L’influence des USA en Afrique passera par la collaboration avec la Chine
Dans un nouveau monde multipolaire complexe, les alliés et les amis d’un pays détermineront la hiérarchie mondiale.
Publié le 15 mai 2024 dans
ISS Today
Par
Jakkie Cilliers
président du Conseil d’administration de l’ISS responsable de programme, Afriques futures et innovation
Malgré l’importance de sa population, l’Afrique est un petit acteur à l’échelle mondiale. En effet, l’économie combinée du continent représente moins de 3 % de l’économie mondiale, et son hétérogénéité politique fait qu’il lui est difficile de présenter un front commun sur des questions controversées telles que les revendications de la Chine sur Taïwan ou la guerre en Ukraine.
Bien que la plupart des pays africains ne fassent pas partie des chaînes de valeur mondiales, les défis et les tensions économiques extérieurs les affectent profondément. La période la plus violente qu’ait connue l’Afrique depuis les indépendances est celle qui a précédé la chute du mur de Berlin en 1989. À l’époque, les tensions entre les États-Unis et l’ancienne Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) avaient donné lieu à d’intenses guerres par procuration dans la Corne de l’Afrique et en Angola.
Sur la base de cette expérience, une nouvelle ère de concurrence entre les États-Unis et la Chine n’augure rien de bon pour le continent.
À son apogée, l’économie de l’URSS ne représentait que la moitié de l’économie américaine, alors que les États-Unis et la Chine seront au coude à coude au cours de la prochaine décennie. L’économie chinoise est déjà plus importante si l’on se réfère à la parité de pouvoir d’achat, et d’ici 2050, elle aura augmenté de près de 30 %.
L’AGOA doit stimuler les exportations africaines, et non satisfaire les visées politiques des USA
La Chine est l’usine du monde, elle fabrique à moindre coût et en plus grandes quantités que n’importe quel autre pays. Elle a inondé le monde d’équipements solaires et éoliens à des prix abordables, qui alimentent la transition verte. Pour beaucoup, la Chine est la destination du commerce mondial et elle construit une grande partie des infrastructures en Afrique.
La Chine et les pays asiatiques environnants deviennent la source de croissance économique la plus importante à l’échelle mondiale. Selon une étude approfondie de The Economist en mai 2022, « aucun autre pays ne s’approche de l’ampleur et de la profondeur de l’engagement de la Chine en Afrique ». En revanche, les échanges commerciaux et les investissements des États-Unis avec l’Afrique sont en baisse. Si les États-Unis veulent maintenir leur influence sur le continent, ils doivent trouver les moyens de collaborer avec la Chine plutôt que de lui faire concurrence.
Le projet de loi déposé en avril par un groupe bipartisan de sénateurs américains pour renouveler la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA) pour seize années supplémentaires montre que des groupes américains influents sont prêts à s’engager avec l’Afrique sur une longue période. Avec ses faibles niveaux de réciprocité commerciale, le modèle de l’AGOA est bien adapté aux besoins de l’Afrique. Les États-Unis devraient l’utiliser pour stimuler les exportations africaines, et non comme un moyen de pression économique afin d’atteindre ses objectifs politiques.
La montée en puissance de la Chine dans un monde densément peuplé montre que l’avenir sera très différent des périodes précédentes de concurrence et de cohabitation. De nombreuses élites dirigeantes africaines s’intéressent de près au modèle de développement autocratique chinois comme moyen de réduire la pauvreté. Ils affirment que la démocratie et le libre marché n’ont pas apporté le développement. L’Afrique, où l’âge médian n’est que de 19 ans, est gagnée par la fébrilité. Le nombre de jeunes augmente, mais les perspectives d’emploi formel, de vie saine ou d’une éducation significative sont limitées.
L’Occident fait face à toute une série de détracteurs beaucoup plus nombreux et plus puissants
Afin d’analyser l’impact des différents futurs du monde sur le développement de l’Afrique, le programme African Futures and Innovation de l’Institut d’études de sécurité a passé en revue les récents changements de pouvoir à l’échelle mondiale, ainsi que les changements potentiels.
Au cours du siècle dernier, les États-Unis ont été le pays le plus puissant du monde. Ils ont réussi à faire valoir un récit qui assimile le développement, la stabilité et le progrès à l’échelle mondiale aux valeurs et aux intérêts américains. De nombreux Africains se tournent d’ailleurs vers les États-Unis, en raison des libertés et des opportunités qu’ils offrent, même si les opinions positives à leur égard sont en baisse.
L’image d’une foule violente descendant sur le Capitole en janvier 2021 a brisé le mythe de l’exception américaine, révélant un pays déchiré par ses divisions politiques. La réaction de l’Amérique rurale face à la mondialisation et la montée du populisme nuisent au soft power des États-Unis. Dans le même temps, la diminution de leur capacité à agir comme puissance de dissuasion saute aux yeux au Moyen-Orient où la situation est incertaine.
En lieu et place du pétrole africain, la prochaine flambée des prix des matières premières pour le continent sera celle des minerais nécessaires à la transition vers les énergies renouvelables. C’est ce qui ressort d’un récent rapport de l’Institute of Peace (États-Unis) qui s’est penché sur le rôle de l’Afrique dans la diversification des chaînes d’approvisionnement en minerais essentiels aux États-Unis et dans le renforcement de l’état de droit, de la transparence et des normes environnementales et de travail.
L’influence chinoise avance en Afrique et de nombreux pays se tournent vers l’est
Les États-Unis sont en mauvaise position, car la Chine s’est déjà assurée une grande partie des réserves connues de minerais essentiels africains. La position dominante de la Chine montre à quel point elle ne joue pas dans la même cour que l’ex-URSS.
Au lieu de s’opposer à la Chine, les États-Unis doivent trouver les moyens de collaborer avec elle. L’Afrique ne peut plus servir d’arène à des conflits par procuration, ni de champ de bataille à deux pays concurrents, cette fois les États-Unis et la Chine.
De plus, c’est la Russie, et non la Chine, qui joue aujourd’hui les fauteurs de troubles en Afrique. La recrudescence des coups d’État militaires dans les pays du Sahel, dont les régimes bénéficient de la protection de Africa Corps (anciennement Wagner), n’augure rien de bon pour l’avenir du continent.
Plus important encore, l’Occident fait face à toute une série de détracteurs beaucoup plus nombreux et plus puissants, une confrontation que l’on pourrait schématiser comme celle du G7 contre les BRICS+. L’impunité accordée par l’Occident à Israël concernant la guerre à Gaza et ailleurs renforce l’opinion des pays du Sud selon laquelle les mêmes normes ne s’appliquent pas au Sud et au Nord.
L’influence de la Chine en Afrique avance et de nombreux pays se tournent vers l’est. Plutôt qu’un nouvel ordre unipolaire, voire bipolaire, la tendance est à une configuration complexe et multipolaire du pouvoir mondial, dans lequel les alliés et les amis de chacun déterminent la hiérarchie internationale. Les États-Unis devront apprendre à compter sur eux.
Cet article a été publié pour la première fois dans Africa Tomorrow, le blog d’African Futures and Innovation.
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