Le Gabon et le rôle des transitions politiques dans la prévention des coups d'État

Les transitions en Afrique centrale pourraient servir à renforcer la gouvernance politique et économique et éviter l'instabilité.

Le coup d'État perpétré au Gabon en août 2023 a marqué la fin du règne de 56 ans de la famille Bongo, dynastie qui symbolise la continuité politique et une gouvernance calamiteuse.

Le président de longue date Ali Bongo Ondimba a été déposé lors du transfert de pouvoir dirigé par des officiers de haut rang de la Garde républicaine. Son éviction a ouvert une nouvelle ère d'incertitude, avec un gouvernement de transition dirigé par le général Brice Clotaire Oligui Nguema.

Ces dernières années, l'Afrique centrale, en proie à des problèmes de gouvernance et d'instabilité politique est devenue le théâtre de coups d'État. Dans ce contexte, les transitions politiques réussies pourraient servir à consolider la gouvernance et prévenir l'instabilité et les coups d'État.

Au Gabon, des facteurs politiques, sociaux et économiques ont instauré un climat instable, laissant le pays vulnérable après la mort d'Omar Bongo en juin 2009. Son fils Ali est devenu président après l'éviction des anciens compagnons de son père et une élection contestée en août 2009. Les perceptions d'injustice politique et de polarisation ont suivi, renforcées par l'absence d'un processus électoral transparent et inclusif et par un système politique instable.

Le mépris de l'État de droit et de la démocratie par Ali Bongo a alimenté le mécontentement des populations

Les trois élections remportées par Ali Bongo, en 2009, 2016 et 2023, ont toutes été contestées. En 2016, les manifestants ont mis le feu au Parlement après sa réélection. Son principal rival était son ancien beau-frère, Jean Ping, précédemment haut fonctionnaire du gouvernement du père Bongo. Il s’en est suivi une division politique généralisée, des discours acrimonieux, des affrontements violents entre factions et des conflits électoraux.

Les élections d'août 2023 dans ce pays riche en pétrole ont été entachées de plaintes pour corruption. Bien qu'Ali Bongo ait obtenu plus de deux tiers des voix, l'élection manquait de transparence et de légitimité. Pendant son règne, Ali Bongo a été accusé de corrompre ses opposants et de nommer des membres de sa famille à des postes stratégiques. Lors des élections controversées de 2023, aucun observateur international ou journaliste n'était présent, un couvre-feu a été imposé et les frontières du pays ont été fermées.

Le mépris de l'État de droit et de la démocratie par Ali Bongo a galvanisé les partis d'opposition en quête de changement, mais a également alimenté le mécontentement populaire et déclenché des bouleversements politiques.

Malgré un PIB par habitant supérieur à la moyenne (17 440 USD), le Gabon connaît des niveaux élevés d'inégalité des revenus et de pauvreté. En 2019, 43,5 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté. Le pays détient le quatrième taux de pauvreté des économies à revenu intermédiaire élevé d’Afrique. Le taux de chômage est élevé, avec 40 % des jeunes sans emploi en 2020.

L'environnement politique du Gabon change et la charte de transition en est un élément clé

Le ralentissement économique, dû aux fluctuations des prix du pétrole, a empêché le gouvernement de subvenir aux besoins de ses citoyens. Avec l’affaiblissement de l'économie, le gouvernement s'est efforcé de conserver le soutien de l'opinion publique et les scandales de corruption ont davantage érodé la confiance de la population. Ce type de gouvernance, en place depuis 57 ans, ne pouvait conduire qu’à des troubles sociaux et un changement anticonstitutionnel de régime.

La prévention de l'instabilité politique et des coups d'État en Afrique centrale repose principalement sur l'identification des signes avant-coureurs qui nécessitent une réaction rapide et efficace, et l'expérience du Gabon en est le parfait exemple.

La nouvelle charte de transition jette les bases d'une réforme démocratique. L'accent mis sur les idéaux démocratiques, les droits de l'homme et la bonne gouvernance témoigne d'une volonté de résoudre les difficultés et de construire un avenir plus stable et plus démocratique. De nouvelles valeurs telles que le patriotisme, la responsabilité et l'inclusion dénotent un environnement politique en mutation, ouvert et prêt au dialogue.

La mise en œuvre correcte de la charte sera cruciale et nécessitera la collaboration et l'adhésion de toutes les parties prenantes. L'environnement politique du Gabon est en train de changer et la charte en représente un élément clé.

Le silence de la charte sur l'éligibilité du président aux élections et sur la durée de la transition crée des tensions

Cependant, elle reste muette sur deux questions cruciales : l'éligibilité du président aux prochaines élections et la durée de la transition. Cela crée des tensions susceptibles de s'aggraver si le dialogue national prévu en avril prochain ne règle pas ces questions.

La situation politique du Gabon avant le coup d'État est similaire à celle de nombreux pays d'Afrique centrale. Les régimes sont en place depuis des décennies sans alternance, et avec une gouvernance économique insatisfaisante.

Les transitions permettraient donc de réinitialiser les systèmes politiques et d’éviter l'instabilité. Les transitions au Gabon et au Tchad devraient servir à améliorer les libertés politiques et économiques et répondre aux doléances populaires. Plus de deux ans après le début de sa transition, le Tchad a fait peu de progrès, mais le Gabon pourrait faire mieux.

L'utilisation des transitions politiques comme outil de prévention des coups d'État offre la perspective d'une stabilité, d'une réconciliation et d'une coopération régionale à long terme. Les transitions doivent être réorientées vers la prévention des coups d'État. Une telle approche, accompagnée de mesures diplomatiques, politiques et sécuritaires, est impérative pour l'Afrique centrale et nécessite le soutien de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC).

L'Union africaine (UA) peut veiller à ce que la transition au Gabon et en Afrique centrale conduise à une stabilité à long terme et à une résistance aux coups d'État. Dans le cas du Gabon, l'UA et la CEEAC peuvent jouer un rôle de médiateur dans les conflits et promouvoir le dialogue afin de répondre aux griefs et de favoriser la réconciliation. Les deux organisations devraient déployer des missions d'observation des élections afin d'établir la légitimité du nouveau gouvernement et de prévenir d'autres crises politiques.

S’appuyant sur le cas du Gabon, la CEEAC peut promouvoir des transitions démocratiques qui mèneront l’Afrique centrale vers la paix et la stabilité.

Remadji Hoinathy, chercheur principal, Afrique centrale et Grands Lacs et Nirvaly Mooloo, stagiaire, ISS

Image : © Président de la Transition, Chef d'Etat du Gabon / Twitter

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