engagement envers le reste du monde, compte tenu de la mondialisation et des besoins internes qui se font pressants. Il s’exprimait lors d’une conférence organisée le 19 avril pour lancer un exercice de révision de la politique étrangère du Nigeria.

Le Nigeria repense son rôle dans le monde mais ne doit pas perdre de vue l’importance de l’Afrique dans ses affaires

Il s’agit là d’un fait notable car la politique étrangère du Nigeria a toujours été afrocentrique, une position qui remonte à la déclaration de 1960 de Jaja Wachuku, alors président de l’Assemblée nationale, sur la position de leader « dans laquelle Dieu Tout-Puissant nous [le Nigeria] a placés ». M. Gbajabiamila a déclaré que la politique étrangère de 1960 était pleine de contradictions et ne permettait pas de répondre aux enjeux actuels. Ces commentaires pourraient être les premiers signes d’un changement radical de l’approche du Nigeria vers une orientation plus mondialiste.

Certains chercheurs affirment que l’intérêt initial du Nigeria pour l’Afrique est né de son incapacité à créer une identité nationale cohérente pour façonner ses affaires extérieures. En Afrique de l’Ouest, d’aucuns pensent que l’orientation du Nigeria vers le continent était motivée par l’ambition de contrer l’influence de la France dans la région.

D’autres estiment que la politique étrangère afrocentrique du Nigeria ne lui a guère profité. Cela peut s’expliquer par le caractère arbitraire de cette position. Le fait de « mettre l’accent sur l’Afrique » n’implique pas grand-chose en termes pratiques et le pays n’a pas réussi à définir ses objectifs de manière concrète.

L’image et l’influence du Nigeria sur le continent semblent en pâtir, et l’impact se fait ressentir par certains de ses citoyens qui voyagent ou vivent dans d’autres pays d’Afrique. Même ses contributions financières aux organismes régionaux tels que la CEDEAO sont considérées comme ayant un intérêt limité pour le pays.

Pour redorer l’image du Nigeria en Afrique, il faut bien comprendre les causes de cette détérioration

La révision de la politique étrangère du Nigeria, qui est à l’ordre du jour, doit se fonder sur des faits probants. Pour bénéficier au pays et à ses citoyens, il convient d’abord de définir clairement les intérêts de chacun. Et si le Nigeria doit repenser sa place dans le monde, il ne doit pas perdre de vue ce que représente l’Afrique depuis longtemps dans ses affaires.

En 2020, le pays a bénéficié d’un excédent commercial d’environ 4,6 milliards de dollars américains en provenance du continent et L’Afrique représente 20 % des exportations nationales. Par ailleurs, les relations économiques entre le Nigeria et le reste du continent devraient se développer dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine et à mesure que le pays se défait de sa dépendance à l’égard des exportations de pétrole.

Bien que les données récentes sur les migrants nigérians soient rares, une étude de l’Organisation internationale pour les migrations a révélé qu’en 2013, 35,6 % des migrants nigérians vivaient dans des pays d’Afrique. Cette année-là, l’Afrique était la principale destination des migrants nigérians, suivie de l’Europe (34,2 %) et de l’Amérique du Nord (26,4 %). Bien que cela ait pu changer depuis, les pays d’Afrique restent une destination importante pour les ressortissants nigérians, en particulier l’Afrique de l’Ouest et centrale.

Les pays voisins du Nigeria en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale restent également partie intégrante de ses efforts de lutte contre l’extrémisme violent. Bien que les coalitions de sécurité telles que la Force multinationale mixte aient rencontré des problèmes, la nature transnationale de l’insurrection de Boko Haram nécessite une coopération renforcée avec les pays du bassin du lac Tchad.

L’examen de la politique étrangère doit refléter une approche collaborative et panafricaine des questions continentales

Cette tentative de redorer l’image du pays ne pourra réussir que si l’on comprend clairement ce qui a mené à sa remise en cause et les raisons derrière sa détérioration. Les diplomates nigérians dans les pays africains doivent fournir des informations plus pertinentes au ministère des Affaires étrangères sur le statut du Nigeria dans leurs pays d’affectation tout en s’efforçant d’améliorer les relations. Les instruments de soft power comme les films peuvent également renvoyer une image jugée plus favorable pour obtenir des résultats politiques.

Une autre question constamment négligée concerne les plaintes déposées contre les activités de certains citoyens nigérians à l’étranger. Bien que les accusations de criminalité et de résidence illégale soient souvent exagérées, le gouvernement devrait faire preuve de responsabilité et régler d’urgence les questions concernant la conduite de ses citoyens à l’étranger tout en protégeant leur vie et leurs intérêts à travers l’Afrique.

Le Nigeria doit également respecter ses obligations au titre des chartes africaines et ouest-africaines dont il est signataire. Il s’agit notamment de pallier son incapacité à faire respecter certains arrêts de la Cour de la CEDEAO.

Enfin, la révision de la politique étrangère devrait refléter une approche plus collaborative et panafricaine des questions continentales. Cela permettrait d’éviter des maladresses telles que l’appel récent du président Muhammad Buhari à transférer le Commandement des États-Unis pour l’Afrique sur le continent. C’est une position qu’il n’aurait pas dû prendre de manière unilatérale. Une approche collaborative pourrait également aider à résoudre les problèmes frontaliers avec des pays comme le Bénin.

La diminution des recettes publiques implique que le Nigeria ne peut plus étendre son influence en Afrique en soutenant financièrement d’autres pays. Il faut donc explorer de nouvelles voies afin de garantir un bénéfice mutuel pour le Nigeria et pour le continent. Le Nigeria a besoin de l’Afrique et doit participer activement aux efforts visant à renforcer la puissance du continent, par exemple, grâce à l’accord de libre-échange.

Le Nigeria est toujours aux prises avec de graves problèmes intérieurs, notamment les appels croissants à restructurer sa fédération. Toutefois, la construction d’une nation est un processus de longue haleine. Le fait de définir une approche et des objectifs clairs de politique étrangère contribuerait à résoudre ses problèmes internes.

Teniola Tayo, chargée de recherche, Programme Bassin du lac Tchad, ISS Dakar

Cet article a été réalisé grâce au soutien financier du Gouvernement des Pays-Bas et du Fonds britannique par la résolution des conflits, la stabilité et la sécurité.

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