L’Union africaine doit privilégier l’allègement de la dette
La réalisation des six objectifs prioritaires de l’UA au G20 dépend de l’amélioration de la santé financière des pays endettés.
L’adhésion de l’Union africaine (UA) au G20 en septembre 2023 a marqué une étape importante pour 1,5 milliard d’Africains. C’est l’occasion pour l’UA de s’aligner sur l’Agenda 2063, le programme de développement du continent, et d’améliorer la viabilité de la dette de l’Afrique.
Le continent africain croule sous les dettes. Vingt-trois pays sont en situation de détresse financière dont trois sont insolvables. L’insolvabilité a des conséquences désastreuses. À l’instar d’un individu qui ne respecte pas ses échéances, le défaut souverain engendre une pléthore d’effets négatifs, qui affectent la stabilité économique et politique, le bien-être de la population et la situation financière du pays sur le scène internationale.
À la suite des répercussions économiques de la COVID-19, plusieurs rencontres ont été consacrées à l’allègement de la dette des pays à revenu faible et intermédiaire, en particulier en Afrique. Ainsi ont été organisés le sommet pour un nouveau pacte financier mondial de juin 2023, la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP28) de décembre 2023 et la réunion du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale d’avril 2024.
Le Cadre commun du G20 pour le traitement de la dette joue un rôle central dans ces initiatives. Créé en 2020, il s’inspire du Club de Paris, groupe informel de pays créanciers fondé en 1956 avec pour but de trouver des solutions durables aux difficultés de paiement des pays débiteurs. Le Club a su restructurer les dettes de nombreux pays au fil des ans.
23 pays africains sont en situation de détresse financière dont 3 sont insolvables
Le Cadre commun visait initialement à faciliter l’allégement structuré de la dette, en dotant les pays éligibles à l’initiative de suspension du service de la dette (ISSD) de mécanismes de gestion et de remboursement des dettes. L’ISSD, créée en 2020, a suspendu temporairement les charges de remboursement des pays pauvres afin d’atténuer l’impact économique de la pandémie. À la fin de l’ISSD en 2021, les pays devaient recourir au Cadre commun.
L’Éthiopie, le Tchad et la Zambie ont sollicité une aide au titre du Cadre commun en début 2021. L’Éthiopie a conclu un accord provisoire de suspension du paiement de la dette avec des créanciers bilatéraux dont la Chine, mais les négociations se poursuivent. Le Tchad a signé un accord de principe fin 2022. En mars 2024, la Zambie est devenue le premier pays à achever une restructuration selon l’architecture de rééchelonnement de la dette du G20.
En janvier 2023, le Ghana est devenu le quatrième pays à solliciter un traitement au titre du Cadre commun. En janvier 2024, il a conclu un projet d’accord avec ses créanciers officiels pour restructurer une dette de 5,4 milliards de dollars US.
Le Cadre commun présente toutefois plusieurs lacunes. Les obstacles bureaucratiques et les retards accentuent les difficultés économiques des pays dans le besoin. La procédure engagée par la Zambie a duré plus de trois ans, causant un préjudice à son économie. Les gouvernements africains sont contraints de payer 500 % de plus en intérêt sur les dettes contractées sur les marchés financiers, ce qui ne serait pas le cas si le G20 mettait rapidement en œuvre des réformes financières.
L’impact d’un paysage diversifié de créanciers sur la restructuration de la dette est déterminant
Il faut tenir compte de l’impact des différents profils de créanciers sur la restructuration de la dette dans le Cadre commun. En 1996, le Club de Paris détenait 39 % de la dette des pays à faible revenu, contre seulement 11 % aujourd’hui. Le paysage des créanciers comprend actuellement divers acteurs comme la Chine et l’Arabie saoudite qui ne font pas partie du Club et qui pourraient préférer des négociations bilatérales, alors que le Club a une approche collective. Cette divergence peut retarder davantage les résolutions.
Le Cadre commun est volontaire et non contraignant et ne dispose donc pas de mécanismes d’exécution solides ou d’incitations pour que les créanciers y participent. Cela se traduit par une mise en œuvre incohérente et un impact limité. Cette situation est exacerbée par l’insuffisance des mesures globales visant à résoudre les problèmes dans les pays emprunteurs, notamment le manque de transparence fiscale et une mauvaise gouvernance, véritables freins à l’allégement de la dette.
Le Cadre commun concerne principalement les créanciers bilatéraux officiels et n’exige pas la participation des créanciers privés. Certes, il préconise un traitement similaire des créanciers privés, mais leur participation est volontaire et non pas exécutoire. La restructuration globale de la dette est donc difficile, en particulier en Afrique, où 43 % de la dette extérieure est détenue par des créanciers privés.
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Créanciers de l’Afrique en 2023 Source : ONE Campaign
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L’adhésion de l’UA au G20 marque un tournant décisif. Les six priorités de l’UA pour les trois prochaines années dépendent de l’amélioration de la santé financière des États africains. Ces priorités sont : l’accélération de l'Agenda 2063 ; le plaidoyer en faveur de la réforme des institutions financières internationales; l’amélioration de la production agricole; la réalisation d’une transition énergétique juste; l’augmentation des échanges et des investissements pour la mise en place de la zone de libre-échange continentale africaine; l’amélioration de la cote de crédit de l’Afrique pour stimuler les investissements dans la fabrication de vaccins et la lutte contre les pandémies.
Pour sa première année au sein du groupe prestigieux, l’UA peut privilégier l’allègement de la dette, ce qui répond aux priorités du G20 et au besoin d’amélioration du Cadre commun. Celui-ci présente certes des lacunes importantes, mais constitue un tremplin pour des solutions viables.
L’UA devrait privilégier l’amélioration et l’optimisation du Cadre commun plutôt que sa refonte
L’accélération de l’Agenda 2063 et la réforme des institutions financières internationales sont essentielles pour l’Afrique, mais il faudrait remédier à la détresse économique causée par le fardeau de la dette. L’UA devrait privilégier des réformes spécifiques telles que l’amélioration de la transparence et de la cohérence, la rationalisation des négociations et l’introduction de mécanismes d’incitation à la participation des créanciers afin de renforcer le cadre de résolution de la dette, le développement durable et la croissance économique. L’amélioration de la cote de crédit de l’Afrique stimulera également des investissements dans la fabrication de vaccins et la lutte contre les pandémies.
Certes, le Cadre commun présente des lacunes, mais l’UA devrait le renforcer sans toutefois le remanier entièrement. Si l’UA s’attaque aux problèmes immédiats, elle pourra poser des bases solides pour des progrès futurs substantiels, de sorte que les initiatives d’allégement de la dette profitent réellement aux nations africaines et renforcent leur santé et leur stabilité économiques à long terme.
Forte de sa nouvelle appartenance au G20, l’UA peut promouvoir des réformes conformes à ses objectifs plus larges et mener l’Afrique vers la réalisation des aspirations de l’Agenda 2063.
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