La transition politique au Tchad prend du retard

Un an après, les problèmes sécuritaires et les tensions politiques ont rendu difficile la conclusion d'un accord sur le dialogue national inclusif.

La transition politique au Tchad, qui était initialement prévue pour 18 mois, d’avril 2021 à septembre 2022, semble devoir se prolonger. Le pays est en proie à des problèmes de sécurité interne et à ses frontières, à une insécurité alimentaire notable et à une gouvernance publique défaillante. Prolonger la transition pourrait provoquer de nouveaux troubles.

Un retour à l’ordre constitutionnel semble incertain sans une réelle volonté du Conseil militaire de transition (CMT) et des mouvements rebelles de parvenir à un accord. Il est nécessaire de prendre des mesures urgentes pour lutter contre les détournements de fonds publics, les conflits intercommunautaires et les autres périls sécuritaires.

Après quatre mois de discussions à Doha entre le gouvernement de transition et les groupes politico-militaires tchadiens, un accord de paix est en vue. Cependant, plusieurs questions difficiles doivent encore être résolues.

Les parties prenantes ont rejeté un premier projet d’accord en mai. Une deuxième version, apparemment plus consensuelle, a été soumise par la médiation qatarie, fin juin. Mais elle ne résout toujours pas les divergences sur des questions aussi importantes que la composition du comité d’organisation du dialogue national inclusif, la charte de la transition et la réforme de l’armée. Or, ces questions détermineront la qualité des futures élections, le retour à l’ordre constitutionnel et le transfert du pouvoir aux civils.

Un mois n'est pas suffisant pour organiser l'important dialogue national inclusif du Tchad

Dans l’attente d’un accord, le gouvernement a annoncé — peut-être en raison des pressions internationales sur le CMT — que le dialogue national se tiendrait le 20 août. Mais la participation des groupes politico-militaires reste incertaine et les principaux d’entre eux, notamment le Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT) et l'Union des forces de la résistance (UFR), se sont retirés du processus. En outre, le délai d’un mois n’est pas suffisant pour organiser une réunion aussi importante.

Ces pierres d’achoppement ont entraîné d’importantes manifestations, comme celle qui a été organisée en mai par la plateforme de la société civile Wakit Tamma. Non seulement la plateforme conteste le CMT, mais elle rejette désormais la présence française au Tchad, en particulier ce qu’elle perçoit comme un soutien inconditionnel de la France à la junte.

La manifestation de mai a occasionné des actes de vandalisme visant des entreprises françaises, notamment des stations-service de TotalEnergies. Ces actes ont été réprimés et les meneurs arrêtés, jugés et relâchés. Le mouvement poursuit son appel à manifester contre le CMT.

La situation sécuritaire interne du pays continue de se détériorer. Les conflits intercommunautaires sont toujours plus sanglants en raison de la facilité avec laquelle les armes à feu circulent. En mai, des affrontements à Kouri Bougoudi, une zone aurifère située dans le nord du pays, ont fait plus de 200 morts. De nombreux autres conflits localisés ont également éclaté cette année.

Les autorités doivent éviter de restreindre la liberté d'expression, ce qui pourrait radicaliser la société civile

La situation est tout aussi volatile aux frontières tchadiennes. A l'ouest, les autres pays du bassin du lac Tchad (Cameroun, Niger, Nigeria), continuent de subir les attaques des factions de Boko Haram. Au nord, l’instabilité de la situation dans le sud-libyen constitue une menace en raison des groupes rebelles, des bandes armées et des trafiquants qui circulent sans difficultés entre les deux pays.

À l’est, les conflits intercommunautaires continus au Darfour menacent de se répandre au Tchad. Quant au sud, la situation à la frontière avec la République centrafricaine reste fragile, avec la présence des groupes rebelles toujours en guerre contre les autorités politiques de Bangui.

En juin, le gouvernement a officiellement déclaré l’urgence alimentaire et nutritionnelle et a appelé à l’aide internationale. Les Nations unies estiment que le tiers de la population tchadienne (plus de 5 millions de personnes) souffre d’insécurité alimentaire. Cette situation pourrait s’aggraver avec la saison des pluies qui débute. En cette période des labours, les réserves alimentaires sont au plus bas.

Par ailleurs, le Tchad demeure confronté à des problèmes de gouvernance financière. Le détournement d’au moins 120 milliards de francs CFA (10 % du budget national) des comptes de la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT), qui a été révélé en juin, continue de défrayer la chronique. Ce détournement, qui implique des personnalités très haut placées de l’État, sape la confiance de la population dans le gouvernement et met à l’épreuve la crédibilité des autorités.

Les ressources de l'État doivent être utilisées pour pallier l'insécurité alimentaire et non pour remplir les poches de fonctionnaires corrompus

À l’approche de l’échéance de la transition, la priorité est de créer les conditions favorables à une sortie en douceur. Le gouvernement de transition devrait adopter une attitude plus conciliante pour permettre des avancées dans les discussions de Doha et relancer le processus du dialogue national inclusif. Les autorités devraient également éviter de restreindre les libertés d’expression et de manifestation, ce qui risquerait de radicaliser la société civile et les partis d’opposition.

Le CMT devrait s’attaquer de toute urgence au problème de la situation alimentaire afin d’éviter une catastrophe humanitaire. Il faut organiser des procès pour juger les personnes accusées de détournement de fonds et de malversation de fonds publics. L’accent devrait être mis sur l’utilisation des ressources de l’État pour servir à soulager les populations en situation d’insécurité alimentaire et non pour remplir les poches de fonctionnaires corrompus.

Enfin, pour améliorer la sécurité, le gouvernement devrait freiner la prolifération des armes légères, qui sont de plus en plus utilisées dans les conflits intercommunautaires et le crime organisé. Le retrait des armes détenues par les civils dans les zones transfrontalières et d’extraction d’or est aussi une priorité. Le troisième forum des gouverneurs du bassin du lac Tchad, qui se tiendra à N’Djaména en 2022, est une occasion unique de contrer Boko Haram dans le cadre de la stratégie de stabilisation régionale.

Le rôle des partenaires extérieurs dans la transition politique au Tchad reste essentiel, notamment l’Union africaine, les Nations unies, la France, et le Qatar. Ils doivent non seulement peser de tout leur poids diplomatique pour faire avancer les discussions à Doha et obtenir un calendrier plus clair de la transition, mais aussi continuer d’accompagner le CMT dans la recherche de solutions aux crises alimentaire et sécuritaire du pays.

Cela permettrait d'apaiser les tensions sociopolitiques et de garantir un dialogue véritablement inclusif. Ces étapes sont essentielles pour parvenir à la réconciliation nationale, à la tenue des élections et à un retour serein à l'ordre constitutionnel dans un délai réaliste.

Remadji Hoinathy, chercheur principal, Institut d'études de sécurité, Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du Lac Tchad, Dakar

Image : © KARIM JAAFAR / AFP

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