La réforme du secteur de la sécurité en Libye ne doit pas aboutir à un nouvel échec

Quelle que soit l’issue de la bataille pour Tripoli, le conflit aura renforcé le pouvoir des groupes armés sur le gouvernement.

Pendant huit ans, des administrations libyennes successives et la communauté internationale ont œuvré pour la stabilisation et la réforme du secteur de la sécurité du pays. Ces efforts ont toutefois été interrompus par le conflit qui a éclaté entre le gouvernement d’entente nationale, reconnu par la communauté internationale, et l’armée nationale libyenne, dirigée par Khalifa Haftar.

La solennité des titres accordés à chaque camp masque cependant une chose, les combats et les morts qu’ils provoquent sont largement le fait de groupes armés affiliés aux deux camps. Loin d’être une particularité de ce conflit, le rôle démesuré joué par ces groupes constitue plutôt la principale faille de la situation en Libye.

Une forte incertitude règne quant à la résolution du conflit libyen. Néanmoins, trois faits apparaissent désormais plus clairement : le conflit a profondément transformé le pays, l’ancien statu quo est irrémédiablement révolu, et une réforme efficace du secteur de la sécurité est plus que jamais nécessaire.

Le rôle démesuré joué par ces groupes constitue la principale faille de la situation en Libye

Lorsque les combats autour de Tripoli auront cessé, les efforts nationaux et internationaux de stabilisation et de réforme des forces de sécurité reprendront. Plutôt que de poursuivre dans la lignée des approches retenues avant le début des hostilités, le 4 avril dernier, les parties prenantes devraient prendre le temps d’analyser l’évolution de la situation, réévaluer leurs programmes en conséquence et établir les grandes lignes des améliorations dont le secteur de la sécurité pourrait bénéficier.

Si l’effondrement des forces de sécurité libyennes s’est matérialisé pendant la révolution de 2011, leur érosion avait commencé bien avant, du fait de la négligence dont elles souffraient. Au cours de l’insurrection, le contrôle de la sécurité du pays est passé des mains du gouvernement à celles de divers groupes proches de structures de sécurité de l’État ou opérant sans contrôle formel.

Pendant huit ans, les gouvernements libyens successifs ont tenté de reprendre le pouvoir des mains de ces groupes. De nouvelles unités des forces de sécurité ont vu le jour et ont été entraînées, des mesures ont également été adoptées pour permettre aux groupes armés d’intégrer l’architecture nationale de sécurité.

Malgré d’importantes ressources humaines et financières allouées par les Nations unies, l’Union européenne et des pays donateurs, les efforts d’édification d’un secteur de la sécurité efficace n’ont abouti qu’à des changements moindres.

Dans l’ensemble, celui-ci reste faible et divisé, le pouvoir et les ressources demeurant majoritairement entre les mains des groupes armés. Même les groupes proches du gouvernement sont peu intégrés dans la chaîne de commandement officielle et n’ont donc pas à répondre de leurs actes. Ils sont ainsi engagés dans une série de missions, qui incombent aux forces de sécurité officielles, allant de la protection des édifices gouvernementaux à Tripoli à la défense de la capitale contre la coalition des groupes armés menée par Haftar.

Les efforts libyens et internationaux d’édification d’un secteur de la sécurité efficace n’ont abouti qu’à des changements moindres

Quelle que soit l’issue de la bataille pour Tripoli, le conflit aura renforcé le pouvoir des groupes armés sur le gouvernement. Le pays risque donc de sombrer dans une nouvelle spirale de violence et de conflit. Si le gouvernement entend récupérer le pouvoir, la mise en place d’un secteur de la sécurité efficace est plus que jamais nécessaire.

Ainsi, lorsque le conflit en cours prendra fin, les autorités libyennes et la communauté internationale devront s’interroger sur l’avenir de la stabilisation du secteur de la sécurité. Une compréhension fine de l’impact du conflit actuel sur l’ensemble du secteur est donc indispensable, il ne s’agira pas de se contenter de faire le compte des installations endommagées et des équipements détruits.

L’accent devra plutôt être mis sur les réseaux et les perceptions. Quels ont été les rapports de pouvoir entre les groupes armés affiliés à chacun des deux camps ? Comment l’attitude des civils à l’égard des forces de sécurité a-t-elle été modifiée par le conflit et quels sont les besoins immédiats de la population en matière de sécurité ?

Tous les programmes de stabilisation et de réforme du secteur de la sécurité devraient être révisés à l’aune de ce nouveau contexte. Les parties prenantes de la mise en œuvre desdits programmes, ainsi que les donateurs, pourraient être tentés de renforcer les anciennes stratégies, en espérant qu’une meilleure gestion des programmes ou un financement accru permettra de transformer les échecs passés en réussites futures.

Cette assomption pourrait s’avérer à la fois erronée et dangereuse. En effet, il est probable que les approches conçues avant l’offensive de Haftar sur Tripoli soient mal adaptées, voire contre-productives, dans une nouvelle configuration post-conflit. Il est donc essentiel de remettre en question les anciennes hypothèses et d’adapter les programmes en conséquence.

Si le gouvernement entend récupérer le pouvoir, la mise en place d’un secteur de la sécurité efficace est primordiale

Bien avant le début de la crise, une révision de la myriade des programmes de réforme du secteur de la sécurité se faisait déjà attendre. La coordination entre les différents acteurs internationaux fait preuve d'un manque d'uniformité, certains donateurs semblant se concentrer davantage sur l’atteinte de leurs propres objectifs politiques, principalement en matière de migration, que sur les besoins sécuritaires de la Libye. Certains acteurs importants, notamment l’Union africaine, ne jouaient par ailleurs qu’un rôle limité dans ce processus.

En quête d’un succès opérationnel à court terme, certains donateurs ont choisi d’affecter leurs ressources à la mise en place d’unités militaires pour remplir des missions civiles de maintien de l’ordre, au risque de générer des dysfonctionnements durables dans les relations civilo-militaires. Les relations clientélistes entre certains donateurs internationaux et certaines unités de sécurité ont débouché sur l’octroi de ressources importantes à des unités n’ayant que peu d’avantages immédiats pour la population libyenne.

Plus préoccupant peut-être est le fait qu’aucun consensus n’ait encore émergé, tant au sein de la population libyenne que de la communauté internationale, sur les aspects fondamentaux d’une réforme, notamment la structure du secteur de la sécurité, les ministères concernés par celle-ci et la manière dont la communauté internationale pourrait apporter son soutien à l’établissement d’un programme de réforme.

Un consensus sur ces aspects, et sur d’autres questions essentielles, permettrait aux responsables libyens et à leurs partenaires internationaux de mieux appréhender la manière de relancer le processus de réforme dans un contexte post-conflit. Il convient désormais de jeter les bases d’une stratégie plus efficace que celle mise en œuvre jusqu’ici. Cela implique de poser les bonnes questions et de réexaminer les hypothèses de départ.

Une telle approche ne produira pas les résultats immédiats et visibles que les donateurs exigent souvent. Il est néanmoins primordial de veiller à ce que le secteur libyen de la sécurité soit adapté aux besoins de la population du pays et puisse fonctionner efficacement dans un environnement post-conflit.

Dr Matthew Herbert, Consultant Chercheur principal, ISS

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Crédit photo : PNUD

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