L’Union africaine doit s’imposer pour stabiliser l’est de la RDC
L’UA manque d’une stratégie cohérente pour réduire les tensions entre les pays et améliorer la coordination en matière de sécurité.
Publié le 10 mai 2024 dans
ISS Today
Par
Hubert Kinkoh
chercheur, Gouvernance africaine de la paix et de la sécurité, ISS Addis-Abeba
La situation de la sécurité empire dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et dans la région des Grands Lacs, malgré les nombreux efforts de stabilisation. L’intensification des attaques du M23 depuis février ainsi que d’autres groupes armés dans les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu a entraîné une augmentation du nombre de morts et de déplacements forcés, rendant difficile l’accès à l’aide humanitaire.
Cette escalade a mis à rude épreuve les relations déjà tendues entre le Rwanda et la RDC. De multiples initiatives régionales, parallèles et souvent concurrentes, ont été lancées pour y faire face, chacune se heurtant à des obstacles considérables. L’Union africaine (UA) a également cherché des solutions, mais ne dispose d’aucune stratégie cohérente pour la RDC. Cependant, une telle stratégie permettrait-elle de sortir de l’impasse et d’ouvrir la voie à la stabilité dans la région ?
Le processus de Nairobi, lancé par l’ancien président du Kenya, Uhuru Kenyatta, sous les auspices de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), conjuguait des efforts militaires et diplomatiques. Le déploiement de la force régionale de la CAE de novembre 2022 à décembre 2023 a facilité un cessez-le-feu de courte durée entre les parties belligérantes en rouvrant partiellement certaines voies d’approvisionnement. Il a également contribué au retour des personnes déplacées dans certaines zones.
Cependant, la RDC a expulsé la force au motif qu’elle n’avait ni attaqué ni désarmé le M23 et les autres insurgés. Cela a aggravé l’insécurité et soulevé des questions quant à l’avenir du processus de Nairobi. Depuis lors, les attaques des groupes armés ont augmenté, notamment à Sake et à Goma, la capitale du Nord-Kivu, ce qui a érodé le processus et ralenti l’élan. Un expert des Grands Lacs a déclaré au Rapport sur le CPS de l’Institut d’études de sécurité que cette initiative n’était entretenue que grâce aux relations personnelles entre le président de la RDC, Félix Tshisekedi, et Kenyatta.
L’UA a collaboré à des initiatives régionales ad hoc en vertu du principe de subsidiarité
Entre-temps, les tensions entre la RDC et le Kenya, exacerbées par l’émergence du mouvement Alliance Fleuve Congo affilié au M23, continuent de limiter les perspectives de solution pacifique.
En décembre 2023, la Mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) en RDC (SAMIDRC) a pris la relève de la force est-africaine. Confrontées à des difficultés et au manque de ressources financières, limitée sur les plans logistique et opérationnel, la mission pourrait lui subir le même sort que la force régionale de l’Afrique de l’Est.
À ce jour, seuls 800 des 2 900 contingents sud-africains promis ont été envoyés, et le déploiement des 5 000 soldats tanzaniens et malawites n’est pas confirmé. Le M23 a par conséquent étendu son territoire, attaquant les contingents et causant des pertes parmi les forces sud-africaines et tanzaniennes. Outre l’opposition du Rwanda à son déploiement, la SAMIDRC devrait rencontrer de nombreux obstacles.
Le processus de Luanda, dirigé par le président angolais João Lourenço au nom de l’UA, qui a pour objectif de stabiliser la région, est l’initiative politique la plus active. L’Angola a accueilli le premier sommet de la CAE en juin dernier, qui a réuni la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs et la SADC sous les auspices de l’UA. Un cadre a été adopté pour aligner et coordonner les initiatives de paix régionales, attribuer les responsabilités et fixer des échéances.
L’UA est critiquée pour son manque d’implication et sa démarche inadéquate
Malgré ces progrès, une réunion du processus de Luanda en marge du 37e sommet de l’UA en février a révélé une certaine méfiance et un manque d’adhésion à ces initiatives. Les efforts pour encourager les discussions entre Tshisekedi et le président rwandais Paul Kagame ont révélé leur animosité réciproque. Et bien qu’ils aient finalement accepté de poursuivre leurs efforts diplomatiques, les accusations entre Kigali et Kinshasa continuent d’entraver le dialogue.
L’UA a soutenu les décisions adoptées lors de ces efforts de paix et a collaboré à des initiatives régionales ad hoc en vertu du principe de subsidiarité. Cependant, nombreux sont ceux qui critiquent son manque d’implication directe, la jugeant inadaptée et éloignée des préoccupations, et estimant qu’elle a besoin d’une stratégie d’engagement aux contours bien définis.
À ce jour, le Cadre de paix, de sécurité et de coopération pour la RDC et les Grands Lacs, signé en 2013, est l’initiative la plus importante de l’UA. Elle réunit 13 pays et quatre institutions garantes. En 2023, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA l’a reconnue comme l’instrument le plus « viable pour soutenir la RDC et les institutions de la région afin d’atteindre la paix et la stabilité », et a appelé à sa revitalisation. Depuis lors, des mesures ont été prises pour instaurer la confiance entre les pays signataires, les garants et les autres parties prenantes, et pour garantir un engagement en faveur de sa mise en œuvre.
Le CPS a également demandé récemment à la Commission de l’UA d’accélérer le financement de la Facilité de réserve de crise du Fonds pour la paix de l’UA et de transférer les équipements attribués à la SADC par la Base logistique continentale de l’UA à Douala, au Cameroun, afin de soutenir les opérations de la SAMIDRC.
Le CPS devrait faciliter l’octroi d’un financement suffisant
Pourtant, les efforts régionaux éclipsent l’implication de l’UA en RDC. L’UA doit se doter d’une stratégie clairement définie pour éviter la duplication des mesures régionales, réduire les luttes d’influence entre les États et les groupes régionaux, éliminer les lacunes en matière de coordination et limiter les déploiements ad hoc.
La stratégie devrait s’articuler autour de l’équipement d’une force militaire qui soit en mesure de combattre efficacement les groupes armés et le M23. Le CPS devrait faciliter l’octroi d’un financement suffisant, au-delà des maigres allocations de la Facilité de réserve de crise, afin de soutenir les opérations de la SAMIDRC. Une conférence des donateurs pour la RDC pourrait attirer des financements de sources non traditionnelles, y compris du secteur privé. La résolution 2719 du Conseil de sécurité des Nations unies, récemment adoptée, offre également à l’UA la possibilité de garantir le financement des opérations et de la logistique de la SAMIDRC.
Le déploiement de la Force africaine en attente dans l’est de la RDC pourrait aussi permettre d’avoir une approche continentale plus structurée de la mobilisation des contingents et des ressources. Cette approche contraste avec les déploiements régionaux ad hoc actuels et leurs limites inhérentes.
Une source diplomatique a déclaré au Rapport sur le CPS que, malgré les tensions entre Kigali et Kinshasa, les dirigeants sont ouverts à des pourparlers dans le cadre d’un accord tripartite (RDC, Rwanda et Angola). Cette démarche ouvrirait la porte à des concessions et à une solution politique dans le cadre du processus de Luanda.
Cet article a été publié pour la première fois dans le Rapport du CPS de l’ISS.
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