Le financement de la nouvelle mission de l'UA en Somalie est compromis
Le retard du nouveau mécanisme de partage des coûts oblige l’ONU et l’UA à redoubler d'efforts pour obtenir des fonds.
Publié le 19 février 2025 dans
ISS Today
Par
Meressa Kahsu
chercheuse principale et coordinatrice de la formation, ISS Addis-Abeba
Une nouvelle mission de soutien de la paix de l'Union africaine (UA) en Somalie a démarré le 1er janvier. C’est la troisième mission consécutive dans le pays et, comme précédemment, le financement des opérations reste incertain.
La nouvelle Mission d’appui et de stabilisation de l'Union africaine en Somalie (AUSSOM) a remplacé la Mission de transition de l'Union africaine en Somalie (ATMIS). Elle a pour mandat de soutenir la construction de l'État et de démanteler les groupes terroristes notamment Al-Shabaab.
Un nouveau mécanisme devait permettre de résoudre les problèmes de financement persistants. Il prévoyait que les contributions des États membres évaluées par les Nations unies couvrent 75 % du coût annuel de la mission, les 25 % restants étant pris en charge par l'UA. Cette approche a été approuvée par la résolution 2719 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU).
La décision du CSNU de décembre 2024 de créer l'AUSSOM (résolution 2767) a indiqué la possibilité d'utiliser ce mécanisme hybride de partage des coûts pour financer la mission. Cependant, elle a fixé un délai de six mois entre le début de la mission et l'enclenchement du mécanisme. Les États-Unis ont fait valoir que « les conditions n’étaient pas réunies pour une transition immédiate vers l'application de la résolution 2719 en Somalie ».
Il faut espérer que le CSNU approuvera le nouveau mécanisme de financement de l'AUSSOM lorsque qu’il se réunira en mai.
Les divisions au CSNU sur l’application de la résolution 2719 sont une préoccupation majeure
Bien que le manque de fonds soit le principal obstacle à la mission, celle-ci doit également faire face à des défis politiques, opérationnels et de coordination.
L'AUSSOM a été au cœur d'une tempête géopolitique régionale. Elle a fait l'objet de tensions entre l'Éthiopie, l'un des principaux pays fournisseurs de troupes pour l'ATMIS, et la Somalie au sujet du protocole d'accord signé entre Addis-Abeba et le Somaliland, État indépendant autoproclamé. La médiation turque a permis de créer les conditions d'une éventuelle participation de l'Éthiopie à l'AUSSOM.
La mission a débuté avec tous les pays fournisseurs de contingents et de forces de police de l'ATMIS, à l'exception du Burundi, en raison d’une divergence dans la répartition des troupes. L'Égypte pourrait se joindre à l’AUSSOM en tant que nouveau contributeur, mais aucun accord définitif n'a encore été conclu sur la composition de la mission.
Au-delà de ces questions, le financement reste le problème essentiel. Lors de son discours le 15 février au sommet de l'UA, le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a fait allusion à l'incertitude du financement de l'AUSSOM en déclarant : « Nous demandons instamment un financement prévisible pour l'AUSSOM. J'espère que nos voix seront entendues par le Conseil de sécurité ».
Les missions précédentes (la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM) et l’ATMIS) dépendaient essentiellement du financement des bailleurs de fonds. L'Union européenne avait payé les salaires des troupes, tandis que l'ONU avait fourni un appui logistique aux missions et aux forces de sécurité somaliennes par l'intermédiaire du Bureau d'appui des Nations unies en Somalie (UNSOS).
Le plus inquiétant est le changement des priorités politiques des États-Unis sous Donald Trump
Toutefois, ces financements étaient inadéquats, imprévisibles et non viables. La Somalie a eu du mal à réaliser les progrès escomptés dans la construction de l'État, notamment en adoptant une nouvelle constitution et en mettant en place des institutions de sécurité viables. Cette situation, conjuguée à l'incertitude du financement, a contribué à l'inefficacité des deux missions de paix, aux retards dans la rémunération des troupes et aux difficultés à maintenir le contrôle des zones libérées d'Al-Shabaab.
L'AUSSOM est aujourd'hui confrontée aux mêmes problèmes. Malgré le difficile succès de l'adoption de la résolution 2719 en décembre 2023, le décaissement des fonds pour l'AUSSOM se heurte à plusieurs obstacles. L'accès aux contributions évaluées par l'ONU dépend du respect de certaines étapes de la feuille de route ONU-UA pour la mise en œuvre de la résolution 2719.
Pour résoudre ce problème, le CSNU devrait voter sur l'approbation finale du mécanisme de financement hybride en mai, après avoir examiné deux rapports importants du secrétaire général des Nations unies.
Le premier document évalue les progrès réalisés dans l'alignement des règlements financiers de l'UA et de l'ONU et la capacité de l'UA à protéger les civils, à promouvoir des approches sensibles au genre, à faire respecter les droits de l'homme et à contribuer à sa part de 25 % du budget de l'AUSSOM. Le second rapport examine la possibilité d'utiliser les ressources devenues disponibles grâce au redimensionnement de l'UNSOS, pour financer l'AUSSOM par le biais de la résolution 2719.
Étant donné que l’ATMIS a mis fin à ses activités le 31 décembre 2024, l'AUSSOM a commencé ses opérations le mois dernier sans plan de financement clair pour fonctionner pendant les six premiers mois. Il est compréhensible que le démarrage de la nouvelle mission soit vital pour éviter un vide sécuritaire.
L'analyste principal de l'International Crisis Group, Omar S Mahmood, explique que le financement de la mission pendant cette période reste incertain. En octobre 2024, le Conseil de paix et de sécurité de l'UA a recommandé d’utiliser « une partie des intérêts générés par l'investissement du Fonds de paix de l'Union africaine pour contribuer de manière substantielle au financement de l'AUSSOM ».
L'UA devrait se préparer à palier un retard ou la suspension de la résolution 2719
En attendant qu'une décision du CSNU soit prise, probablement à partir de juillet 2025, l'UA applique ce qu’avait prévu l'accord ATMIS pour le paiement des troupes. Toutefois, on ne sait pas d’où viendront les fonds pour rembourser les pays fournisseurs de contingents, ni s'il existe un plan de financement d'urgence au cas où le modèle hybride ne se concrétiserait pas après le mois de juin.
Les divisions au sein du CSNU concernant l’application de la résolution 2719 constituent une préoccupation majeure. La décision du Conseil de retarder l'application de la résolution jusqu'en juillet 2025 reflète les débats intenses qui ont précédé l'approbation de l'AUSSOM.
La plupart des membres du Conseil de sécurité, y compris le groupe africain (A3), étaient favorables à l'application immédiate de la résolution 2719 à l'AUSSOM. Cependant, les États-Unis étaient réticents et se sont finalement abstenus lors de l'adoption de la résolution 2767, qui donnait son mandat à l'AUSSOM.
Les États-Unis étaient également préoccupés par le manque de clarté sur la partie du financement de la mission qui serait couverte par la résolution 2719. Ils ont déclaré que l'ensemble du programme ainsi que les allocations des troupes de l'AUSSOM et l'UNSOS devraient être financés par la résolution 2719, privilégiant une approche « une mission, un budget ». D'autres membres du Conseil ont déclaré que la résolution 2719 ne concernait que le financement des allocations, tandis que l'UNSOS continuerait de relever des contributions de l'ONU.
Le plus inquiétant est le changement des priorités politiques des États-Unis sous la deuxième administration de Donald Trump. Il marque un retrait plus général des États-Unis des engagements multilatéraux et la réduction de leurs contributions au maintien de la paix de l'ONU. Le gel du financement de la mission de l'ONU en Haïti en est un exemple.
Ce changement était déjà évident dans la déclaration du 11 février du président de la commission des affaires étrangères du Sénat américain, qui affirmait : « La résolution 2719 ne devrait pas être utilisée pour financer l'AUSSOM, car elle enfermerait les États-Unis dans un financement perpétuel », soulignant les implications pour le contribuable américain.
Si les États-Unis étendent cette approche, cela créera un manque crucial de fonds pour les missions soutenues par l'UA et l'ONU telles que l'AUSSOM, aggravant ainsi les contraintes financières.
Néanmoins, l'équipe de travail conjointe ONU-UA doit accélérer le processus d'achèvement des exigences de la feuille de route afin d'activer la résolution 2719. La Commission de l'UA doit présenter son plan visant à fournir 25 % des fonds, ce qui pourrait impliquer la convocation d'une conférence des donateurs.
L'UA devrait également élaborer un plan d'urgence pour le financement de l'AUSSOM pour parer un éventuel retard ou une suspension de l'application de la résolution 2719, ou même la réduction des effectifs de la mission. Le consensus sur la nécessité d'un financement alternatif des missions de l'UA en Somalie existe depuis plus d'une décennie, mais peu de progrès ont été réalisés.
Le soutien des États-Unis est essentiel, étant donné que, sans l'AUSSOM, les progrès contre Al-Shabaab en Somalie pourraient être réduits à néant. L'UA, par l'intermédiaire des A3, devrait s'engager auprès des membres du CSNU, en particulier des États-Unis, pour éviter de nouveaux retards de financement. La Somalie peut mettre à profit son statut de membre du CSNU, qui a débuté le mois dernier, pour stimuler ces efforts.
Cette incertitude concernant l'AUSSOM met en lumière le défi plus grand du financement des efforts collectifs de l'Afrique en matière de paix et de sécurité. Il est temps pour le continent de favoriser une plus grande appropriation africaine tout en réduisant la dépendance excessive à l'égard des ressources extérieures.
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