Le climat, l'énergie et le dilemme africain
Les dirigeants peuvent-ils concilier le potentiel de l'Afrique en tant que géant vert mondial et sa forte dépendance à l'égard des combustibles fossiles ?
Publié le 17 novembre 2021 dans
ISS Today
Par
Dhesigen Naidoo
chercheur principale associé, Risque climatique, ISS Pretoria
L'Afrique du Sud a fait l'objet d'une grande attention ce mois-ci avec l'annonce d'un accord de 131 milliards de rands (soit environ 8,5 milliards de dollars) en marge de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique de 2021 à Glasgow (COP26). Les partenaires internationaux que sont l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis se sont engagés à accorder des subventions et des prêts à des taux plus avantageux pour aider l'Afrique du Sud dans le cadre de son programme de transition énergétique, Just Energy Transition Transaction (JETT).
Grâce à un ensemble de nouveaux projets d'énergie renouvelable, l'Afrique du Sud est désormais en passe d'atteindre les objectifs des contributions déterminées au niveau national (objectifs volontaires des pays en matière de carbone), qui sont au cœur de l'Accord de Paris. Cela inclut la voie vers des émissions nettes nulles et, avec optimisme, un chemin vers une plus grande sécurité énergétique nationale. L'accord a été porté par la présidence et salué dans de nombreux milieux, y compris dans les secteurs de la société civile, qui soutiennent cette étape potentiellement catalytique.
Le Directeur général de la Rand Merchant Bank, James Formby, a déclaré que l'accord pourrait mobiliser des financements supplémentaires à hauteur de 390 milliards de rands (soit un peu plus de 25 milliards de dollars) pour des projets de transition énergétique. En revanche, la réaction du ministre des Ressources minérales et de l'énergie, Gwede Mantashe, appelle à la prudence.
Cet optimisme prudent du gouvernement reflète le dilemme fondamental auquel sont confrontés de nombreux pays africains. Les dirigeants continentaux ont été parmi les principales voix du segment de haut niveau de la COP26, plaidant fortement en faveur d'un plus grand engagement et d'un accord mondial pour accélérer la transition vers un avenir à faibles émissions de carbone.
Les combustibles fossiles et les richesses minérales sont essentiels au positionnement géopolitique et à l'importance stratégique de l'Afrique
Dans le même temps, une approche plus sobre a été adoptée lors de la Semaine africaine de l'énergie, tenue du 9 au 12 novembre au Cap. Le président de la Chambre africaine de l'énergie, NJ Ayuk, a été clair : « Nous allons procéder à une transition énergétique… mais elle doit être juste. » Ce sentiment a été répété et renforcé lors des déclarations ministérielles des gouvernements.
Le Secrétaire général de l'Organisation des producteurs de pétrole africains, Dr Omar Farouk Ibrahim, a rappelé aux délégués les réserves confirmées de pétrole et de gaz à travers le continent. L'Afrique a un potentiel de rendement de 125,8 milliards de barils de pétrole (soit 7,7 % des réserves mondiales). Aux cours actuels, cela représente un revenu de plus de 10 500 milliards de dollars US (près de quatre fois le produit intérieur brut de l'Afrique).
L'Afrique dispose également de 14 250 milliards de mètres cubes de gaz naturel (soit 7,2 % des réserves mondiales). Combinées au charbon, ces réserves représentent un actif énergétique important sur le marché actuel. Outre le potentiel économique que cela constitue, l'approvisionnement en combustibles fossiles et la richesse minérale de l'Afrique sont essentiels pour déterminer le positionnement géopolitique et l'importance stratégique du continent.
Le développement accéléré des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques et des économies émergentes importantes est alimenté par l'accès à l'énergie et la sécurité énergétique. Ceux-ci ont été initiés principalement à l'ère du charbon, avec une croissance exponentielle à l'ère du pétrole et du gaz.
L'Afrique dispose d'un potentiel élevé en matière d'énergies renouvelables et de capacités considérables de séquestration du carbone, comme les forêts tropicales
Cela s'est produit alors que les scientifiques avaient déjà établi que les gaz à effet de serre étaient responsables du réchauffement climatique au début du XIXe siècle. Dans les années 1960, les recherches scientifiques ont clairement établi le lien entre les émissions de carbone et ce que nous appelons aujourd'hui le réchauffement climatique. Ainsi, les pays développés, pourtant conscients de ces conséquences, ont continué à émettre à des taux prolifiques pour atteindre leurs objectifs de croissance.
Le célèbre protocole de Kyoto a marqué la reconnaissance d'une crise environnementale due au carbone, et un accord mondial a été signé. Mais avant même que les verres de saké n'aient été vidés, l'administration du président américain de l'époque, Bill Clinton, a dû se rétracter lorsque le Sénat du pays a voté à l'unanimité, 95 voix contre 0, le rejet de l'accord de Kyoto.
Le professeur Faizel Ismail, diplomate à l'Organisation mondiale du commerce, a déclaré à ISS Today que « au bout du compte, tout se résume à la compétitivité », car les succès des économies émergentes devennaient évidents. La raison invoquée par les États-Unis et de nombreux autres partenaires développés était le besoin d'inclusion, en particulier de l'Inde et de la Chine. Plus tard, les lobbies des combustibles fossiles ont investi dans la recherche pour contester le phénomène. Bien que ces efforts aient échoué, ils ont toutefois permis de gagner du temps.
Un accès insuffisant à l'énergie a entravé le développement de l'Afrique. Ses ambitions, telles qu'elles sont exprimées dans le plan directeur de l'Agenda 2063 de l'Union africaine et dans les plans correspondants des communautés économiques régionales, reposent sur un accès accru à l'énergie et sur des revenus énergétiques.
Les solutions linéaires proposées et exigées des deux côtés de la fracture carbone sont inappropriées
Dans le même temps, le potentiel des énergies renouvelables en Afrique est vaste. Le continent a réalisé de grandes avancées et a fait preuve de leadership dans le domaine des énergies renouvelables. Le projet Noor Ouarzazate au Maroc (le plus grand complexe à énergie solaire concentrée du monde), le parc éolien du lac Turkana au Kenya et le projet JETT en Afrique du Sud illustrent tous des initiatives de référence mondiale.
De nombreux autres projets sont déjà en cours de planification, notamment des centrales solaires en Namibie, des expériences avancées dans le domaine de l'économie de l'hydrogène et des mégaprojets tels que l'initiative de la Grande Muraille verte, qui vise à créer une bande verte sur toute la largeur de l'Afrique. Le continent contribue également de manière significative au maintien de l'équilibre du carbone, puisqu'il abrite la deuxième plus grande forêt tropicale du monde. Ces forêts tropicales constituent des pièges à carbone et des producteurs d'oxygène essentiels à l'échelle mondiale.
L'Afrique se fait entendre sur de nombreuses tribunes quant à la nécessité vitale d'atténuer les effets du changement climatique au niveau mondial afin de limiter l'augmentation de la température à environ 2 ° C d'ici à 2100. Le continent recèle un fort potentiel d'énergies renouvelables et d'énormes atouts en matière de séquestration du dioxyde de carbone, comme les forêts tropicales. Il dispose également de minerais tels que le lithium et les métaux de terres rares nécessaires pour propulser la révolution des énergies renouvelables.
L'obstacle majeur est le financement et l'accessibilité financière à différents niveaux. Il est indéniable que l'Afrique regorge d'énormes réserves de combustibles fossiles. Le dividende économique qui en découle est indispensable pour sortir de la récession induite par la pandémie de COVID-19 et réaliser les plans de développement du continent.
Tel est le dilemme africain en matière de climat et d'énergie. Les solutions linéaires proposées et exigées, de part et d'autre du clivage carbone, sont inappropriées. Pour parvenir à des émissions nettes nulles, il est essentiel de prendre conscience du dilemme climatique du continent et de reconnaître que l'Afrique est un atout potentiel pour le climat mondial.
Dhesigen Naidoo, chercheur principal associé, Futurs africains et innovation, ISS Pretoria
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Crédit photo : Karwai Tang/UK Government