L’Afrique a besoin de données plus précises sur les drones armés

Le manque de preuves documentées rend le continent vulnérable et mal préparé pour influencer un débat politique en constante évolution.

Face à l‘urgence d’élaborer des défenses aériennes sophistiquées contre la menace croissante des systèmes aériens sans pilote (UAS), ou drones, les chefs d’état-major des forces aériennes africaines et les représentants de l’industrie aéronautique se sont réunis en octobre dernier, au Sénégal.

Bien que les drones offrent un énorme potentiel pour le développement économique et la sécurité humaine en Afrique, notamment pour la surveillance météorologique au large de la côte du Mozambique ou la livraison de médicaments dans des zones reculées du Malawi, ils peuvent également être utilisés comme armes par des forces non conventionnelles. Leur usage déplace le pouvoir des forces armées des États vers des groupes insurgés, des organisations terroristes et même des réseaux criminels et des individus.

La plupart des médias se concentre sur l’utilisation de drones militaires plus importants par des armées conventionnelles et leur impact sur le droit humanitaire international. Cependant, les drones commerciaux ou amateurs font désormais partie de la panoplie des « acteurs » de menaces violentes, non seulement au Moyen-Orient et en Russie-Ukraine, mais aussi à travers l’Afrique.

À l’instar des engins explosifs improvisés (EEI), qui ont « démocratisé » la guerre en réduisant le coût du recours à la force létale pour les entités non étatiques, l’impact psychologique d’un drone armé entre les mains d’un insurgé est peut-être aussi important que son impact physique.

La possibilité d’un déploiement d’essaims de drones a suscité une urgence politique

Il amplifie essentiellement la puissance et la menace d’un groupe en lui permettant de contrôler ou d’interdire un territoire depuis les airs, ou de recueillir des renseignements ou du matériel de propagande. Dans les cas extrêmes, les drones, moyens aériens difficiles à détecter, peuvent être armés d’explosifs ou déployer d’autres armes dangereuses. Un reportage récent en Ukraine montre que des drones amateurs ont été équipés de mécanismes leur permettant de larguer des grenades depuis les airs.

L’attention mondiale s’est portée sur l’adaptation des drones amateurs en Irak, en Syrie, au Yémen et maintenant à Gaza. Des rapports sur le Hamas font état de leur utilisation pour attaquer les tours d’observation de l’armée israélienne et du déploiement d’essaims de drones contre des navires de guerre. Cependant, les groupes militants en Afrique, dont Boko Haram, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) et Al-Shabaab, semblent encore observer et apprendre.

Ces groupes utiliseraient leurs « obscurs » réseaux mondiaux (aux liens illégaux et secrets) pour acquérir et modifier des drones, comme l’explique Kerry Chávez, chercheuse en science politique à l’université Texas Tech et membre du Modern War Institute à West Point. Elle a déclaré à ISS Today que « les affiliations à des réseaux sont les meilleurs indicateurs de l’adoption d’un programme de drones ».

Compte tenu de l’existence d’une communauté en ligne active d’utilisateurs de drones amateurs, son analyse continue des médias sociaux révèle qu’en Afrique, « le rôle des liens terroristes transnationaux semble être le principal moteur ». Autrement dit, les médias sociaux et les messageries associés à Al-Qaïda et à l’État islamique « partagent les connaissances sur les UAS qu’ils ont acquises au Moyen-Orient et les diffusent parmi leurs affiliés au Sahara et au Sahel ».

Le Mémorandum de Berlin propose plus de deux douzaines de recommandations contre l’utilisation terroriste des drones

Une cartographie systématique de l’utilisation des drones par les organisations terroristes en Afrique reste à faire. Toutefois, une évaluation préliminaire de Reuben Dass du Royal United Services Institute a montré que « l’augmentation de la disponibilité et de l’accessibilité » de la technologie des drones représentaient « une menace croissante » dans toute l’Afrique, que ce soit à des fins de propagande, de renseignements, de surveillance ou de reconnaissance.

Il rappelle qu’en 2022 l’EIAO a utilisé des drones quadrirotors pour faire une vidéo de propagande sur son camp d’entraînement au Nigeria. En juillet de la même année, « les drones de surveillance de l’EIAO ont été repérés au-dessus de la position des forces gouvernementales nigérianes juste avant que le groupe ne leur tende une embuscade ». Une utilisation similaire de drones pour cibler avec précision les kamikazes a été largement documentée à Mossoul, dans le nord de l’Irak.

L’acquisition et le type de drones semblent être influencés par le niveau de soutien extérieur dont bénéficient les acteurs non étatiques, le territoire qu’ils contrôlent (en particulier les voies de transport) et les compétences technologiques de leurs membres.

Le déploiement possible d’essaims de drones a provoqué une urgence politique, avec de nombreuses résolutions des Nations unies et des exercices impliquant des décideurs politiques africains.

Les autorités aéronautiques et les associations privées de drones sont des canaux de partage d’informations

Le mémorandum de Berlin sur les bonnes pratiques de lutte contre l’utilisation des UAS par les terroristes rassemble plus de deux douzaines de recommandations que des organisations telles que le Forum mondial de lutte contre le terrorisme s’efforcent de faire appliquer. Elles comprennent des mesures de gestion des risques intégrant l’emploi éventuel des UAS dans les évaluations de routine en utilisant les renseignements disponibles et les « leçons tirées » d’autres contextes.

Le mémorandum propose également le renforcement du partage d’informations aux niveaux régional et national, et invite les États à « élaborer des plans de crises et des mesures d’atténuation » et à « évaluer la vulnérabilité » des infrastructures critiques, par exemple les sources d’énergie et les infrastructures de communication.

Des organisations régionales en Afrique, telles que l’Autorité intergouvernementale pour le développement et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, pourraient communiquer efficacement les connaissances et les risques. Sur le plan national, les autorités aéronautiques et les associations privées de drones constituent également des ressources pour l’échange d’informations.

Les incidents enregistrés de déploiements de drones par des groupes armés basés en Afrique sont limités. Toutefois, l’absence de preuves documentées et d’études, ainsi que d’une base de données internationale sur les menaces, laisse assurément le continent vulnérable et mal préparé à contribuer à un débat en évolution.

Karen Allen, consultante, ISS Pretoria

Image : © IBIC Drones

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié