La guerre en Ukraine va-t-elle compromettre les partenariats mondiaux de l’Afrique ?

Dans un nouveau contexte international plus difficile, l’Union africaine devra veiller à ce que ses partenaires tiennent leurs promesses.

Une semaine avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février, l’Afrique et l’Europe se sont mises d’accord sur une « vision commune » autour de thèmes allant de la croissance économique au changement climatique, en passant par la sécurité. S’il y a peu de risque qu’elle affecte directement les relations entre les deux continents, la guerre en Ukraine pourrait altérer certains liens bilatéraux. Les retombées économiques mondiales de la crise pourraient aussi perturber les accords en place.

L’Union africaine (UA) pourrait avoir la difficile mission de veiller à ce que les partenaires internationaux respectent leurs engagements, y compris ceux conclus lors d’autres sommets, tels que le Forum sur la coopération sino-africaine organisé en novembre 2021 à Dakar.

Lors du sommet UA-Union européenne (UE) qui s’est tenu à Bruxelles les 16 et 17 février derniers, les deux organisations se sont engagées à assurer un accès équitable aux vaccins contre la COVID-19, à permettre la reprise économique de l’Afrique et à lutter contre les flux financiers illicites. Elles se sont également entendues pour œuvrer à l’atténuation du changement climatique et pour coopérer sur les questions de paix et de sécurité.

Ce premier sommet en cinq ans a notamment débouché sur l’annonce d’un paquet d’investissements de 150 milliards d’euros en faveur de l’Afrique, dans un contexte de course mondiale à l’influence économique sur le continent.

Un paquet d’investissements pour l’Afrique de 150 milliards d’euros a été annoncé lors du sommet UA-UE

Le 11 mars, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a également rencontré le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, et plusieurs commissaires de l’UA. Les États-Unis ont promis de travailler étroitement avec l’UA, signe d’une coopération croissante et d’une meilleure reconnaissance de son rôle de porte-parole de l’Afrique dans le monde.

Le jour de l’invasion russe, Moussa Faki Mahamat et le président de l’UA Macky Sall ont appelé la Russie et tout autre acteur régional ou international au « respect impératif du droit international, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de l’Ukraine ». Ils ont exprimé leur « extrême préoccupation face à la très grave et dangereuse situation créée en Ukraine ».

Le 2 mars pourtant, au moment de voter la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur l’Ukraine, près de la moitié des États membres de l’UA se sont abstenus ou n’ont pas participé au vote. Cette évolution pourrait avoir un impact sur les relations entre les différents pays et l’Europe. La résolution déplore « dans les termes les plus énergiques » l’agression commise par la Russie contre l’Ukraine et exige que la Russie « retire immédiatement, complètement et sans condition toutes ses forces militaires du territoire ukrainien à l’intérieur des frontières internationalement reconnues du pays ».

Après la rencontre avec M. Blinken, l’ambassadrice américaine auprès de l’UA, Jessica Lapenn, a déclaré à l’Institut d’études de sécurité (ISS) que les États-Unis se réjouissaient de la déclaration de MM. Faki et Sall sur l’Ukraine. Elle a également félicité le Kenya, le Ghana et le Gabon, membres africains non permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, d’avoir soutenu la résolution de l’Assemblée générale. Mme Lapenn a indiqué qu’en dépit des circonstances, la rencontre entre M. Blinken et M. Faki avait essentiellement porté sur l’Afrique. Cette entrevue a été l’occasion d’aborder les questions du changement climatique, du commerce et de l’investissement, de la santé, de la paix et de la sécurité.

L’UA n’a pas la même autorité pour représenter les points de vue de l’Afrique que l’UE en Europe

Le vote du 2 mars a révélé une Afrique profondément divisée. Vingt-huit États membres de l’UA se sont prononcés pour la résolution, 17 se sont abstenus, huit n’ont pas voté et l’Érythrée a voté contre. Cette absence de consensus s’est de nouveau fait sentir le 24 mars, lorsque 22 pays africains seulement ont soutenu l’autre résolution sur l’aide humanitaire à l’Ukraine présentée par l’Afrique du Sud. Face au reproche de ne pas mentionner la Russie, l’Afrique du Sud a expliqué qu’elle s’efforçait de trouver une solution susceptible de recueillir l’adhésion de toutes les parties, y compris la Russie.

Il convient de souligner que l’UA n’a pas la même autorité pour représenter les points de vue de l’Afrique que l’UE au niveau de l’Europe. L’UA est une organisation intergouvernementale qui n’a pas toujours la possibilité d’affirmer une position commune, même si elle tente de le faire sur des questions telles que la migration ou le changement climatique. L’UE, en revanche, a un statut supranational qui lui permet de s’exprimer au nom du bloc.

En condamnant l’attaque contre l’Ukraine, MM. Faki et Sall se sont inscrits dans les valeurs et les normes de l’UA en matière de souveraineté. M. Sall, en tant que président de l’UA, s’est dit très préoccupé par la situation. Or son pays, le Sénégal, s’est ensuite abstenu lors du vote de la résolution du 2 mars, qui adressait de lourds reproches à la Russie. La position du Sénégal illustre les choix faits par plusieurs pays pour préserver leurs intérêts nationaux.

S’il est peu probable que les relations entre l’UA et ses partenaires, l’UE et les États-Unis, soient directement impactées, la position de certains pays africains pourrait entraver les futures relations diplomatiques et l’aide au développement.

La position de certains pays africains pourrait entraver les relations diplomatiques et l’aide au développement

Plusieurs diplomates de l’UE en Afrique ont été surpris, voire fâchés, de voir des pays comme l’Afrique du Sud refuser de soutenir la résolution du 2 mars. L’abstention a été vécue comme un rejet des efforts déployés pour faire respecter la souveraineté et le droit international. Au total, 141 États membres des Nations unies ont voté pour et quatre seulement se sont exprimés contre.

Riina Kionka, ambassadrice de l’UE en Afrique du Sud, a tweeté : « Nous sommes perplexes car l’Afrique du Sud se considère et est considérée dans le monde comme un pays qui défend les droits humains, le droit international et l’état de droit. »

L’Afrique du Sud a répondu que la résolution du 2 mars « n’avait pas mis en avant l’appel à un engagement significatif ». Le président Cyril Ramaphosa a expliqué que l’Afrique du Sud avait toujours adhéré à une approche de résolution pacifique des conflits du fait de son histoire, qui l’a vue « accéder à la démocratie grâce à un règlement négocié ». L’abstention, a-t-il ajouté, ne signifie pas que le pays ne respecte pas les droits humains ou ne se préoccupe pas de l’impact du conflit sur les civils.

Un diplomate européen basé à Pretoria a déclaré à l’ISS que cela ne devrait pas porter atteinte aux relations de l’UE avec l’Afrique du Sud, car l’organisation n’a pas l’habitude de « punir » les pays de la sorte. D’autres pensent toutefois que l’aide au développement accordée aux États ou organisations soutenant ouvertement la Russie pourrait en pâtir.

Selon Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement, la guerre en Ukraine menace gravement la sécurité alimentaire en Afrique, dont plusieurs États sont très dépendants des importations de blé russe et ukrainien. Ces deux pays représentent un tiers de l’approvisionnement de l’Afrique de l’Est, par exemple, où l’Égypte et le Soudan sont particulièrement touchés par la crise. Le Nigeria, le Maroc, le Sénégal et la Tunisie sont également de grands acheteurs de blé.

Fait ironique, le thème de l’UA pour l’année 2022 est « Renforcer la résilience en matière de nutrition sur le continent africain : accélérer le capital humain, le développement social et économique ». Dans ce contexte complexe, l’organisation devra lutter pour faire entendre sa voix et trouver une solution durable à la crise alimentaire.

L’UA devra également se demander si la persistance des divisions entre les États africains sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait nuire à ses engagements avec l’UE. En attendant, elle peut faire en sorte que la situation n’hypothèque pas les récentes promesses de l’UE et des États-Unis.

Liesl Louw-Vaudran, chercheuse principale, ISS

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