La Côte d’Ivoire a-t-elle trouvé la solution à l’extrémisme violent ?
La menace persiste, bien que son expansion ait été contenue en combinant une réponse militaire, sécuritaire et sociale
Aucune attaque terroriste significative n’a été rapportée dans le nord de la Côte d’Ivoire depuis les deux dernières années, suggérant que l’approche du pays pour faire face à la menace a été efficace. Alors que cette menace est croissante dans plusieurs autres pays d’Afrique de l’Ouest, la situation en Côte d’Ivoire interroge sur la singularité de son approche.
Côte d'Ivoire et pays voisins Source : ISS (cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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La zone frontalière avec le Burkina Faso a été sous forte pression des groupes extrémistes violents entre 2020 et 2021. Presque une vingtaine d’attaques et d’incidents attribués à ces groupes ont été recensés au cours de cette période. Il s’agit notamment d’attaques contre des positions et des convois des forces de défense et de sécurité (FDS), y compris à l’aide d’engins explosifs improvisés, d’incursions en territoire ivoirien, de prêches de propagande, de menaces et d’intimidations contre les populations, etc.
Face à cette situation, les autorités ivoiriennes ont dans un premier temps misé sur la réponse militaire et sécuritaire, avant de la compléter par un volet social.
La première attaque majeure en Côte d’Ivoire – à Grand-Bassam en mars 2016 – a causé la mort de 19 personnes et 33 blessés. Avant ce fait, l’existence de la menace terroriste au niveau régional avait déjà donné lieu à la prise d’un certain nombre de mesures opérationnelles afin de préparer la riposte en cas d’attaque.
Le risque de radicalisation dans le champ religieux ivoirien avait également fait l’objet d’une attention qui s’était traduite par des actions de sensibilisation menées à travers le pays sur la base de « mallettes pédagogiques ». À la suite de l’attaque de Grand-Bassam, les efforts visant à renforcer le dispositif sécuritaire se sont poursuivis, avec également l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme en 2018.
Aucune attaque terroriste significative n'a été signalée dans le nord de la Côte d'Ivoire au cours des deux dernières années
À partir de 2019, la présence croissante de groupes extrémistes dans les forêts burkinabè situées en lisière de la frontière ivoirienne s’est traduite par une vigilance accrue et un renforcement du dispositif militaire dans le nord du pays. En mai 2020, une opération conjointe a été conduite avec le Burkina Faso.
Ces mesures n’ont toutefois pas suffi à empêcher l’émergence du front dans le nord-est du pays. L’attaque de Kafolo en juin 2020, qui a déclenché cette nouvelle séquence, a entraîné une nouvelle série de mesures visant au renforcement du dispositif militaire et sécuritaire.
Cet effort s’est notamment illustré par la création en juillet 2020 d’une zone opérationnelle dans le nord, l’implantation de camps militaires dans certaines localités frontalières et par des investissements significatifs pour accroître les capacités opérationnelles des forces de défense et de sécurité (FDS). Cela a inclus les moyens humains, aériens, des véhicules de transport blindés et des équipements de surveillance.
Un Centre de renseignement opérationnel antiterroriste a été créé en août 2021 dans le but d’améliorer le recueil et l’utilisation du renseignement. Une meilleure coopération régionale, particulièrement dans le cadre de l’Initiative d’Accra à laquelle participe la Côte d’Ivoire, a aussi constitué un aspect important de la réponse.
Il est possible que cette accalmie soit due au retrait des extrémistes à travers la frontière ou à leur discrétion
La riposte militaire et sécuritaire a joué un rôle notable dans l’accalmie qui prévaut. Les opérations terrestres, aériennes, ainsi que le renseignement ont contribué à réduire la capacité des groupes extrémistes à mener des incursions, à se mouvoir et à opérer sur le territoire ivoirien. Le renforcement du dispositif militaire le long de la frontière a rassuré les populations. L’accalmie peut également s’expliquer par le repli des groupes de l’autre côté de la frontière, où ils peuvent encore mener des actions violentes, ainsi que par l’adoption d’un profil bas. Dans tous les cas, la réponse militaire n’a pas été étrangère à cette évolution de leur posture.
C’est dans ce contexte de calme qu’est intervenu le volet social de la réponse ivoirienne. Il est mis en œuvre dans le cadre du second Programme social du Gouvernement (PS Gouv 2) qui couvre la période 2022-2024. Le premier axe stratégique du PS Gouv 2 porte sur la lutte contre la fragilité dans les zones frontalières du nord.
Ce programme a été annoncé en novembre 2021 et officiellement lancé en janvier 2022. Il vise à améliorer les conditions de vie des populations en améliorant les infrastructures et l’accès aux services sociaux de base. L’objectif est de changer la perception d’un abandon par l’État parmi les communautés frontalières et par ce fait de réduire le risque de son instrumentalisation par les groupes extrémistes. Le programme se focalise sur l’éducation, la santé, l’accès à l’électricité et à l’eau potable, l’entretien routier, l’insertion professionnelle et l’emploi des jeunes et les filets sociaux.
Bien que le bilan du gouvernement de la première année de mise en œuvre du PS Gouv 2 soit largement positif quant aux réalisations effectuées, il est trop tôt pour en mesurer le réel impact. L’amélioration du contexte sécuritaire ayant été antérieure à sa mise en œuvre effective, l’on ne saurait porter à son actif une contribution à cette évolution.
Le programme social vise à inverser les perceptions des communautés frontalières selon lesquelles l'État les aurait abandonnées
En revanche, en fonction de sa capacité à réduire les vulnérabilités et fragilités structurelles dans le nord du pays, ce programme a - comme complément à la réponse militaire et sécuritaire - le potentiel d’influer positivement sur la trajectoire actuelle et les évolutions futures de la menace.
L’approche ivoirienne, combinant riposte militaire et sécuritaire et réponse sociale, n’est pas en soi innovante ni fondamentalement différente de celle entreprise dans d’autres pays confrontés à la même menace. C’est notamment le cas dans le Centre du Mali, dans la région du Sahel du Burkina Faso et dans le nord du Togo.
Les autorités ivoiriennes et leurs partenaires devraient poursuivre les efforts visant à réduire les vulnérabilités socioéconomiques, sécuritaires et en matière de cohésion sociale et de gouvernance dans les zones frontalières du nord. Toute opportunité de collaboration avec le Burkina Faso, le Ghana et le Mali serait bénéfique.
Afin d’accroître l’efficacité des réponses apportées contre l’extrémisme violent, leur élaboration et leur mise en œuvre doivent s’appuyer sur une meilleure compréhension des différents modes d’action des groupes extrémistes, notamment les mécanismes par lesquels ils s’implantent et opèrent.
Les recherches menées par l’Institut d’études de sécurité à paraître prochainement mettent en évidence les efforts des groupes extrémistes violents pour se procurer des ressources financières et des moyens de subsistance et mobiliser des ressources humaines à partir du nord de la Côte d’Ivoire. Cet aspect est aussi important à prendre en compte que les attaques dans l’appréciation de la menace et dans l’élaboration de solutions efficaces.
William Assanvo, chercheur principal, bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
Image : © Godong / Alamy Stock Photo
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