L’Afrique saura-t-elle maintenir le cap pour faire taire les armes d’ici 2030 ?

L’Union africaine instaure un nouveau dispositif pour suivre les progrès réalisés sur la longue route vers un continent sans conflit.

L’Union africaine (UA) semble avoir pour habitude de fixer des échéances à des objectifs trop ambitieux, et d’avoir ensuite du mal à les atteindre. Comme ce fut le cas avec des initiatives telles que l’adoption du passeport africain avant 2018 et l’autofinancement de l’UA par une taxe sur les importations avant 2017.

C’est également ce qui s’est passé pour l’initiative « Faire taire les armes d’ici 2020 » qui est un projet phare de l’Agenda 2063 de l’UA. Or, l’année 2020 est arrivée et s’est achevée sans que l’Afrique n’ait atteint son objectif de devenir un continent sans conflit. L’échéance a donc été repoussée à 2030.

Certains prédisent déjà de manière cynique que cet objectif ne sera pas atteint, compte tenu de l’insécurité qui a tendance à croître sur le continent. Parmi les principales cause de cette insécurité figurent la propagation du terrorisme et de l’extrémisme violent, la résurgence des coups d’État, l’instabilité et les conflits liés aux ressources dans des régions comme celle des Grands Lacs, et les conflits intraétatiques comme au Soudan du Sud, en Libye, en Éthiopie et au Cameroun.

Il sera difficile, voire impossible, de s’attaquer aux causes multiples et profondes des nombreux conflits africains d’ici 2030 dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et du ralentissement de l’économie mondiale qui en découle. L’UA reste également contrainte par la souveraineté de ses États membres. Elle ne peut que tenter d’inciter les États membres à prendre la bonne direction, mais, en définitive, elle a les mains liées. Cela ne changera pas d’ici 2030.

Pour éviter toute déception, la Commission de l’UA s’efforce de mieux définir ce que signifie faire taire les armes dans le cadre des objectifs de l’Agenda 2063 et de fixer les étapes spécifiques à franchir d’ici 2030.

L’UA semble avoir pour habitude de fixer des échéances à des objectifs trop ambitieux et d’avoir ensuite du mal à les respecter

La Feuille de route principale pour faire taire les armes, adoptée à Lusaka en 2016, manquait de clarté et péchait par l’absence d’une matrice de mise en œuvre réalisable, dotée d’indicateurs précis pour mesurer les progrès. Allant dans le sens des efforts pour en améliorer l’exécution, un cadre de suivi et d’évaluation (S&E) a été adopté par la Conférence de l’UA en février, et un plan de mise en œuvre pour guider la contribution des acteurs clés est en cours d’élaboration.

Comme on pouvait s’y attendre, ce processus d’ajustement du cadre de S&E pour sa mise en œuvre est difficile. Deux années se sont écoulées depuis le report de l’échéance à 2030.

De plus, les objectifs de l’initiative « Faire taire les armes » sont extrêmement larges. Ils englobent presque tout ce que l’UA fait ou est censée faire. Le nouveau cadre de S&E  répartit les questions que la feuille de route de « Faire taire les armes » doit traiter selon les grandes catégories relatives aux enjeux politiques, économiques, juridiques et sociaux.

Certains objectifs tels que le renforcement du financement des opérations africaines de soutien à la paix, la mise en place d’interventions militaires dans le cadre de la Force africaine en attente (FAA) ou la prévention de la circulation des flux d’armes illicites en Afrique peuvent être assez facilement rattachés à une liste d’indicateurs de réussite. Le succès peut être mesuré, par exemple, en examinant les sommes disponibles dans le Fonds pour la paix, le nombre de déploiements de la FAA, la coopération entre les agences de sécurité et la ratification et l’application des traités visant à éradiquer le trafic d’armes illicites.

Certains objectifs, tels que le succès des stratégies de médiation et du maintien de la paix en Afrique, sont toutefois plus difficiles à évaluer. Comment prouver qu’un conflit aurait été plus grave si les artisans de la paix n’étaient pas intervenus ? Il est toujours plus difficile de mesurer la réussite du rétablissement de la paix que son échec.

Les Africains veulent un continent plus pacifique et prospère d’ici à la fin de la décennie, sans autre explication

D’autres sujets exigent également une volonté politique beaucoup plus forte. C’est le cas notamment des questions relatives à la souveraineté, que la simple adoption d’un cadre de S&E par l’UA ne pourra faire évoluer. Par exemple, l’UA prévoit d’exiger des États membres qu’ils respectent leurs engagements pris au titre de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. La Charte vise à garantir la tenue d’élections libres et équitables et à empêcher les chefs d’État de réécrire unilatéralement la constitution de leur pays afin de rester au pouvoir. C’est une tâche difficile à accomplir pour une organisation intergouvernementale qui n’a aucune emprise juridique sur ses États membres.

Cependant, sans placer la barre trop bas, la simple ratification par les États membres de leurs propres décisions au fil des ans constituerait une première étape importante ­– que peut mesurer le cadre de S&E. L’application de sanctions à l’encontre de ceux qui ne respecteraient pas les instruments de l’UA représenterait une autre étape nécessaire – elle est d’ailleurs également mentionnée dans le cadre de S&E.

Les progrès économiques et sociaux à accomplir sur le continent pour faire taire les armes d’ici 2030 sont plus vastes et plus difficiles à mesurer. Toutefois, il devrait être possible de repérer et de recouvrer les flux financiers illicites venant d’Afrique, d’harmoniser les législations et de renforcer les capacités des services de renseignement financier des États, d’améliorer le respect du droit du travail et de faire respecter les réglementations relatives à l’industrie extractive.

La promotion de l’industrialisation du continent et la création d’emplois décents sont, quant à elles, plus difficiles à mesurer et à réaliser. Il en va de même pour les aspects sociaux de la feuille de route.

Pourtant, face à l’immensité de la tâche, la Commission de l’UA, loin de se défausser, tente d’aller de l’avant. Il faut l’en féliciter.

Il est essentiel de faire mieux connaître le programme « Faire taire les armes » et de s’assurer de l’adhésion des États membres

Le danger de trop s’appuyer sur des cadres, des documents et des comités est que les citoyens ordinaires s’attendent à des résultats concrets. Les Africains veulent voir un continent plus pacifique et plus prospère d’ici la fin de la décennie, sans autre explication. Cela dépasse clairement ce que l’UA et ses organes et institutions peuvent offrir, à moins qu’une nouvelle façon de gérer la paix et la sécurité ne soit adoptée.

Grâce à la feuille de route et au cadre de S&E, l’organisation continentale pourrait dégager quelques objectifs parmi les plus réalisables qu’elle s’est fixés et montrer les progrès accomplis.

Pour que cela devienne réalité et que les citoyens puissent en suivre les progrès, il est essentiel de relancer les efforts pour mieux faire connaître le programme « Faire taire les armes » et de s’assurer de l’adhésion des États membres. Pour ce faire, il convient d’impliquer le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, qui dispose de points focaux dans la plupart des pays, mais également le Conseil économique, social et culturel de l’UA, le secteur privé, les organisations de la société civile et les médias.

L’objectif global de l’Agenda 2063 est de parvenir à une « Afrique intégrée, prospère et pacifique ». Ces trois aspects progressent, mais à un rythme trop lent. L’accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine a été adopté en fanfare en 2018 et un secrétariat a été mis en place à Accra. Pourtant, les négociations finales autour des questions clés se poursuivent encore et les échanges commerciaux n’ont toujours pas débuté.

Son adoption rapide par les États a profité du leadership fort d’États influents et du soutien financier de certains partenaires. L’initiative « Faire taire les armes » devrait bénéficier du même élan, du même cadre institutionnel et de la même urgence.

Liesl Louw-Vaudran, chercheuse principale, ISS Pretoria

Cet article a été publié pour la première fois par le Rapport sur le CPS de l’ISS.

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