La RASD semble devenir plus forte, mais elle s’affaiblit sur le plan diplomatique

La Cour africaine a fermement soutenu la cause de la République arabe sahraouie démocratique, toutefois, les appuis diplomatiques s'amenuisent.

Le Sahara occidental a été réduit à un jeu politique en Afrique, dans une joute sans merci entre le Maroc et le Polisario. Le Maroc le revendique agressivement comme sa province la plus au sud, tandis que le second s’obstine et déclare qu'il s'agit de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), le 55e État membre de l'Union africaine (UA).

Suivre le déroulement de cette confrontation, en essayant par exemple de savoir qui parmi  les autres États africains a reconnu la RASD à un moment donné, requiert une certaine expertise

D'après Wikipédia, seulement 22 États africains reconnaissent actuellement la RASD et 15 autres qui l’avaient reconnue sont revenus sur leur décision ou l’ont « gelée » — quoi que cela puisse signifier. Il reste donc 17 États dont la position est inconnue. Mais on peut supposer qu'ils n'ont jamais reconnu la RASD.

La reconnaissance est souvent un statut fluide, sujet à tout changement. Elle semble dépendre en partie de la capacité des États à résister aux flatteries de la diplomatie dynamique du Maroc. « Comme vous le savez, les Marocains ont un objectif singulier : mettre en avant la "marocanité du Sahara, explique un diplomate africain. Le roi, dans son récent discours, a dit : « Le Sahara est la lentille à travers laquelle le Maroc conduira ses relations internationales ».

Rabat exerce donc une forte pression pour que la RASD ne soit plus reconnue comme un État indépendant et que le Sahara occidental devienne une province marocaine. Pendant ce temps, les soutiens de la RASD, comme l'Afrique du Sud et plus largement la plupart des pays de la Communauté de développement d'Afrique Australe, ripostent avec force.

Savoir quels sont les États africains qui reconnaissent la RASD requiert une certaine expertise

Le Maroc a l'avantage de disposer de plus de ressources et de moyens. Le résultat de cette rivalité fluctue parfois de manière déconcertante. Prenons l'exemple du Malawi. Selon Wikipedia, depuis qu’il a reconnu la RASD pour la première fois en 1994, le Malawi a changé sept fois de camp.

Cependant, même si les résultats de cette joute ne sont pas toujours faciles à suivre, les diplomates constatent que la RASD perd du terrain sur le plan diplomatique en Afrique comme ailleurs. L'Espagne et les États-Unis, sous Trump, reconnaissent la revendication du Maroc sur le Sahara occidental. Les diplomates disent que l'Égypte soutient également le Maroc. Ils soupçonnent que le Ghana, qui reconnaît officiellement la RASD à l’heure actuelle, pourrait bientôt changer d’avis. 

Riccardo Fabiani, directeur de projet pour l'Afrique du Nord à l'International Crisis Group, reconnaît qu'à long terme, le Maroc a « gagné » la guerre diplomatique en Afrique.

« Rabat a réintégré l'UA (en 2017), a réussi à convaincre un grand nombre de pays africains d'ouvrir des consulats au Sahara occidental (certains disent 22) et, surtout, a gelé de facto toutes les discussions sur le Sahara occidental à l'UA.

» Cette dernière est désormais paralysée et incapable de prendre position sur ce différend, contrairement à ce qui se passait dans le passé, lorsqu'elle était très active sur ce dossier (la première fois que l'idée d'un référendum d'autodétermination a été lancée, c'était sous l’initiative de l'Organisation de l'unité africaine). Le Maroc a neutralisé l'un de ses adversaires les plus déterminés et est désormais en mesure d'influencer ses décisions. Dans une perspective à plus long terme, c'est un succès majeur.

La Cour africaine a condamné le mois dernier la présence des forces militaires marocaines au Sahara occidental

» Si on regarde ce qui s’est passé les derniers mois, on voit que la situation est en train de s'équilibrer, l'Algérie et le Polisario tentent de contrebalancer les progrès du Maroc et imposent effectivement une limite à son "expansion" diplomatique.

» Le Kenya en est un exemple, mais les manœuvres diplomatiques autour du Nigeria (où le Maroc et l'Algérie se disputent la construction d'un gazoduc qui ne verra probablement jamais le jour) en sont un autre bon exemple. Alors que le nombre de gouvernements africains ouvrant des consulats au Sahara occidental est toujours important et continue d'augmenter, le rythme s'est ralenti et il est devenu de plus en plus difficile pour le Maroc de convaincre d'autres pays de faire de même, en raison de la pression de l'Algérie et du Polisario. »

L'affaire du Kenya à laquelle Fabiani fait référence a éclaté le 14 septembre de cette année lorsque le président nouvellement élu, William Ruto, après avoir reçu un envoyé portant les félicitations du roi du Maroc Mohammed VI pour son élection, a écrit sur Twitter : « Le Kenya annule sa reconnaissance de la RASD et prend des mesures pour réduire la présence de cette dernière dans le pays ».

Cette déclaration a suscité des critiques, notamment de la part de la RASD, ce qui a incité Ruto à supprimer presque immédiatement le tweet et son gouvernement à publier une déclaration confirmant que le Kenya continuait à reconnaître la RASD. ISS Today a appris que l'un des partenaires de la coalition de Ruto, Moses Wetangula, chef du parti Ford-Kenya et ancien ministre des Affaires étrangères, était intervenu. Bien que le tweet controversé de Ruto ait été largement considéré comme une gaffe diplomatique, principalement attribuée à son ignorance de la politique étrangère du Kenya, certains initiés pensent que celui-ci a failli être victime de la « diplomatie de l'engrais » du Maroc.

Grâce à ses riches ressources en phosphate — dont une partie, mais pas la totalité, se trouve sur le territoire contesté du Sahara occidental —, Rabat a manifestement fait miroiter aux gouvernements africains la possibilité d’obtenir des engrais, à un moment où la guerre de la Russie contre l'Ukraine provoque une grave pénurie d'engrais. Les deux protagonistes en sont de grands fabricants et la baisse de leur production a aggravé la crise alimentaire provoquée par la chute des exportations de céréales des deux pays.

À long terme, le Maroc a « gagné » la guerre diplomatique en Afrique

Des sources à Nairobi ont révélé à ISS Today que Ruto avait promis aux agriculteurs kenyans, lors de son discours d'investiture, qu'il s'attaquerait à la pénurie d'engrais et qu'il était donc réceptif lorsque le Maroc a pris contact.

Les soutiens de la RASD ont également trouvé un certain appui auprès de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, qui a qualifié, le mois dernier, la présence des forces militaires marocaines au Sahara occidental d’occupation militaire illégale en violation du droit international, et l’a condamnée. Selon les observateurs, c'était la première fois que l'instance se prononçait dans une affaire portant sur le droit à l'autodétermination.

La Cour a déclaré que ce droit, inscrit à l'article 20 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, constituait une norme impérative du droit international « qui ne tolère aucune dérogation ». Ce qui impose à tous les États africains l'obligation de ne reconnaître aucune violation de ce droit à l'autodétermination.

Parmi les défenseurs de la RASD, certains pensent que le seul élément qui empêche aujourd'hui le continent de basculer complètement dans une position contre la RASD, c'est l'Acte constitutif de l'UA et sa consécration du principe d'autodétermination que la Cour africaine vient de confirmer.

Mais quelle est l'utilité de ce soutien théorique et juridique à la cause de la RASD alors qu'elle ne cesse d'être abandonnée par le monde et l'Afrique ?

Jakkie Cilliers, président du conseil d’administration de l'Institut d'études de sécurité, se demande pourquoi les pays occidentaux n'ont pas condamné l'annexion du Sahara occidental par le Maroc aussi vigoureusement qu'ils ont condamné l'annexion de l'Ukraine par la Russie.

De façon pragmatique, il note que le différend sur le Sahara occidental a entravé l'Union du Maghreb arabe, qui à son tour entrave l'intégration économique promise par la zone de libre-échange continentale africaine.

« Cette question doit être résolue ou nous devons envisager une nouvelle communauté économique régionale en Afrique du Nord qui exclue le Maroc afin de sortir de cette impasse. Le commerce intrarégional en Afrique du Nord est le plus faible au niveau mondial », a-t-il déclaré.

Peter Fabricius, consultant ISS

Image : © Amelia Broodryk/ISS

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