Le coût fatal du retard de la réforme du secteur de la sécurité au Soudan du Sud

De violents affrontements entre factions armées dans le camp de Riek Machar témoignent de l'urgence de créer une force de défense unifiée.

Le Soudan du Sud n'a pas réussi à unifier les groupes armés du pays en une seule et même force dont l'objectif central serait d'assurer la sécurité nationale. La réforme du secteur de la sécurité a été entravée par une culture politique militarisée où les tensions politiques peuvent se transformer en un conflit armé.

Les désaccords entre le vice-président Riek Machar et des personnalités de haut rang appartenant au parti d'opposition en sont l'illustration la plus récente. En août, des dirigeants ont tenté de démettre Machar de ses fonctions de chef de parti, et le premier Lieutenant général Simon Gatwech Dual a émergé comme chef de la faction rivale.

Les rapports indiquant que les forces armées loyales aux deux camps ont échangé des coups de feu n'étaient pas sans rappeler la fusillade qui a eu lieu entre les membres de la garde présidentielle en décembre 2013, au début de la guerre civile. Bien que Machar ait maintenu son emprise sur le parti, les retombées montrent à quel point les conflits politiques internes peuvent rapidement mener à des actes de violence armée.

Les forces armées sont devenues des instruments puissants, alignés sur certains individus plutôt que sur l'État

Le parti au pouvoir et l’opposition au Soudan du Sud sont fondés sur des mouvements militaires aux affiliations politiques faibles. Par conséquent, les distinctions entre les dirigeants et les forces armées sont floues. Cette tendance a également renforcé les divisions ethniques qui entravent l'unification des troupes dans l'Armée populaire de libération du Soudan (APLS) et l'APLS dans l'opposition.

Les forces armées sont devenues un instrument puissant, aligné sur certains dirigeants plutôt que sur les structures de l'État ou du parti central. La combinaison de ces groupes dans le cadre d’un système national atténuerait l’influence que les généraux de l’opposition ont obtenue en commandant leurs propres milices. À moins de changer le rôle de l’aile militaire du parti, les tensions politiques dans l'opposition se transformeront probablement en affrontements armés qui pourraient déclencher une instabilité généralisée.

L'absence de réforme du secteur de la sécurité a non seulement affecté les forces armées, mais aussi la police et d'autres institutions de sécurité. Les changements qui ont été entrepris à partir de 2005 ont été interrompus lorsque la guerre civile a éclaté, en 2013. Les réformes en cours ont été lancées en 2018 dans le cadre de l'Accord revitalisé sur le règlement du conflit dans la République du Soudan du Sud (R-ARCSS) et s'avèrent essentielles pour assurer la paix. Malheureusement, la situation politique et institutionnelle du pays complique ce processus.

Trois ans plus tard, les mécanismes de surveillance de la réforme du secteur de la sécurité ne sont toujours pas entièrement fonctionnels

Après l'échec de plusieurs accords de paix, le R-ARCSS a engendré un optimisme prudent quant à la possibilité de stabiliser le pays, permettant ainsi de poursuivre des réformes qui avaient été interrompues pendant la guerre civile. La Mission des Nations Unies au Soudan du Sud a joué un rôle de premier plan dans l'appui de ces efforts renouvelés.

Le R-ARCSS prévoit des mécanismes de sécurité pour encadrer les réformes au cours de la période transitoire de 18 mois. Il s'agit notamment du Comité mixte chargé des dispositions transitoires de sécurité qui est responsable de la formation et du redéploiement des forces unifiées, de la Commission militaire mixte du cessez-le-feu, et des comités militaires mixtes de zone qui surveillent les zones de cantonnement et forment les forces d'opposition.

Ces structures devaient être formées dans les deux semaines suivant la signature du R-ARCSS, mais ne sont toujours pas pleinement fonctionnelles, près de trois ans plus tard. Cela est notamment dû au fait que les groupes armés restent à l'extérieur de leurs camps de cantonnement. Il convient également de noter que ces camps ont été créés pour enregistrer, contrôler et désarmer les soldats et faciliter la sélection des membres à recruter dans la police, dans l'armée et dans d'autres institutions de sécurité.

La tentative de destitution de Machar est due à une volonté d’empêcher l’unification des forces armées

Les troupes ont toutefois continué à déserter les camps de cantonnement à cause des mauvaises conditions de vie et des pénuries alimentaires. Les retards et le non-respect de délais ont donc entravé le processus de création d’une force unifiée de défense du peuple du Soudan du Sud, qui remplacera l’Armée populaire de libération du Soudan.

Il y a aussi une certaine confusion autour des ratios d'unification du commandement de l'armée, Machar ayant nié qu'il avait accepté que l'APLS dans l'opposition ne reçoive que 40 % des postes. Cette position reflète sa propension à se défaire des engagements faits sous le gouvernement de transition.

Ces défis montrent la précarité du contexte politique et des cadres institutionnels qui sous-tendent les réformes. La récente tentative de renverser Machar en tant que chef du parti d'opposition en est la preuve. Les désaccords au sein de l’APLS dans l’opposition ont également conduit à la démission de son député Henry Odwar du gouvernement de transition. Odwar a émis des critiques acerbes à l'encontre de Machar, mentionnant sa négligence des forces d'opposition dans les zones de cantonnement.

Le porte-parole de Machar a accusé la faction rivale de Dual d’avoir tenté de le destituer dans le but d’empêcher l’unification des forces armées. Ces tensions entre Machar et l’aile militaire de l’APLS dans l’opposition pourraient avoir des répercussions violentes qui risquent de perturber davantage le processus de réforme du pays.

Résoudre ces tensions et remettre l’unification des forces armées sur la bonne voie ne sera pas tâche facile. Il est impératif de s’assurer que la Commission militaire mixte de cessez-le-feu et les comités militaires mixtes de zone sont pleinement fonctionnels pour permettre la création d'une force de défense unique pour le pays. Toutefois, au final, la relance des réformes au Soudan du Sud dépendra de l'engagement politique des dirigeants du pays, notamment l'opposition, à respecter l'accord de paix de 2018.

Chido Mutangadura, Consultant, Opérations de paix et consolidation de la paix, ISS Pretoria

Cet article est publié dans le cadre du programme Training for Peace (TfP), une initiative financée par le gouvernement de la Norvège.

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Crédit photo : Human Rights Watch

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