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La lutte permanente du Liberia d’après-guerre contre l’impunité

Vingt ans après les guerres civiles, de nouvelles lois offrent l'occasion de corriger les erreurs passées qui ont entravé la justice transitionnelle.

Les sénateurs libériens ont présenté deux projets de loi visant à créer un tribunal chargé de juger les crimes de guerre et un tribunal spécialisé dans les crimes économiques et de corruption. Ces propositions s'inscrivent dans la lignée de la recommandation de 2009 de la Commission vérité et réconciliation (CVR) d’instituer un tribunal pénal extraordinaire chargé de juger les anciens chefs de guerre et les auteurs de crimes commis pendant les quatorze années de guerre civile au Liberia, y compris les crimes économiques.

Présentés en octobre 2025, quatre ans après la soumission d'un projet de loi à l'assemblée législative par l'Ordre national des avocats libériens (LNBA) et seize ans après la recommandation de la CVR, ces projets de loi reflètent la quête continue de rendre justice et d’établir les responsabilités, même si la guerre a pris fin en 2003.

Si certains défenseurs de la justice affirment que les dispositions des projets de loi pourraient permettre l’impunité, ils offrent l’occasion de tirer les leçons des défis qui ont entravé la justice de transition et de promouvoir la justice et la responsabilité au Liberia.

Le gouvernement du président Joseph Boakai avait déjà créé le Bureau du tribunal chargé des crimes de guerre et des crimes économiques (OWEC) afin d'étudier la mise en place d’un tel tribunal. L'objectif, selon lui, était « de donner à ceux qui portent la plus grande responsabilité dans les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité l'occasion de répondre de leurs actes devant un tribunal ». Le 12 mars, le directeur exécutif de l'OWEC a annoncé son intention de présenter une version révisée du projet de loi du LNBA.

Le travail de l'OWEC a été remis en question par l'absence de consensus national sur la priorité à accorder à la justice et à la responsabilité. En effet, un dilemme majeur avait accompagné la signature de l'Accord de paix global d'Accra concernant l'inclusion des anciens chefs de guerre dans la gouvernance d'après-guerre.

Les nouveaux projets de loi du Liberia reflètent la quête continue de justice et de responsabilité

Avant sa mort le 28 novembre 2024, le sénateur Prince Johnson, qui dirigeait le célèbre groupe rebelle le Front national patriotique indépendant du Liberia et était devenu un acteur influent dans les élections présidentielles d'après-guerre, en était un exemple notable.

Poursuivre Johnson et d'autres chefs de guerre risquait de s'attirer l'hostilité de leur base électorale et de déstabiliser le Liberia. Johnson est resté une figure très populaire dans son comté natal de Nimba et s'est même présenté à l'élection présidentielle en 2011, où il est arrivé loin derrière en troisième position, avec environ 12 % des voix.

Avec le temps et la mort de Johnson, ce risque a toutefois considérablement diminué, offrant au Liberia l'occasion de garantir la responsabilité pénale des auteurs et de rendre justice aux victimes et aux survivants.

Selon certaines sources interrogées par ISS Today, la justice est essentielle pour lutter contre la culture de l'impunité, qui reste profondément ancrée dans le Liberia d'après-guerre et continue de saper la confiance dans les institutions gouvernementales, y compris les tribunaux. Elle est également nécessaire pour rassurer les victimes, les survivants et leurs familles. Elle contribuerait à la réconciliation nationale, dont le Liberia n’a pas fait sa priorité.

De plus, les lois libériennes ne prévoient pas de délai de prescription pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Il est donc encore possible d’inculper et de poursuivre les auteurs de ces crimes, ce qui permet à l’OWEC de mener à bien son projet d’émettre la première série d’inculpations en 2027.

La justice est essentielle pour lutter contre la culture d'impunité qui règne depuis la fin de la guerre

Les procès devant d'autres tribunaux qui appliquent la compétence universelle ont continué à combler le vide en matière d'impunité pour les crimes commis au Liberia, comme en témoignent les condamnations prononcées par les tribunaux français, suisses et néerlandais, ainsi que le procès de Martina Johnson en Belgique.

En avril 2022, cependant, un tribunal finlandais a acquitté Gibril Massaquoi, ancien commandant du groupe rebelle le Front révolutionnaire uni de Sierra Leone, des accusations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité au Liberia, faute de preuves.

Outre la difficulté de poursuivre des anciens chefs de guerre politiquement puissants, le Liberia a dû trouver un équilibre entre la reconstruction d'après-guerre et la justice et la responsabilité. Ellen Johnson Sirleaf, première présidente démocratiquement élue du Liberia après la guerre, qui avait elle-même été condamnée à une interdiction d'exercer toute fonction publique pendant trente ans pour avoir soutenu financièrement la rébellion de l'ancien président Charles Taylor, a donné la priorité à la relance économique et au développement des infrastructures.

Il fallait pour cela obtenir un soutien international, notamment sous la forme d'investissements dans le secteur des ressources naturelles et d'une remise de dette.

L'administration Sirleaf a toujours soutenu que les Libériens avaient tourné la page de la guerre, même si elle a cherché à promouvoir la justice réparatrice à travers le programme Palava Hub, qui ne prévoit pas de poursuites judiciaires. Son successeur, George Weah, a également minimisé l'importance de la justice et de la responsabilité.

Il n’y a pas de délai de prescription pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité

Bien qu'il ait sollicité l'avis des législateurs et soutenu la création du tribunal dans son discours à l'Assemblée générale des Nations unies (ONU) en septembre 2019, il est revenu sur sa décision à son retour au Liberia. Weah aurait fait valoir que la responsabilité devait aller de pair avec d'autres impératifs, notamment le développement.

Cependant, la priorité accordée à la reconstruction et au développement après la guerre n'a pas permis d'améliorer les conditions de vie, au détriment même de la justice et de la responsabilité. Le Liberia reste l'un des pays les moins développés au monde. Il est systématiquement classé au dernier rang de l'indice de développement humain du Programme des Nations unies pour le développement depuis la fin de la guerre.

Cette politique a non seulement entraîné des conditions de vie difficiles et suscité le mécontentement de la population, conduisant souvent à des manifestations, mais a aussi aggravé l'absence de réconciliation nationale, selon des déclarations faites à ISS Today.

Si ce sous-développement n'est pas entièrement imputable aux gouvernements d'après-guerre et peut être attribué aux perturbations causées par l'épidémie d'Ebola en 2014 et la pandémie de COVID-19, la situation montre que privilégier la reconstruction au détriment de la justice et de la responsabilité ne garantit pas des résultats positifs.

Même si une telle approche permettait d'améliorer les moyens de subsistance, sa durabilité dépendrait toujours d'une stabilité à long terme qui ne pourrait être garantie que par un fonctionnement normal de la justice.

Alors que les Libériens débattent du bien-fondé des projets de loi présentés au Sénat, le gouvernement doit accélérer ses efforts pour promouvoir la justice et la responsabilité. Ce faisant, il doit rechercher un soutien financier et technique international afin de renforcer l'OWEC et d'élaborer une feuille de route fondée sur les enseignements tirés des défis passés.

Pour garantir l'adhésion de la population, la feuille de route devrait être élaborée dans le cadre d'un processus consultatif inclusif associant toutes les parties prenantes concernées, y compris les acteurs politiques, la société civile et les représentants des victimes et des survivants.

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