La tentative de Compaoré de prolonger son règne se retourne contre lui au Burkina Faso

La situation au Burkina Faso reste incertaine après les émeutes causées par le vote d'hier pour modifier la constitution.

Le vote du projet de loi controversé visant à amender la constitution du Burkina Faso qui devait se tenir hier, le 30 octobre, et qui aurait permis au Président Blaise Compaoré de briguer un troisième mandat, n’a finalement pas eu lieu.

Alors que les députés s’apprêtaient à examiner le projet de loi, des manifestants ont envahi et incendié le parlement avant de prendre la direction du Palais présidentiel pour réclamer le départ de Compaoré. En dépit de la confusion qui règne actuellement au Burkina Faso, il semble que le pays s’achemine vers une période de transition, avec des incertitudes quant au rôle de Compaoré.

Hier soir, le président Compaoré a déclaré l’état de siège et demandé l’ouverture de pourparlers avec l’opposition. Le chef d’état major général des armées du Burkina Faso, le Général Honoré Nabéré Traoré, a ensuite annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale et la mise en place d’un gouvernement de transition pour une période de 12 mois.

Cette déclaration, qui n’évoque pas le départ du président, n’a pas rassuré les manifestants. En effet, le général Traoré est réputé proche de Compaoré. Il avait été nommé à la tête de l’armée par le Président après les mutineries de 2011 qui avaient fait vaciller le pouvoir central.

Tard dans la soirée d’hier, le président, dans une adresse à la nation, a déclaré avoir pris “la juste mesure des fortes aspirations de changement” de la part de la population. Il a annoncé le retrait de ce projet de loi fort controversé ainsi que l’annulation de l’état de siège qui avait été décrété plus tôt ce jeudi.

Cette situation illustrait la détermination du président à parvenir à ses fins

Compaoré a, une fois de plus, appelé à un dialogue avec l’opposition et s’est proposé pour diriger une période de transition à l’issue de laquelle il remettrait le pouvoir au président démocratiquement élu. Compaoré n’a, pour l’instant, donc pas abandonné le pouvoir et la situation au Burkina demeure confuse, 24 heures après que ce vote sur la modification constitutionnelle se soit transformé en émeutes.

Les événements des dernières heures ont été déclenchés par l’annonce, par le gouvernement, le 21 octobre, de sa volonté de soumettre à l’assemblée nationale un projet de loi pour modifier l’article 37 de la Constitution limitant à deux le nombre de mandats présidentiels. La modification proposée aurait donné la possibilité au Chef de l’État de se faire réélire deux fois, ce qui aurait permis à Compaoré – au pouvoir depuis 27 ans et actuellement arrivé à la dernière année de son deuxième mandat – de se porter candidat en 2015.

Dès cette annonce, des manifestations ont été enregistrées à Ouagadougou les 21 et 22 octobre. Les échauffourées et heurts se sont intensifiés le 27 octobre à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays, entre les forces de l’ordre et les  opposants à la modification constitutionnelle. À l’initiative du chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré, une marche a été organisée le 28 octobre à Ouagadougou et à l’intérieur du pays. Elle a été décrite comme historique par les médias étant donné l’ampleur de la mobilisation.

Le projet de loi qui devait être soumis au vote hier n’était pas la première tentative du pouvoir de modifier l’article 37 de la Constitution. En effet, dans un premier temps le président avait tenté d’instaurer le bicaméralisme prévu par la constitution en mettant en place un Sénat, dont une partie des membres aurait été nommée par le président. Cela lui aurait permis de renforcer sa majorité au Parlement et, ainsi, de procéder à la révision de l’article 37. L’accueil négatif réservé à cette initiative a poussé le président à surseoir, en octobre 2013, à la mise en place de cette institution.

La violence politique marque un mauvais départ pour la région

Face à cet échec, l’idée de modifier la constitution par la tenue d’un référendum a émergé dans les rangs de la majorité présidentielle. La contestation de ce projet a donné lieu à une tentative de médiation initiée en janvier 2014 par l'ancien président Jean Baptiste Ouédraogo. Plus récemment, le président Compaoré lui-même a initié un dialogue entre le pouvoir et l’opposition, qui a échoué le 6 octobre dernier. La tentative supplémentaire de modifier la constitution en passant par l’Assemblée nationale illustrait la détermination du président à parvenir à ses fins, mais a été perçue par l’opposition comme le subterfuge de trop.

Les manifestations du 30 octobre pourraient s’expliquer par le fait que Compaoré paraissait, cette fois-ci, sur le point de parvenir à modifier la Constitution. En effet, la troisième force politique, l’Alliance pour la démocratie et la fédération/Rassemblement démocratique africain (ADF/RDA), avait décidé de soutenir l’adoption de ce projet de loi.

Ce ralliement aurait permis à la mouvance présidentielle de disposer de 99 voix: 70 du parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), 18 de l’ADF/RDA et 11 de la Convention des forces républicaines. Dans l’éventualité d’un strict respect des consignes de vote, le pouvoir aurait pu obtenir les 96 voix nécessaires pour atteindre la majorité qualifiée et ainsi adopter le texte sans recours au référendum.

Au cours des derniers jours, les partenaires extérieurs du Burkina avaient aussi exprimé leur préoccupation quant à une éventuelle modification de la clause limitative du mandat présidentiel. Les réserves exprimées le 28 octobre par les États-Unis et la France, ainsi que l’appel lancé le 29 octobre par l’Union européenne pour l’abandon du projet, n’ont cependant pas empêché Compaoré de persévérer dans son projet de modification constitutionnelle. Ces déclarations ont toutefois pu être interprétées par les opposants à la révision constitutionnelle comme un soutien, même passif, légitimant ainsi en quelque sorte leur combat.

Le Burkina était considéré comme l’un des principaux pôles de stabilité dans une région en proie à des crises sécuritaires, politiques et sanitaires. De plus, le rôle de médiateur de Blaise Compaoré dans certains conflits faisait de ce pays un partenaire régional et international important dans la résolution des crises dans la région.

Au moment où l’Afrique de l’Ouest se prépare à entrer dans une année électorale importante – avec, en 2015, cinq élections présidentielles au Burkina, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Nigéria et au Togo – la violence politique de ces derniers jours au Burkina marque un mauvais départ qui vient rappeler les risques inhérents aux processus électoraux dans la région. La situation qui continue d’évoluer au Burkina devrait toutefois servir de mise en garde pour les présidents qui sont tentés de modifier la Constitution de leur pays pour servir leurs propres intérêts, en Afrique de l’Ouest et ailleurs.

Tity Agbahey, Chercheur boursier, Ibrahim Maiga, Chercheur boursier, Fatimata Ouedraogo, Chercheur boursier, William Assanvo, Chercheur principal, Lori-Anne Théroux-Bénoni, Directrice du bureau, Division Prévention des conflits et analyse des risques, ISS Dakar

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