La République centrafricaine face à un nouveau tournant
Après bientôt une décennie de violence, les scrutins de décembre seront-ils un nouveau prétexte pour propager l’insécurité ?
À l’approche des élections du 27 décembre 2020 en République centrafricaine (RCA), le gouvernement et l’opposition se sont lancés dans une série de manœuvres politiques. L’ancien Président François Bozizé a annoncé sa candidature, suite à son retour dans le pays en décembre 2019, après avoir passé près de six ans en exil. Il semble qu’il exerce toujours un pouvoir important sur la scène politique.
La RCA est en proie à l’instabilité et la violence depuis la fin de l’année 2012. Cette instabilité a aggravé la déliquescence d’un appareil étatique déjà faible, portant ainsi atteinte à la cohésion nationale et au tissu social. L’accord de paix signé en février 2019 à Khartoum, suite aux efforts de médiation menés par l’Union africaine (UA) depuis 2017, n’a pas permis de résoudre le conflit, ce qui pourrait compromettre l’organisation des élections et déstabiliser davantage le pays.
L’annonce par Bozizé de sa candidature aux élections présidentielles ne manquera pas d’accroître les tensions. Son éligibilité est remise en question ; il se trouve toujours sous le coup de sanctions des Nations Unies, et un mandat d’arrêt international a été émis par la RCA à son encontre pour crimes contre l’humanité et incitation au génocide.
La Cour pénale internationale enquête sur les crimes de cette nature commis en RCA depuis 2012. En outre, la Cour pénale spéciale, créée dans le pays en 2015, enquête sur des crimes similaires commis depuis 2003.
Le rapprochement de Bozizé avec les partis d’opposition à l’approche des élections inquiète la coalition au pouvoir
En tant que fondateur et chef de l’ancien parti au pouvoir, le Kwa Na Kwa (KNK), Bozizé serait toujours populaire auprès de la population. Son rapprochement avec les partis d’opposition, réunis autour d’Anicet-Georges Dologuélé, à l’approche des élections inquiète ainsi la coalition au pouvoir. Le fait que le Président de la RCA, Faustin-Archange Touadéra, ait été Premier ministre de Bozizé pendant cinq ans et vice-président du KNK ajoute à la complexité de la situation.
La situation à Bangui a été jugée suffisamment grave pour que le Président congolais et ancien médiateur de la Communauté économique des États d’Afrique centrale dans la crise de la RCA, Denis Sassou Nguesso, ait rencontré Bozizé et un autre leader de l’opposition, Abdoul Karim Meckassoua, le 26 juin. La rencontre, qui s’est tenue dans la ville natale de Sassou Nguesso, Oyo, visait à désamorcer les tensions politiques.
Plusieurs partis d’opposition ont créé une plateforme appelée Coalition de l’opposition démocratique 20-20 (COD-20-20), en février 2020. Cette coalition réunit d’importants leaders tels que Bozizé (KNK), Meckassoua (Chemin de l’espérance), Nicolas Tiangaye (Convention républicaine pour le progrès social), Mahamat Kamoun (Be Africa Ti E Kwe) et Dologuélé (Union pour le renouveau centrafricain).
Il reste à voir si cette coalition survivra aux aléas des campagnes électorales et aux ambitions individuelles de ses dirigeants. Dans le même ordre d’idées, les partis alliés à la majorité présidentielle sur la plateforme Be Oko, ou « Cœurs Unis », ont tenté de prolonger leur alliance pour soutenir la candidature de Touadéra aux élections de décembre.
Malgré l’accord de paix, le pouvoir demeure majoritairement dans les mains des groupes armés qui contrôlent une grande partie du pays
Pendant de ce temps, prenant prétexte de l’épidémie de COVID-19, la coalition au pouvoir a déposé un amendement constitutionnel à l’Assemblée nationale qui aurait permis de reporter les élections en cas de force majeure. La Cour constitutionnelle a débouté la demande, estimant que les arguments en faveur d’une modification de la Constitution n’étaient pas suffisamment motivés. Les juges ont fait valoir qu’en cas de force majeure, le président devrait plutôt consulter les dirigeants politiques et autres afin de trouver une solution consensuelle.
Si l’accord de paix signé le 6 février 2019 par le gouvernement et 14 groupes armés avait momentanément fait naître l’espoir d’une résolution permanente du conflit, les affrontements entre groupes armés se produisent avec une régularité inquiétante. Malgré l’accord, le rapport de force pèse toujours, de facto, en faveur des différents groupes armés qui contrôlent une grande partie du territoire national. Certains ont poursuivi leurs activités criminelles, notamment en prenant des civils pour cible.
Parmi les attaques impliquant les signataires de l’accord de paix de 2019 figurent les meurtres d’une cinquantaine de personnes par le groupe armé 3R en mai 2019. Des affrontements sanglants et réguliers ont également eu lieu entre le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique de Noureddine Adam et le Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice dans la préfecture de Vakaga.
Le nombre de personnes déplacées a augmenté, atteignant 697 000 personnes déplacées internes en mai 2020, et 615 000 réfugiés dans les pays voisins. Et ce, malgré les efforts déployés pour garantir la mise en œuvre de l’accord de paix de 2019. L’accord prévoyait notamment la cessation totale des hostilités et la mise en place d’unités de sécurité mixtes (composés des forces armées nationales et des groupes armés). Si des progrès notables ont été réalisés, la formation d’unités de sécurité mixtes reste insatisfaisante.
L’UA a tardé à fournir le soutien nécessaire à la mise en œuvre et au suivi de l’accord de paix
Les appels pour que ceux qui violent l’accord de paix rendent des comptes se multiplient. Cependant, la position des autorités centrafricaines et de la communauté internationale a toujours été d’éviter une confrontation, qui pourrait mettre à mal le règlement du conflit. Cela entraîne une insécurité endémique.
Aujourd’hui, le risque est que les prochaines élections soient utilisées comme un motif supplémentaire pour répandre la violence et l’instabilité. Les dirigeants politiques devront rompre avec les vieilles habitudes qui consistent à recourir à des tactiques de division et aux armes pour atteindre leurs objectifs. Il conviendra en outre d’empêcher les groupes armés, s’ils ne participent pas aux élections, de faire dérailler le processus par la violence et l’intimidation.
L’UA a tardé à fournir le soutien nécessaire à la mise en œuvre et au suivi de l’accord de paix de février 2019, notamment en ce qui concerne le déploiement des unités de sécurité mixtes. L’organisation en est pourtant garante, et doit, de concert avec d’autres partenaires, demander des comptes aux fauteurs de troubles.
En outre, le dernier accord de paix, s’il est correctement mis en œuvre, ne constitue qu’une pièce du puzzle de la paix en RCA. Le travail consistera principalement à mettre en place des institutions étatiques et à consolider la présence de l’État dans tout le pays, ainsi qu’à restaurer le tissu économique, social et sociétal. Les élections de décembre seront un tournant pour la RCA, un tournant qui peut soit préserver le statu quo, soit aggraver une situation déjà complexe.
Mohamed M Diatta, chercheur, ISS Addis-Abeba
Cet article est un extrait d’une prochaine Note d’analyse sur la RCA. L’ISS est reconnaissant à l’Organisation internationale de la Francophonie pour sa généreuse contribution à cette recherche. Cet article a été publié pour la première fois dans le Rapport CPS de l’ISS.
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