L'Afrique peut-elle renforcer son pouvoir de négociation lors du sommet UE-UA ?
Le sommet de Luanda devait permettre de traiter plusieurs enjeux délicats du partenariat sécuritaire.
Publié le 24 novembre 2025 dans
ISS Today
Par
Priyal Singh
chercheur principal, L’Afrique dans le monde, ISS Pretoria
Zenge Simakoloyi
chercheur stagiaire, Gouvernance africaine de la paix et de la sécurité
Les 24 et 25 novembre, les dirigeants de 82 États membres de l'Union africaine (UA) et de l'Union européenne (UE), deux des plus grands blocs géopolitiques du monde, se réuniront à Luanda, la capitale de l'Angola, pour le septième sommet UE-UA, qui marque également le 25e anniversaire du sommet inaugural tenu au Caire.
Si le partenariat couvre le commerce, le climat, le développement et la santé, c'est le pilier paix et sécurité qui a été mis à rude épreuve. Dans un ordre international de plus en plus fragmenté et fluide, où l'UE cherche à s’affirmer comme l’acteur géopolitique majeur en matière de sécurité et de défense, le sommet est une occasion cruciale de réaffirmer la valeur du multilatéralisme.
Depuis la réunion des ministres de l'UE et de l'UA en mai sur la Vision commune pour 2030, le partenariat a pris de l'ampleur. Le long communiqué conjoint qui en a découlé a évoqué les préoccupations communes en matière de paix et de sécurité, la nécessité d'un dialogue et d'une coopération continus sur les crises spécifiques à certains pays et régions, et le renforcement de l'architecture africaine de paix et de sécurité.
Toutefois, les progrès du sommet risquent d’être tempérés par l’incapacité à dépasser la rhétorique du « partenariat entre égaux », tant l’asymétrie de pouvoir est manifeste. Forte de ses capacités financières et institutionnelles, l'UE définit inévitablement une grande partie de l’agenda. Reste à savoir si l'UA pourra renforcer son pouvoir de négociation.
Les tensions les plus évidentes concernent le financement des interventions de sécurité menées par l'Afrique. L'UE demeure le principal bailleur extérieur, réaffirmant son engagement en faveur d'une Afrique plus sûre et plus stable, et d'un partenariat fondé sur des valeurs communes.
Le partenariat entre l'UA et l'UE reste l'un des plus profonds et des plus complets de ce type
Cependant, ses priorités sécuritaires ont évolué ces dernières années, entre la guerre en Ukraine et un partenariat transatlantique de plus en plus fragile avec les États-Unis. L'Europe a désormais une vision stratégique plus audacieuse de sa place dans le monde.
Cette réorientation a conduit, en 2021, à la transformation de la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique en Facilité européenne de soutien à la paix. Alors que la première visait à renforcer les capacités des institutions africaines à assumer le leadership de la résolution des conflits sur le continent, la seconde donne à l'UE une marge plus flexible pour défendre ses intérêts sécuritaires à l’échelle mondiale. Ainsi, les priorités africaines se retrouvent désormais en concurrence avec les autres préoccupations mondiales de l'Europe.
La nouvelle flexibilité de la Facilité européenne de soutien à la paix permet également à l'UE de financer directement les organisations régionales africaines, les États ou les coalitions militaires ad hoc, contournant ainsi l'UA. Si un soutien financier et politique à l'UA et à ses structures de sécurité reste substantiel, l'UE opère aujourd’hui en Afrique avec plus d’autonomie.
L'UA aurait pu peser davantage dans la transition de l'UE vers cette nouvelle Facilité pendant le processus législatif qui a duré un an. Mais ses lacunes administratives lui ont fait manquer cette fenêtre d’influence capitale.
Au-delà du financement, les visions sécuritaires des deux institutions divergent. L'agenda africain met l’accent sur le renforcement de la légitimité de l'État, la réduction de la marginalisation socio-économique et l'amélioration de la gouvernance. Tout en soutenant également ces objectifs, l’UE privilégie la lutte contre le terrorisme, l'ingérence étrangère et les menaces hybrides.
Forte de ses capacités financières et institutionnelles, l’UE définit une grande partie de l’agenda
Un autre facteur qui complique la situation est l'évolution du paysage sécuritaire en Afrique et la désinstitutionalisation progressive de son approche. Autrefois actrice majeure dans l'autorisation et le déploiement des opérations de soutien à la paix, l’UA s’efface devant les coalitions militaires sous-régionales ad hoc.
Des interventions comme celles du G5 Sahel, ou de la Communauté de développement de l'Afrique australe au Mozambique et en République démocratique du Congo, illustrent cette tendance à des réponses plus rapides et ciblées qui contournent l'UA.
Le contexte géopolitique mondial a également un impact considérable sur la coopération entre les dirigeants de l'UE et de l'UA. Le paysage sécuritaire africain est désormais caractérisé par une lutte d'influence entre divers acteurs extérieurs. La Chine, la Russie, la Turquie et les États du Golfe constituent à présent des acteurs de premier plan de la paix et de la sécurité en Afrique, au détriment des partenaires européens traditionnels.
La Russie, en particulier, illustre bien ces tensions : omniprésente lors des discussions UA-UE, elle apparaît rarement dans les communiqués officiels. Lors de la réunion d'octobre du Comité politique et de sécurité de l'UE et du Conseil de paix et de sécurité de l'UA, elle a été mentionnée de manière euphémique comme un « troisième État » associé à des sociétés militaires privées et à des mercenaires au Sahel.
Comme l'a confié un responsable de l'UE à ISS Today : « Aligner les priorités européennes en matière de sécurité sur les réalités africaines reste un défi permanent… [même si] rien n'est trop difficile à discuter ».
La désinstitutionalisation dans la gestion des conflits complique la situation de l’UA
Le sommet de Luanda offre une occasion unique pour les dirigeants africains et européens de concilier leur engagement en faveur de la paix et de la sécurité, sur la base de défis, de valeurs et d'approches communs. Un indicateur clé sera la réponse de l'UE au document de travail de l'UA, une première du genre, qui témoigne de la volonté d'Addis-Abeba d’adopter une posture plus stratégique.
Le succès se mesurera à l'aune des engagements concrets pris pour garantir un financement prévisible, réduire les asymétries de pouvoir et réaffirmer le rôle de coordination de l'UA en matière de sécurité en Afrique.
Le partenariat UA-UE reste l'un des plus profonds et complets de ce type. Mais sa pleine efficacité dépendra de la capacité des deux parties à s’accorder sur un pacte opérationnel et un mode de fonctionnement adaptés à un monde de plus en plus complexe et fragmenté.
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