L’attaque terroriste d’une école souligne les lacunes sécuritaires en Ouganda

Les communautés à la frontière avec la RDC sont particulièrement exposées aux agressions et au recrutement par des groupes militants.

Le 16 juin, l’école secondaire de Mpondwe Lhubiriha dans l’ouest de l’Ouganda, près de la frontière avec la République démocratique du Congo (RDC), a été prise d’assaut. Au moins 40 élèves, un gardien et trois civils ont été tués. Vingt filles ont été assassinées à la machette et 17 garçons sont morts brûlés vifs, à la suite de la projection de cocktails Molotov dans leur dortoir. Six autres élèves ont été enlevés afin de transporter de la nourriture jusqu’à la base des attaquants.

Les forces de sécurité pensent que les assaillants appartenaient aux Forces démocratiques alliées (ADF) basées en RDC. En 1998, les ADF s’en étaient pris au collège technique de Kichwamba, en Ouganda, près de la frontière avec la RDC. Quatre-vingts étudiants avaient été brûlés vifs dans leur dortoir et plus d’une centaine avaient été enlevés. En 2021, des kamikazes membres des ADF avaient attaqué Kampala, faisant trois morts et plus de trente blessés. Les ADF, considérés à la fois comme un groupe extrémiste violent et un groupe criminel organisé, opèrent en RDC et en Ouganda depuis plusieurs décennies.

Les gouvernements doivent endiguer l’extrémisme violent avec l’aide des acteurs locaux

Malgré les diverses interventions des professionnels de l’antiterrorisme des organisations locales et du gouvernement au fil des ans pour prévenir l’extrémisme violent au niveau communautaire, il faut faire davantage pour améliorer la sécurité, en particulier dans les régions frontalières.

La région frontalière de l’ouest de l’Ouganda

La région frontalière de l’ouest de l’Ouganda

Source : ISS
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Les municipalités et les districts ougandais proches de la frontière congolaise sont considérés comme particulièrement vulnérables aux attaques et au recrutement par des groupes terroristes. Muhsin Kaduyu, expert en prévention du terrorisme basé à Kampala, a déclaré à ISS Today que les zones frontalières étaient confrontées à des défis spécifiques. L’afflux de réfugiés de la RDC, la circulation non réglementée des personnes et des biens et les taux de chômage élevés sont exploités par des groupes tels que les ADF. Les communautés proches de la RDC sont des cibles faciles, les assaillants pouvant se replier rapidement de l’autre côté de la frontière.

Les attaques contre des cibles faciles telles que les écoles attirent l’attention du monde entier et font de la publicité au groupe. Despina Namwembe, spécialiste de la prévention de l’extrémisme violent basée à Kampala, explique qu’une attaque avec mort d’enfants crée une frénésie médiatique au niveau local et international. L’enlèvement des jeunes permet également au groupe de gonfler ses effectifs.

Selon Kaduyu, l’attaque du 16 juin pourrait être une réaction à l’opération Shujaa, une campagne conjointe des Forces de défense du peuple ougandais et des Forces armées de la République démocratique du Congo chargée de déloger les ADF de l’est de la RDC. Les ADF, qui recourent à des attaques de type guérilla sur des cibles vulnérables, auraient subi de lourdes pertes au cours de cette opération. La maire adjointe de la division de Nakawa (Kampala), Gloria Mutoni, pense que l’attaque visait à recruter des membres et à gagner le soutien de la communauté.

Les experts locaux affirment qu’ils n’ont pas connaissance d’un quelconque soutien des communautés ougandaises aux groupes terroristes. Ceux qui rejoignent volontairement les ADF, ou d’autres groupes, le font généralement pour des raisons purement économiques. « Les défis structurels qui mettent en évidence un sentiment croissant d’exclusion sociale, de marginalisation ou d’injustice rendent les communautés plus vulnérables à la radicalisation », explique Kaduyu. Certaines personnes rejoignent donc volontairement le groupe.

Les récentes attaques des ADF ont exacerbé la discrimination contre les musulmans en Ouganda

Geoffrey Ngiriker, maire de la municipalité de Nebbi, dans le nord-ouest de l’Ouganda, explique que de nombreux jeunes de sa communauté, et d’autres zones frontalières, vont en RDC pour répondre à des offres d’emplois ou pour profiter d’incitations financières. Une fois sur place, ils sont contraints de rejoindre les ADF.

Selon Alok Jacob, membre d’une organisation de la société civile (OSC) à Lira City, dans le centre-nord de l’Ouganda, lorsque des groupes tels que les ADF ne parviennent pas à recruter suffisamment de volontaires, ils recourent à la force. La tristement célèbre Armée de résistance du Seigneur a également utilisé de nombreux enfants soldats lors de son insurrection dans le nord du pays.

Les attaques ont des conséquences à tous les niveaux pour les communautés locales. Selon Jackob, outre les effets psychologiques et les traumatismes, les services de base et les infrastructures sont généralement détruits, ce qui limite l’accès à l’éducation et à l’emploi.

Selon Kaduyu, les récentes attaques des ADF ont exacerbé la discrimination envers les communautés musulmanes et détérioré les relations interconfessionnelles et communautaires. Le ministre ougandais de l’Intérieur, le général de division Kahinda Otafiire, s’est rendu dans une école primaire de Kampala à l’occasion de l’Aïd al-Adha, en juin, afin de sensibiliser la population à l’extrémisme islamiste. Il a dissuadé les communautés de soutenir des idéologies extrémistes violentes et exhorté la police à cesser d’associer les citoyens musulmans aux terroristes.

La résilience des jeunes passe par le renforcement des capacités et la formation professionnelle

Les spécialistes de la construction de la paix espèrent que la tuerie de l’école de Mpondwe Lhubiriha conduira le gouvernement ougandais à renforcer les mesures de sécurité, en particulier au sein des communautés à risque. Edgar Buryahika, directeur de Youth for Peace and Development Uganda, estime que le gouvernement devrait étudier les causes de la vulnérabilité et des conflits et les traiter dans le cadre d’une approche impliquant l’ensemble de la société. Les experts affirment que le gouvernement ne peut à lui seul endiguer l’extrémisme violent : les acteurs locaux doivent faire partie de la solution.

Plusieurs représentants des autorités locales et des organisations de la société civile travaillent à la réalisation de cet objectif, notamment en organisant des sessions de dialogue et en renforçant la résilience des communautés. Kaduyu explique que la stratégie nationale ougandaise de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent implique les institutions publiques, les organisations de la société civile, les universités, le secteur privé et les médias.

Namwembe, qui représente les OSC au sein du comité national ougandais de lutte contre le terrorisme, estime que l’approche collaborative du gouvernement a connu un certain succès, notamment en rassemblant diverses parties prenantes. Mais les experts pensent qu’il faut mettre davantage l’accent sur le renforcement des capacités des jeunes et sur la formation professionnelle afin de promouvoir la résilience. Le dialogue interconfessionnel et interculturel est également important.

Ngiriker et Mutoni soulignent la nécessité de renforcer la confiance entre les forces de sécurité et les communautés locales. Il faut également accroître  les capacités des forces de l’ordre et du gouvernement pour faire face aux moteurs de l’extrémisme violent.

L’Ouganda prend des mesures pour stabiliser la situation, mais elles sont insuffisantes. Il faut améliorer l’échange d’informations et proposer un soutien financier et technique aux programmes locaux afin d’atténuer les facteurs d’insécurité.

Les communautés locales, en particulier à proximité des frontières, doivent mieux appréhender et identifier leurs problèmes de sécurité. « Plus elles en seront conscientes, plus elles auront les moyens de résister à ces menaces », explique Kaduyu.

Isel Ras, consultante en recherche, Justice et Prévention de la violence, ISS Pretoria

Image : © Stuart Tibaweswa/AFP

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