La baisse de l'aide est-elle une opportunité pour l'Afrique ?
La réduction des aides américaines et européennes pourrait pousser l'Afrique à s’en affranchir, mais ce sera difficile pour les pays pauvres.
L'administration de Donald Trump, président des États-Unis, a semé la panique en procédant à un démantèlement brusque de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui était dotée de plusieurs milliards de dollars. Cette situation interrompt de nombreux projets de développement et met en danger des millions de bénéficiaires.
Les réductions ne sont pas quantifiables en raison de la façon chaotique dont les États-Unis les ont effectuées. Cependant, selon un document de l'USAID révélé par Devex, une plateforme d’informations indépendante sur le développement, 5 341 programmes de l'USAID d'un montant de 75,9 milliards de dollars US ont été supprimés. Seuls 898 programmes, totalisant environ 78 milliards de dollars, n’ont pas été touchés. Devex précise que le département d'État américain a également perdu 2 100 programmes d'aide pour un montant total de 4,6 milliards de dollars.
Jakkie Cilliers, directeur du programme Afrique futures et Innovation (AFI) de l'Institut d'études de sécurité (ISS), a fait le bilan de l'impact global probable de ces coupures. S'appuyant sur diverses sources, il a évalué qu’elles provoqueraient jusqu'à 18 millions de cas supplémentaires de paludisme par an ; un million de cas de malnutrition infantile sévère et potentiellement mortelle ; une augmentation de 600 % d'infections au VIH ; une propagation de la famine, 489 millions de dollars d'aide alimentaire vitale et indispensable risquant d'être perdus, retardés ou détournés.
En Afrique, selon la modélisation de l'AFI, il pourrait y avoir une hausse de 5,6 millions de personnes vivant dans l‘extrême pauvreté en 2026, et l'économie africaine globale baisserait d'environ 4,2 milliards de dollars d'ici 2030. L'impact sur le VIH/SIDA en Afrique serait immense en raison des réductions du Plan d'urgence du Président des États-Unis pour la lutte contre le SIDA (PEPFAR).
Cilliers précise que les États-Unis contribuent pour 30 % au montant global de l'aide publique au développement et l'Union européenne (UE) à hauteur de 42 %. Ce qui a été pratiquement ignoré, c'est que plusieurs États de l'UE, dont la France, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique, réduisent aussi progressivement leurs budgets d'aide. Il en va de même pour le Royaume-Uni et la Suisse, avec une baisse d'environ 25 % pour chacun d’eux.
Le monde en effet est devenu de plus en plus périlleux. Face à la menace de Trump de ne plus soutenir l'Europe, au moment où celle-ci est confrontée à une plus grande menace de la part de la Russie, les pays occidentaux détournent l'aide au développement au profit de la défense.
On a pratiquement ignoré la réduction progressive de l’aide de plusieurs États de l'UE
« L'Europe restructure son aide au développement, passant des subventions traditionnelles à un financement axé sur l'investissement tout en réduisant les budgets [et en donnant la priorité à la défense], ce qui soulève des inquiétudes quant à l'avenir du développement mondial », explique Devex.
Les pays africains ont mis du temps à déterminer comment combler les énormes trous qui apparaissent dans leurs budgets de développement, notamment en trouvant les moyens d'augmenter les recettes nationales en mettant en place par exemple des services de recettes fiscales plus efficaces.
La semaine dernière, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a reconnu que la décision américaine de réduire le PEPFAR, qui subventionnait à hauteur de 17 % la lutte contre le VIH/SIDA en Afrique du Sud, était un « signal d'alarme » pour son gouvernement, qui devrait alors les compenser.
GroundUp et Spotlight ont toutefois remarqué que la crise avait éclaté en janvier, mais qu'il avait fallu attendre le 3 mars pour que le ministère sud-africain de la santé rencontre les partenaires opérationnels locaux de l'USAID. Et aucune somme n'avait encore été allouée pour combler « le trou massif laissé par les coupes budgétaires du PEPFAR qui, selon les estimations, entraîneront des centaines de milliers de décès au cours de la prochaine [décennie] ».
D'autres y voient une occasion pour l'Afrique de changer sa relation de dépendance vis-à-vis des pays donateurs — comme l'a envisagé le satiriste et commentateur kenyan Patrick Gathara lors d'une visioconférence, organisée par The Resistance Bureau la semaine dernière, intitulée : « L'Afrique après l'aide ? L’impact et les possibilités ».
L'absence d'aide à la démocratie pourrait pérenniser les pouvoirs autoritaires en Afrique
Il a regretté que le discours sur la réduction de l'aide ait été en grande partie « un retour au traditionnel récit d’un continent sans espoir, incapable de se prendre en charge sans l'aide d’occidentaux bienveillants ». Au contraire, il a expliqué que l'Afrique est un créancier net du monde et les pays donateurs gagnent entre 7 et 8 dollars US pour chaque dollar dépensé en aide.
Gathara a suggéré que d'autres pays africains s'inspirent du Kenya, où les jeunes ont manifesté l'année dernière contre la tentative du président William Ruto d'augmenter les impôts. Ils lui ont demandé d'équilibrer les comptes en luttant contre la corruption et en réduisant les dépenses publiques.
Nic Cheeseman, professeur en démocratie à l'université de Birmingham, a reconnu que face au gouffre béant laissé dans les revenus de l'aide, une pression publique accrue devrait s’exercer sur les gouvernements pour qu'ils soient plus responsables et fassent en sorte que l’argent de la corruption aille à la fourniture de services. Il a expliqué lors de la visioconférence que le Sud-Soudan, par exemple, consacrait un pourcentage infime de son budget à la fourniture des soins de santé, comptant sur les États-Unis pour les financer à environ 60 à 70 %.
Cependant, Cheeseman a déclaré que canaliser cette pression posait un problème, d'autant plus que les réductions de l'aide entraînaient également une diminution du financement des organisations de la société civile qui soutiennent la démocratie et la bonne gouvernance.
Cilliers a déclaré que l'USAID avait été l'un des principaux bailleurs de fonds des programmes de renforcement des institutions démocratiques, des droits de l'homme et de la gouvernance dans toute l'Afrique. Ce secteur sera l'un des plus touchés par les réductions, puisque plus de 90 % de son financement par l'USAID et le département d'État américain a été supprimé.
Le commerce et l'investissement privé ne résoudront pas les problèmes de développement en Afrique
Il craint que l'absence d'aide à la démocratie ne pérennise les pouvoirs autoritaires et provoque une instabilité politique en Afrique. Les pays africains deviendraient alors plus sensibles à l'influence de pays non démocratiques comme la Chine et la Russie.
Cheeseman pense que des pays comme les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite combleront en partie ce vide financier. « Le nouveau jeu pourrait donc s'avérer plus problématique [du point de vue] de la renaissance de l'Afrique », a-t-il déclaré. Entre-temps, les États-Unis céderaient à ces pays une grande partie de leur « pouvoir de persuasion », y compris leur influence politique.
Comme Cilliers l’a expliqué, les recherches de l'AFI ont montré que les niveaux de démocratie dans de nombreux pays africains étaient plus élevés que prévu, compte tenu de leur développement. Il a attribué une partie de ce « surplus démocratique » aux conditionnalités et aux efforts de financement en faveur de la démocratie par les pays occidentaux.
« Notre coopération internationale, dans les années 1960 et 1950, s’est transformée [en aide publique pour le développement] », a déclaré à Devex Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement. « Ce qui se passera désormais est cohérent avec ce que le monde est devenu, et pour lequel nous avons besoin d'une nouvelle architecture. Nous devons passer de l'assistance à l'investissement — un investissement durable et inclusif ».
Toutefois, Cilliers a mis en garde ceux qui célèbrent aujourd'hui la fin de la dépendance de l’Afrique vis-à-vis de l'aide, car il ne sera pas facile pour le commerce et l'investissement privé de résoudre les problèmes de développement du continent, en particulier dans les pays les plus pauvres. Il précise que les 22 pays africains les moins avancés ne représentent qu'environ 0,4 % du commerce mondial, et les 24 pays à revenu faible ou intermédiaire environ 1 %.
« Attendre de ces pays qu'ils sortent de la pauvreté par le commerce est, dans le meilleur des cas, un projet multi-générationnel, a-t-il fait remarquer. Les grandes multinationales n'investissent pas dans les pays pauvres. Ni la philanthropie mondiale ni les fonds de la diaspora ne pourront permettre [à l'Afrique] de combler le vide laissé. L'Afrique est de plus en plus autonome, mais son indépendance financière a un coût ».
Le seul point positif est peut-être que certaines lacunes de l'USAID seront comblées par des pays européens qui en profiteront pour tirer parti de leur influence, alors que les tensions et la concurrence avec les États-Unis augmenteront.
Malgré ses multiples erreurs et difficultés, l'aide européenne a traditionnellement été plus transparente et basée sur le dialogue politique que l'aide américaine.
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