La philanthropie africaine peut-elle compenser les réductions de l'aide américaine ?
L'Afrique doit améliorer l'allocation des ressources et promouvoir des investissements à impact social au-delà de la recherche de profits.
Publié le 11 mars 2025 dans
ISS Today
Par
Oluwole Ojewale
coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé ENACT - Afrique centrale, ISS
Nengak Daniel Gondyi
doctorant, projet LANDRESPONSE, Université norvégienne des sciences de la vie, Ås, Norvège
Le jour de sa prise de fonction en janvier, le président des États-Unis, Donald Trump a autorisé le gel de la majeure partie de l'aide américaine au développement à l'étranger pendant 90 jours. Ce gel permettrait d'évaluer l'efficacité des programmes et leur cohérence avec la politique étrangère américaine.
Le secrétaire d'État américain, Marco Rubio a proposé un test à trois étapes pour l'aide américaine future : « Cette décision aide-t-elle à sécuriser les États-Unis ? Rend-elle l'Amérique plus forte ? Ou plus prospère ? » Rien n'a été dit sur les besoins du pays bénéficiaire ni sur les droits et les valeurs des individus.
Alors que cette décision américaine fait des choux gras de la presse, le changement des priorités de l'aide n'est pas nouveau. En 1995, la Suède a remplacé son Autorité suédoise pour le développement international, semblable à l'USAID, par l'Agence suédoise de coopération internationale au développement. En 2020, le Département britannique pour le développement international a été fusionné au ministère des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement.
La méthode américaine diffère des cas suédois et britannique, étant donné l'immédiateté du gel et le démantèlement de l'USAID avant examen.
Au niveau mondial, la hausse de l'aide publique au développement (APD) se stabilise depuis 2022. En 2020, le Royaume-Uni a réduit son engagement à consacrer 0,7% de son revenu national brut (RNB) à l'APD à 0,5%, avec un nouvel objectif de 0,3% d'ici 2027.
Le montant des fortunes personnelles et les envois de fonds étaient supérieurs à l'aide au développement en Afrique en 2024
On estime qu'en 2023, le Comité d'aide de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui comprend les pays les plus riches du monde, n’a consacré que 0,37% du RNB des donateurs à l'aide au développement, soit 196 milliards de dollars, inférieur à l'objectif de 0,7%.
Deux tendances se dégagent. Premièrement, les pays qui gèrent l'APD séparément de la politique étrangère ont tendance à les fusionner. Par conséquent, la composante aide sera faible et dépendra des priorités de la politique étrangère. Deuxièmement, le financement de l'APD diminuera probablement à mesure que les pays donateurs réagiront aux difficultés économiques de l'après-COVID-19 et aux priorités nationales et régionales telles que la guerre en Ukraine. L'Afrique ne sera pas une priorité pour l'aide restante.
En 2023, l'Afrique a reçu 59,7 milliards de dollars d'APD, soit 26,8% de l'ensemble de l'aide cette année-là. Les réductions américaines sont importantes, car le pays fournit environ 26% de son aide au développement à l'Afrique, et tous les pays africains, à l'exception de l'Érythrée, ont reçu un appui des États-Unis en 2023.
Le gel de l'aide américaine a des répercussions différentes en Afrique. En Éthiopie, où 16 millions de citoyens dépendent des dons de céréales et 50% des enfants devraient souffrir de malnutrition en 2024, la décision aggrave une situation déjà critique. Le déficit de 156 millions de dollars du Ghana menace ses secteurs de la santé et de l'agriculture. Le système de santé fragile du Nigeria est davantage éprouvé, ce qui aggrave les vulnérabilités.
L'APD soutient des secteurs où les programmes gouvernementaux sont absents depuis des décennies comme la santé publique, le changement climatique, les migrations, la criminalité, les conflits violents, l'agriculture et la sécurité alimentaire. L'aide appuie également la société civile et les initiatives de recherche.
Les gouvernements africains peuvent adopter des mesures d'incitation financières et réglementaires
Pour répondre au déficit d'APD (et aux chocs similaires), l'Afrique n’a pas besoin d'un gros chèque, mais de réexaminer efficacement l'utilisation des ressources. Une collecte plus efficace des recettes publiques et l'élargissement de l'assiette fiscale sont également essentiels.
Le rapport d’Africa Wealth Report 2024 révèle que l’Afrique abrite 135 200 personnes dotées d’une fortune d’au moins 1 million de dollars. Par ailleurs, les envois de fonds vers l'Afrique ont atteint 100 milliards de dollars en 2023, soit 6% du produit intérieur brut du continent. Les fortunes personnelles et les envois de fonds ont dépassé l'APD à l'Afrique, qui s'élevait à 42 milliards de dollars, ainsi que les investissements directs étrangers - 48 milliards de dollars en 2024.
L'Afrique dispose de ressources considérables qui augmentent grâce aux investissements directs étrangers et aux envois de fonds. Il faut donc améliorer l'allocation des ressources et promouvoir des investissements bénéfiques aux communautés, et pas seulement augmenter les profits.
Le secteur privé africain doit affecter les ressources aux causes sociales avec discernement. Le 20 février, les élites nigérianes ont collecté 17,5 milliards de Naira (11,7 millions de dollars) pour un ex-dictateur de 83 ans afin de construire une « bibliothèque présidentielle » dans un pays où 18 millions d'enfants ne sont pas scolarisés. Une meilleure planification permettrait de canaliser ces fonds vers des initiatives plus inclusives et durables.
Les Africains n'ont pas besoin d'être millionnaires pour impulser le changement. Le crowdfunding (financement participatif) prend de l’ampleur dans certaines régions d'Afrique et malgré les difficultés inhérentes, les résultats seraient meilleurs si les Africains regroupent leurs ressources et soutiennent des projets comme ceux financés par l'APD.
Grâce aux investissements à impact social, l'Afrique peut affecter les ressources à des besoins impérieux. Entre 2005 et 2015, 38 milliards de dollars de capital à impact social ont été investis en Afrique. D'autres outils pourraient inclure des obligations caritatives, des fonds verts et de développement durable.
La générosité africaine à l’égard des causes caritatives devrait être combinée à un impact social
Le manque de sensibilisation, de réglementation et d'intérêt des investisseurs africains constitue autant de défis à relever. L'intérêt de la diaspora pour les transferts de fonds et ses obligations peut servir à financer des projets à impact.
Les gouvernements africains peuvent motiver les particuliers et les entreprises par des incitations financières et réglementaires. Il s'agit notamment d'avantages fiscaux pour les contributions caritatives, d'un accès prioritaire aux partenariats public-privé et de politiques qui intègrent la philanthropie dans les programmes nationaux.
Le continent doit repenser sa dépendance à l'aide extérieure. Les philanthropes africains peuvent financer des projets essentiels, autrefois subventionnés par l'APD, au moyen de dons de particuliers et d'entreprises, crowdfunding et souscription à des investissements et à des obligations à impact social.
Ces financements doivent être orientés vers des projets concrets, durables, gérés par des équipes professionnelles et correctement évalués. Les programmes de sensibilisation qui favorisent une culture du don sont également vitaux.
En 2023, les contributions du secteur privé au Fonds des Nations unies pour l'enfance (y compris les dons individuels) ont atteint 2,1 milliards de dollars. Les dons affluent lorsque la confiance règne.
Cette pratique pourrait être reproduite en Afrique, où il existe une forte générosité à l’égard des causes caritatives. Il reste à combiner cette pratique aux investissements pour libérer le continent de sa dépendance à l'aide étrangère.
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