Le moment est venu de mettre à l'épreuve la vision de Félix Tshisekedi pour la RDC

Afin de lancer son pays sur une nouvelle voie, le nouveau président de la RDC doit se tourner vers ses alliés.

Le nouveau gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) a enfin prêté serment la semaine dernière. La cérémonie a mis fin à huit mois de tractations entre le Front commun pour le Congo (FCC), plateforme de l’ancien président Joseph Kabila, et la coalition Cap pour le changement (CACH) du nouveau chef de l’État, Félix Tshisekedi. Le FCC détenant une majorité écrasante des sièges au Parlement, il a obtenu 42 postes ministériels, contre 23 pour le CACH.

Les délais dans la formation du gouvernement et le fort contrôle que Kabila entend, sans surprise, revendiquer n’augurent rien de bon concernant la capacité du nouveau gouvernement à fonctionner de manière efficace.

Au vu du report prolongé des élections entre 2015 et 2018, la RDC a connu une période de paralysie politique. Cette situation, conjointement au temps qu’a pris la formation du nouveau gouvernement, suggère que la nouvelle élite de la RDC, bien qu’issue d’une coalition, est bien moins préoccupée par les nombreux besoins urgents de la population que par ses propres intérêts.

Depuis l’accession de Tshisekedi à la Présidence au mois de janvier, une question clé s’est érigée : cette élection constitue-t-elle vraiment un changement ? La libération de certains prisonniers politiques, le retour au pays de politiciens exilés, tels que Moïse Katumbi, et une tolérance un peu plus marquée envers la critique et les militants de la société civile, en incitent pour le moment plus d’un à l’optimisme. Nombreux sont ceux qui attendaient avec intérêt la formation du gouvernement, afin de mieux cerner les capacités et les intentions de Tshisekedi.

La RDC fait depuis longtemps face à des fauteurs de troubles, et un nouveau président ne change aucunement cela

En fin de compte, hormis la répartition du nombre de ministères, la composition du nouveau gouvernement n’apporte que peu d’éléments de réponse. Maintenant que l’attente est terminée, l’heure est à l’établissement de nouveaux jalons pour le gouvernement Tshisekedi.

Pour la période menant à 2023, les priorités devraient porter sur le court et long terme. Premièrement, il est essentiel de veiller à ce que les élections de 2023 se déroulent de manière libre et transparente. Pour cela, il convient de procéder à une réforme de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale nationale indépendante. Ces deux institutions sont fortement politisées et ont joué un rôle de premier plan dans les fraudes électorales qui ont entaché le scrutin de 2018.

Il est probable que l’introduction de telles réformes — qui doivent être adoptées par le Parlement — soit considérée comme une récusation pour Kabila et qu’elle soit donc rejetée dans un premier temps, au vu de l’écrasante majorité dont jouit son parti. Mais cette tentative ne passera pas inaperçue aux yeux de la population, qui a très clairement manifesté son désir de changement.

Si Tshisekedi entend s’attaquer à ce problème, il devra générer une pression à plus long terme et canaliser la mobilisation populaire, en faveur d’un changement fondamental, qui a forcé Kabila à renoncer à un troisième mandat. Les organisations de la société civile congolaise, notamment l’Église catholique, pourraient s’avérer de précieux alliés dans une telle entreprise. La communauté internationale pourrait quant à elle apporter sa pierre à l’édifice en aidant ces groupes à se positionner en ardents défenseurs et en promoteurs efficaces d’une telle réforme.

Le rétablissement des libertés politiques, dont le droit de critiquer le gouvernement, constitue également une priorité. Ce procédé va de pair avec la réforme d’institutions clés, ce qui ne requiert ni modification législative ni approbation de la part du Premier ministre ou du gouvernement, laissant à Tshisekedi une certaine marge de manœuvre.

Le rétablissement des libertés politiques ne requiert ni modification législative ni approbation de la part du Premier ministre ou du gouvernement

La Constitution congolaise garantit de fait la liberté de réunion et la liberté d’expression. Le plus difficile sera de contrôler les services de sécurité, notamment l’agence nationale de renseignements, qui a été le fer de lance de la répression contre les détracteurs du gouvernement et gère des prisons clandestines à travers le pays.

L’amélioration de la gouvernance, qui comprend la lutte contre la corruption, représente quant à elle un défi à plus long terme. Mais les réformes économiques menées en ce sens par le Fonds monétaire international (FMI) pourraient plus facilement aboutir à des changements positifs importants. Cela serait d’autant plus le cas si certains acteurs extérieurs tels que le FMI prennent l’initiative dans cet effort, dont l’importance est vitale pour l’avenir de la RDC, mais qui est trop sensible pour que Tshisekedi s’y attèle seul.

En 2012, le FMI a suspendu un prêt de trois ans d’un montant de 522 millions de dollars en raison d’un manque de transparence du gouvernement lors de l’attribution d’un accord minier datant de 2011. Il y a quelques mois, l’organisation a effectué, pour la première fois depuis cet épisode, une mission d’évaluation de la situation économique et financière, au titre de l’article IV des Statuts du FMI.

Une deuxième mission d’évaluation se rendra en RDC au mois d’octobre, sur invitation du gouvernement. La semaine dernière, le FMI a déclaré que le changement à la tête du pays offrait « une occasion de mettre en place des réformes qui consolident les finances publiques, stimulent la croissance du secteur hors industrie extractive, luttent contre la corruption et réduisent la pauvreté généralisée ».

Les réformes économiques menées par le FMI, notamment celles en matière de lutte contre la corruption, pourraient aboutir à des changements positifs

La stabilisation de l’Est de la RDC est l’une des promesses de campagne de Tshisekedi et représente un point crucial pour son gouvernement. Il s’agit autant d’une priorité évidente que d’une tâche complexe dans laquelle de nombreux acteurs nationaux et internationaux se sont engagés, sans grande réussite, depuis 20 ans.

L’attitude plus ouverte et plus coopérative de Tshisekedi dans ses interactions avec la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) constitue un pas dans la bonne direction. Il en va de même pour la concertation engagée avec les dirigeants des pays de la région, notamment ceux de l’Ouganda, du Rwanda et de l’Angola.

Bien qu’il soit trop tôt pour juger si de tels engagements sont sincères et s’ils pourraient mener à une coopération et à un dialogue permanents, l'élection d’un nouveau président en RDC a insufflé une nouvelle dynamique et ouvert de nouvelles perspectives de relance d’une initiative régionale de paix dans l’Est du pays et, de manière plus large, dans la région des Grands Lacs.

Les acteurs régionaux et internationaux souhaitant soutenir Tshisekedi peuvent le faire en rappelant que la paix dans l’Est de la RDC n’est pas uniquement tributaire des dynamiques nationales, mais qu’elle dépend également de l’amélioration de la gouvernance et du renforcement de la démocratie au Rwanda, en Ouganda et au Burundi. Ces pays sont aux prises avec des groupes d’opposition armés se servant de l’Est de la RDC comme base arrière.

La RDC fait depuis longtemps face à des fauteurs de troubles, et le récent changement de pouvoir ne change aucunement cela. Tshisekedi ne doit son élection, certes controversée, qu’au fait d’avoir été perçu par la société congolaise comme une alternative préférable au statu quo.

Bien que devant composer avec une réalité complexe et des contraintes de taille, Tshisekedi pourra, s’il entend lancer son pays sur une nouvelle voie, se targuer du soutien de la société civile, de la population congolaise et de la communauté internationale, des alliés de poids, favorables à un changement.

Stephanie Wolters, chercheuse principale associée, ISS Pretoria

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