L’Afrique du Sud peut-elle redorer son image ternie par la xénophobie ?

L'Afrique du Sud doit enfin reconnaître son problème de xénophobie et engager un dialogue franc avec ses partenaires continentaux.

La semaine dernière, des images de centaines de Nigérians faisant la queue à Johannesburg pour être évacués vers leur pays d’origine ont fait le tour des médias. Ces images témoignent des effets de la dernière vague d’attaques xénophobes sur les ressortissants africains étrangers vivant en Afrique du Sud, ainsi que sur les relations que Pretoria entretient avec les autres pays du continent.

Par le passé, certains pays d’Afrique australe comme le Malawi et le Mozambique ont dépêché des bus pour évacuer leurs ressortissants, et leurs dirigeants ont condamné la xénophobie qui sévit en Afrique du Sud. C’est cependant la première fois que des pays africains, et notamment le Nigeria, réagissent de manière aussi ferme.

Sur le plan diplomatique, l’image de l’Afrique du Sud en ressort davantage ternie à travers le continent. Au vu des récentes déclarations de divers diplomates et hauts responsables politiques sud-africains, tels que la ministre des Relations internationales Naledi Pandor et le chef de la diplomatie publique de son département, il semblerait que la vive réaction des gouvernements africains ait été perçue comme un signal d’alarme.

Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a ainsi annoncé qu’une équipe d’envoyés spéciaux avait été envoyée au Nigeria, au Niger, au Ghana, au Sénégal, en Tanzanie, en République démocratique du Congo et en Zambie. Ces envoyés spéciaux sont chargés d’informer les gouvernements de ces pays « des mesures prises par Pretoria pour mettre un terme à ces attaques et traduire leurs auteurs en justice ».

Pendant des années, le gouvernement sud-africain a négligé son problème de xénophobie dans ses différentes orientations de politique étrangère

Les autorités sud-africaines semblent désormais plus disposées à engager un dialogue avec le reste de l’Afrique. Pendant des années, cette problématique a été négligée dans les différentes orientations de la politique étrangère du pays. Le gouvernement n’a pas pris la juste mesure de l’impact de la xénophobie - et des actes de violence que celle-ci provoque - sur l’image du pays en Afrique. Il n’a pas non plus réalisé à quel point cela pouvait nuire à la diplomatie sud-africaine et à la réputation du pays sur le continent africain et sur la scène internationale.

Mais cette ouverture suffira-t-elle à redorer le blason du pays, qui par ailleurs assumera la présidence tournante de l’Union africaine (UA) en 2020 ? L’Afrique du Sud siège actuellement au Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) à titre de membre non permanent, un mandat qui lui a été confié par la Conférence de l’UA.

Le 11 septembre, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA a tenu une réunion impromptue à Addis-Abeba, pour débattre de ces attaques xénophobes. Cela est loin d’être anodin. En effet, si une situation de crise se trouve inscrite à l’ordre du jour du CPS, qui regroupe quinze pays membres, c’est parce que l’UA la considère comme une menace à la paix et à la sécurité du continent.

Lors de ce débat, l’ambassadeur sud-africain Ndumiso Ntshinga a condamné les violences xénophobes, affirmant que « quels que soient les griefs mis de l’avant, de tels actes ne peuvent être justifiés ; quelles que soient les frustrations évoquées, la perte d’une seule vie ne peut être tolérée ».

Ntshinga a assuré au CPS que son gouvernement prenait toutes les mesures nécessaires pour remédier au problème et pour faire face de manière organisée à l’afflux de réfugiés et de migrants économiques en Afrique du Sud. Il a cependant souligné que Pretoria avait besoin de l’appui des autres pays africains pour relever ce défi.

La main tendue de l’UA et de son CPS, tout comme l’appel à l’aide de l’Afrique du Sud, constitue une avancée positive

« L’Afrique du Sud n’est absolument pas en mesure de faire face à cette situation seule. C’est pour cette raison que nous appelons une fois de plus les pays d’origine et de transit de ces réfugiés et de ces migrants, ainsi que les organisations régionales et internationales, à travailler de concert avec l’Afrique du Sud pour trouver une solution pérenne », a-t-il insisté. En réponse, le CPS a condamné les attaques et a appelé le gouvernement sud-africain à assurer la protection des ressortissants étrangers ciblés et de leurs biens. Le CPS a également mentionné l’importance de s’attaquer aux causes profondes des conflits et aux moteurs de la migration, et de travailler en étroite collaboration avec le gouvernement sud-africain. Cette réunion faisait suite à une déclaration du président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, dans laquelle le diplomate condamnait les attaques et exprimait la volonté de l’UA d’aider l’Afrique du Sud à régler cette question.

Cette main tendue de l’UA et de son CPS, tout comme l’appel à l’aide de l’Afrique du Sud, constitue une avancée positive. Cette amorce de dialogue peut considérablement contribuer à trouver des solutions au problème.

Il est rare que l’Afrique du Sud sollicite l’aide de ses partenaires africains. Au contraire, depuis 1994, Pretoria vient en aide à certains pays touchés par des conflits, en menant des pourparlers de paix et en jouant le rôle de médiateur en République démocratique du Congo, au Burundi, en Côte d’Ivoire et plus récemment au Lesotho, à Madagascar et au Soudan du Sud.

Ntshinga a également pris note de la tenue prochaine d’une conférence organisée conjointement par le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs et l’Organisation internationale pour les migrations sur le thème de la xénophobie et des migrations en Afrique du Sud. En se défaisant de leur réponse habituelle à ce problème, jusqu’ici marquée par le négationnisme, les autorités sud-africaines initient un premier pas encourageant et rassurent les autres gouvernements africains. Mais il importe également d'éviter, en abordant les problèmes liés à la migration, de tomber dans la politique consistant à blâmer les migrants pour les problèmes de l'Afrique du Sud.

Cela est d’autant plus urgent que l’Afrique du Sud, en occupant la présidence tournante de l’UA pour l’année 2020, a pour rôle de représenter le continent sur la scène mondiale, de fixer l’ordre du jour des différentes réunions de l’UA et de les présider. Le rôle de la présidence est de dégager un consensus entre les 55 États membres de l’organisation, marquée par des disparités économiques et politiques, et par des points de vue divergents sur plusieurs questions.

Plusieurs diplomates africains estiment que le gouvernement sud-africain n’a pas fait assez pour protéger les ressortissants étrangers africains

Sans le soutien des autres États membres, l’Afrique du Sud ne parviendra à mettre en œuvre certaines réformes telles que la revitalisation de l’Agenda 2063, le renforcement des liens avec le secteur privé et le maintien de la paix et de la sécurité sur le continent. La tâche demeure herculéenne, même dans les meilleures circonstances.

De nombreux membres des cercles diplomatiques d’Addis-Abeba estiment que le gouvernement sud-africain n’a pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour protéger les ressortissants étrangers africains. Ils soupçonnent certains responsables gouvernementaux d’avoir attisé un sentiment de haine à l’égard des migrants africains et de les avoir érigés en boucs émissaires, grâce auxquels des politiciens de tous bords auraient obtenu des gains politiques.

L’Afrique du Sud doit urgemment adopter des mesures pour restaurer son image auprès de la communauté africaine. Pour ce faire, elle doit veiller à la protection des ressortissants africains. Des mesures doivent être prises pour renforcer l’État de droit et améliorer le maintien de l’ordre public.

Le gouvernement doit démontrer sa détermination à s’attaquer aux causes profondes de la xénophobie, telles que le chômage et les inégalités, et doit fermement dénoncer les violences xénophobes perpétrées tant sur son territoire qu’en dehors. Il doit également appréhender la question des migrants économiques d’une manière structurée et organisée.

Ces mesures sont essentielles si l’Afrique du Sud entend recouvrer la crédibilité dont elle a besoin pour mener à bien son mandat à la tête de l’UA et au sein d’autres instances internationales auprès desquelles elle représente le continent.

Liesl Louw-Vaudran, cheurcheuse principale et Mohamed Diatta, chercheur, Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité, ISS

En Afrique du Sud, le quotidien Daily Maverick jouit des droits exclusifs de publication des articles ISS Today. Pour les médias hors d’Afrique du Sud et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.

Contenu lié