L’Afrique et l’Europe doivent s’accorder sur la transition verte

Malgré des relations tendues sur les questions climatiques, le développement de l’Afrique passe par la convergence des plans de transition énergétique et écologique de l’UA et de l’UE.

L’énergie est l’enjeu clé du développement de l’Afrique et de sa transition verte. Environ 600 millions d’Africains et 10 millions de moyennes entreprises n’ont pas accès à l’électricité sur le continent ; des millions de ménages cuisinent au charbon, au bois et au kérosène. On estime que la demande actuelle en charbon de bois détruit chaque année 3 % de la surface forestière de l’Afrique.

La transition verte est l’une des cinq priorités du partenariat Afrique-Union européenne (UE) qui a été conclu en 2020 afin de mieux  coordonner les actions des deux continents. La transformation énergétique est un point déterminant dans cette transition.

Mais l’Europe et l’Afrique sont-elles sur la même longueur d’onde en ce qui concerne la transition verte ? Et, lorsque la question sera abordée lors du sixième Sommet UE-Union africaine (UA) qui doit se tenir à Bruxelles cette semaine, les travaux déboucheront-ils sur une coopération concrète et mutuellement bénéfique ?

Le 10 février, l’UE a annoncé un plan d’investissement de 150 milliards d’euros pour l’Afrique, centré sur la transition verte, notamment la production d’énergie renouvelable et la protection de la biodiversité. Mais les détails et les implications des plans énergétiques de l’Europe pour l’Afrique sont ambigus et pourraient avoir un impact négatif sur de nombreux pays du continent.

Les relations entre l’Europe et l’Afrique sur les enjeux climatiques sont tendues

La situation énergétique en Afrique varie énormément d’un pays à l’autre. Certains, comme le Maroc, Maurice et la Namibie, dépendent des importations d’énergie et sont mûrs pour investir dans les énergies renouvelables. Les États ayant un fort potentiel en énergies renouvelables et un accès limité à l’énergie pourraient sauter l’étape de la dépendance au carbone et devenir des modèles d’innovation verte et d’industrialisation à faible émission de dioxyde de carbone.

D’autres pays, tels que le Mozambique, le Kenya, la Tanzanie, le Ghana, l’Ouganda, le Sénégal et la Côte d’Ivoire, sont des exportateurs d’énergie. Nombre d’entre eux dépendent des exportations de combustibles fossiles et ont récemment bloqué des investissements qui risquent de se transformer en actifs irrécupérables. Les propositions visant à s’éloigner des combustibles fossiles sans fournir d’alternative concrète les préoccupent.

Les dirigeants africains ont raison de s’inquiéter de savoir ce qui remplacera leurs exportations de combustibles fossiles si les partenaires européens s’en écartent dans leur quête de neutralité carbone. L’UE a proposé un Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ; il s’agit d’un prélèvement sur certains produits d’importation qui a un impact négatif sur les exportateurs africains. Si l’Europe réduit ces importations ou impose des blocages commerciaux sans les remplacer ni aider à trouver des alternatives, il y aura sans aucun doute des perdants sur le plan économique.

Certains accusent l’Europe de faire « deux poids, deux mesures ». Les combustibles fossiles représentent de loin la part la plus importante des importations de l’UE en provenance d’Afrique. L’Europe reconnaît également la nécessité de continuer à investir dans le gaz pour son usage interne, tout en mettant fin à son financement dans les pays en développement.

Les plans énergétiques de l’Europe pourraient avoir un impact négatif sur certains pays africains

L’une des priorités du partenariat Afrique-UE devrait être le développement de nouvelles chaînes de valeur et d’approvisionnement en énergie verte qui permettent aux économies africaines de se développer. Certains en Europe s’intéressent actuellement à la production d’hydrogène vert dans les pays africains comme alternative aux importations de combustibles fossiles. Or, la production d’hydrogène est très énergivore.

Si la production des exportations européennes nécessite d’avoir recours à des sources d’énergie situées dans des zones où les populations africaines locales n’ont pas accès à l’électricité, alors elle ne pourra pas être durable. Cela pourrait provoquer des tensions politiques et sociales, voire des conflits. Toute technologie à faible émission de carbone qui répond aux besoins énergétiques de l’Europe devrait apporter une valeur ajoutée à l’Afrique.

La poursuite de l’exploration et du développement du gaz naturel en Afrique fait l’objet de nombreux débats, notamment en raison des besoins énergétiques du continent. Le problème étant que les énergies renouvelables ne suffisent pas à elles seules à répondre aux besoins de l’industrialisation. Le débat sur le gaz doit être adapté à chaque contexte ; de plus, il doit tenter de trouver un équilibre entre les progrès économiques des pays et leur décarbonation.

La transformation verte de l’Europe repose sur des matières premières telles que le cobalt, le lithium, le nickel et le cuivre, des ressources dont l’Afrique regorge. Par exemple, 60 % du cobalt dans le monde provient de la République démocratique du Congo. L’UE et l’UA doivent veiller à ce que la concurrence autour de ressources en voie d’épuisement n’alimente pas les conflits et ne mette pas davantage à mal la gouvernance dans ces régions.

Les pays africains ayant un fort potentiel en énergies renouvelables et un accès limité à l’énergie pourraient passer outre la dépendance au carbone

La plupart des pays africains dépendent essentiellement des exportations de leurs ressources naturelles et de produits de base. L’industrialisation verte revêt alors un caractère essentiel pour diversifier et développer les économies africaines et les rendre moins dépendantes de l’extraction des ressources et des combustibles fossiles. Sans accès à l’énergie, cette industrialisation verte restera lettre morte.

L’UA et l’UE doivent montrer qu’elles accordent la priorité à la transformation économique verte dans leur programme commun. Celle-ci doit être au cœur de l’engagement de l’UE et de l’Afrique en matière de transition et d’adaptation énergétiques. L’UE et l’UA doivent déterminer, sur le plan économique, qui seront les gagnants et les perdants de la neutralité climatique et investir conjointement dans le renforcement des capacités et le financement de stratégies à long terme.

Les relations entre l’Europe et l’Afrique sur les questions liées au climat sont tendues. Elles font ressortir les dissensions entre pays en développement et pays développés, sous-tendues par l’idée que les États riches sont moins concernés par les risques climatiques des pays pauvres, et ce malgré le fait que ces derniers y contribuent le moins. Les pays en développement subissent le plus les impacts climatiques et disposent des ressources les plus limitées pour lutter contre ces effets. La transition verte, telle qu’elle est envisagée actuellement, pourrait en réalité entraver le développement de l’Afrique.

Ces tensions ont été mises en évidence lors de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique qui s’est tenue à Glasgow l’année dernière, lorsque les pays africains ont déclaré que les nations riches n’avaient pas tenu leur promesse de mobiliser 100 millions de dollars américains pour le financement de l’action climatique. Les besoins de l’Afrique restent en grande partie insatisfaits alors que le continent est fortement exposé aux effets du changement climatique et ne dispose pas de capacités d’investissement suffisantes pour les contrer. Tout cela alors que le continent se remet à peine de la crise de la COVID-19.

La coopération entre l’Afrique et l’Europe en matière de transition verte est essentielle. Séparément, l’UA et l’UE ont fait des progrès significatifs sur leurs programmes verts. Les plans des deux continents comportent de nombreuses visions et priorités qui se complètent pour leurs transitions vertes. Mais les voies pour atteindre ces objectifs sont fondamentalement différentes, notamment eu égard à la transformation énergétique. Les stratégies de l’UA et de l’UE doivent converger davantage pour assurer le développement du continent africain.

Aimée-Noël Mbiyozo, consultante de recherche principale, Migration, ISS Pretoria

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L’ISS s’est associé au European Think Tanks Group (ETTG) avec le soutien du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour mener une série de tables rondes sur le partenariat UE-UA. Le rapport sur la transformation verte et le changement climatique est disponible ici.

Crédit photo : © UNPhoto/UNEP

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