L’Inde et la Chine se disputent le leadership du Sud global
Lequel des deux pays est le mieux placé pour défendre les aspirations de l’Afrique en matière de développement ?
Publié le 05 novembre 2024 dans
ISS Today
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La rivalité entre la Chine et l’Inde, tous deux membres des BRICS, s’étend à leur tentative de diriger les pays du Sud. Alors que la domination occidentale s’estompe, Beijing et New Delhi promeuvent des programmes distincts mais influents à l’échelle mondiale, chacun tirant parti de ses forces qui façonnent les alliances et les institutions mondiales.
Pour les nations africaines, où le développement et la souveraineté sont essentiels, le choix entre la Chine et l’Inde en tant que leaders du Sud est important. Tous deux offrent des avantages et des inconvénients susceptibles d’influencer l’avenir de l’Afrique. Bien qu’aucun des deux n’ait officiellement fait acte de candidature à ce leadership, leurs actions témoignent de leur intention.
Le rôle de l’Inde dans la promotion de la coopération Sud-Sud au sein des forums comme le G20 et dans la défense d’une représentation plus équitable dans la gouvernance mondiale est conforme à sa vision du leadership. La diplomatie affirmée de la Chine, notamment à travers l’initiative de la Nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative, BRI), et ses investissements croissants dans des projets d’infrastructure en Afrique et en Amérique latine, révèle une revendication de leadership ancrée dans l’influence économique.
Cette rivalité est alimentée par les récits des milieux de politique étrangère et des groupes de réflexion de chaque pays, qui considèrent l’alignement démocratique de l’Inde et la réussite de la Chine en matière de développement comme des modèles concurrents pour les pays du Sud. Officiellement, les deux pays soulignent leur solidarité avec les nations en développement, mais évitent les déclarations de concurrence ouverte, présentant plutôt leurs approches comme des solutions aux besoins des pays en développement.
L’Inde, la plus grande démocratie du monde, trouve une forte résonance en Afrique, où la gouvernance démocratique est synonyme de stabilité et de croissance. La défense par l’Inde de valeurs démocratiques et sa politique de non-ingérence trouvent un écho en Afrique, qui met l’accent sur la souveraineté et la diversité.
Forte de ses infrastructures et investissements financiers, la Chine apporte un soutien immédiat
Plusieurs nations africaines partagent des liens historiques avec l’Inde, issus du mouvement des non-alignés et de la solidarité anticoloniale, ce qui renforce le statut de l’Inde comme partenaire de confiance. Le rôle influent de la diaspora indienne en Afrique y contribue également.
L’Inde adopte une approche en matière de développement axée sur le capital humain et les transferts de technologies grâce aux initiatives du secteur privé. Ce modèle, fondé sur le renforcement des compétences, répond aux besoins de l’Afrique en matière de solutions durables et adaptables à l’échelle locale.
L’expérience de l’Inde, dont la population est diversifiée, lui permet de répondre efficacement aux besoins variés de l’Afrique. Grâce à des partenariats public-privé, l’Inde a réalisé des progrès en matière de soins médicaux, d’éducation et d’accès au numérique, qui pourraient constituer des modèles évolutifs pour les pays africains confrontés à des défis similaires.
L’Inde joue un rôle majeur à l’international dans les groupes minilatéraux et multilatéraux tels que la Quad et le G20, et en favorisant les liens avec les États-Unis, l’Europe et les pays des BRICS. Le rôle d’intermédiaire de l’Inde entre le Nord et le Sud a eu pour avantage l’inclusion de l’Union africaine au sein du G20.
La position affirmée de l’Inde sur le conflit en Ukraine, entre autres, a également trouvé un écho auprès des nations africaines à la recherche d’une voix indépendante sur la scène internationale.
Les compétences, le transfert de technologies et la gouvernance de l’Inde sont un gage de croissance
Ce contexte a renforcé la position de l’Inde dans le Sud, les pays africains estimant de plus en plus que l’Inde représente leurs intérêts collectifs. La capacité de l’Inde à équilibrer ses relations avec les puissances occidentales et non occidentales séduit les nations africaines dont la géopolitique est tout aussi complexe.
Toutefois, les ressources financières limitées de l’Inde par rapport à la Chine freinent son expansion en Afrique. La lutte contre la pauvreté et le développement des infrastructures en Inde peuvent davantage restreindre sa capacité à accorder la priorité à l’Afrique. L’absence de sommet du Forum Inde-Afrique depuis 2015 soulève également des questions quant à l’engagement à long terme de l’Inde.
La puissance économique de la Chine en fait un leader incontournable du Sud, notamment grâce à ses projets d’infrastructures propices. Le vaste déficit de l’Afrique en infrastructures – dans les domaines des transports, de l’énergie et des télécommunications – est comblé par l’initiative chinoise de la Nouvelle route de la soie, dont l’impact est visible sur l’ensemble du continent. Les projets relevant de la BRI aident les économies africaines à s’intégrer aux routes commerciales mondiales, améliorant ainsi leur potentiel d’exportation et favorisant les connexions régionales.
La politique chinoise de lutte contre la pauvreté – considérée par de nombreux pays africains comme un modèle de transformation économique – ajoute à son attrait. La position de la Chine sur la non-ingérence converge avec la préférence des dirigeants africains pour la souveraineté, et les pays africains réticents aux conditionnalités occidentales apprécient l’approche stimulante de la Chine.
En outre, la création par la Chine d’institutions mondiales alternatives – telles que l’Initiative mondiale pour le développement et l’Initiative mondiale pour la sécurité – offre aux nations africaines des opportunités autres que celles de l’Occident, attirant ainsi les pays qui recherchent des partenariats diversifiés.
En associant les deux, l’Afrique adopte une approche qui minimise la dépendance envers un partenaire
Les prouesses technologiques de la Chine, notamment dans la 5G, les paiements numériques et l’intelligence artificielle, peuvent transformer les économies africaines. Les infrastructures numériques abordables proposées par la Chine sont nécessaires au développement économique.
Cependant, le régime autoritaire de la Chine et la dépendance financière des pays africains à son égard ajoutent une ombre au tableau. Les questions de transparence, les pratiques de travail controversées et l’impact environnemental des projets à grande échelle suscitent également des critiques. De fait, certains dirigeants africains se demandent si l’approche commerciale de la Chine correspond à leurs objectifs à long terme.
Les controverses autour de la COVID-19, les allégations d’espionnage et les politiques étrangères fermes ternissent la réputation de la Chine et son attrait en tant que leader mondial du Sud.
D’aucuns affirment que l’inclusion de la Chine dans le Sud est bien pratique mais fabriquée de toutes pièces, ce qui discrédite son leadership. Ses détracteurs soulignent le PIB élevé de la Chine, la vigueur de ses échanges commerciaux, de ses investissements et de sa puissance militaire, qui correspondent davantage au statut de grande puissance qu’à celui des pays du Sud. Beijing maintient cependant que la solidarité avec les pays en développement est au fondement de ses relations étrangères.
Pour l’Afrique, le choix entre la Chine et l’Inde en tant que leaders du Sud dépend des priorités et des valeurs du continent. Les références démocratiques de l’Inde, son modèle de développement et ses partenariats fondés sur la confiance sont attrayants, tout comme son rôle d’intermédiaire entre le Nord et le Sud, en particulier pour les pays africains en quête de souveraineté dans leurs partenariats.
Inversement, la puissance financière de la Chine, le développement rapide de ses infrastructures et son approche en matière de non-ingérence en font un partenaire essentiel, surtout pour les pays en quête de développement immédiat. Cependant, les incertitudes concernant la viabilité de la dette et l’approche autoritaire de la Chine écornent son attrait de leader à long terme.
Au final, il ne s’agit pas de choisir l’un ou l’autre pays – les deux proposent des rôles complémentaires dont les pays africains peuvent bénéficier de manière stratégique.
L’apport de la Chine en matière d’infrastructures et d’investissements financiers à grande échelle constitue un soutien immédiat et transformateur. L’Inde, centrée sur le renforcement des capacités, les transferts de technologies et la gouvernance démocratique, est synonyme de croissance durable et adaptable au niveau local.
Le récent rapprochement entre le Premier ministre indien Narendra Modi et le président chinois Xi Jinping en marge du Sommet des BRICS est un signal positif – même si les analystes restent sceptiques compte tenu des tensions existantes. Une relation plus coopérative permettrait aux BRICS de soutenir l’Afrique de manière constante, en s’attaquant au développement des infrastructures et du capital humain tout en promouvant un Sud plus solidaire.
En s’engageant auprès de la Chine et de l’Inde, l’Afrique adopterait une approche équilibrée du développement qui minimise la dépendance envers un partenaire unique. Ce double engagement permettra de profiter des ressources de la Chine pour répondre aux besoins urgents en infrastructures, tout en bénéficiant des initiatives indiennes axées sur la population, qui favorisent les compétences et l’indépendance.
Ce faisant, l’Afrique peut affirmer son libre arbitre sur la scène internationale, en utilisant les atouts de l’une et l’autre pour promouvoir ses intérêts.
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