ISSOUF SANOGO / AFP

L’incertitude mondiale appelle à revoir les soutiens à la paix de l’UA

Les coupes financières américaines, voire européennes, appellent à un maintien de la paix ciblé, rapide et modeste dans ses ambitions.

Selon un récent reportage du Washington Post, les États-Unis auraient l’intention de réduire considérablement leurs contributions à l’Organisation des Nations unies (ONU), notamment en supprimant le financement des opérations de maintien de la paix.

Cette décision doit encore être officialisée par le département d’État américain puis approuvée par le Congrès, mais il s’agit d’un signe inquiétant pour les opérations de soutien de la paix (OSP) menées par les Nations unies et l’Union africaine. Elle concernerait la nouvelle Mission de soutien et de stabilisation de l’Union africaine en Somalie (AUSSOM), dont le financement est déjà confronté à des incertitudes majeures.

Si l’Union européenne (UE) reste attachée au multilatéralisme, l’attention croissante qu’elle porte à la guerre en Ukraine pourrait entraîner une diminution de l’aide aux OSP en Afrique et ailleurs dans le monde.

L’évolution du contexte multilatéral et les contraintes en matière de ressources exigent une réflexion novatrice de la part de l’UA et de ses États membres. Non seulement le financement des OSP dépassent les capacités des pays africains et des organisations régionales, mais les partenaires traditionnels sont de plus en plus réticents à soutenir un outil qui peine à démontrer son efficacité.

Ces dernières années, des efforts louables ont été faits pour atteindre l’objectif de dotation du Fonds pour la paix de l’UA, qui s’élève à 400 millions de dollars US. Utiliser ces ressources pour des OSP telles que l’AUSSOM l’épuiserait. Bien que certains partenaires occidentaux se soient engagés à abonder le Fonds pour la paix lorsqu’il commencera à financer des opérations menées par l’UA, le nombre même de foyers de conflit en Afrique fait douter de la viabilité de cette possibilité.

Réimaginer les OSP – en particulier leur rôle de gestion des conflits – commence par reconnaître qu’elles ne sont qu’un moyen de parvenir à une fin, à savoir la résolution pacifique des conflits violents, comme le prévoient les cadres normatifs de l’UA. Les missions de paix ne sont pas censées durer des décennies.

Le financement des OSP dépasse les capacités des pays africains et des organisations régionales

Comme on l’a souvent répété depuis le rapport de 2015 du Groupe indépendant de haut niveau sur les opérations de paix des Nations unies, le maintien de la paix devrait s’appuyer sur une stratégie politique fondée sur une compréhension mesurée de ce que ces opérations peuvent accomplir de manière réaliste. Pour améliorer les perspectives de financement, le maintien de la paix devrait se concentrer sur un impact visible et des résultats atteignables.

Les missions dirigées par l’UA peuvent, par exemple, contribuer à stabiliser les environnements conflictuels et à créer les conditions d’un dialogue politique. Elles peuvent également soutenir la mise en œuvre d’accords politiques.

L’un des principaux enseignements des opérations de paix multidimensionnelles est que cet outil n’est pas adapté aux démarches à long terme visant la construction de l’État ou la promotion de la cohésion sociétale. Il s’agit de processus intrinsèquement endogènes. La clarté des objectifs et la modestie des ambitions doivent devenir les principes directeurs d’un modèle redéfini de soutien à la paix.

Ce nouveau modèle devrait combiner les différentes approches existantes, en s’inspirant de l’esprit de la doctrine Powell. Dans un discours prononcé en 1984 sur l’utilisation de la puissance militaire, Caspar Weinberger, alors secrétaire d’État à la Défense des États-Unis, a défini les critères qui allaient inspirer ce qui est aujourd’hui connu comme « doctrine Powell », du nom de l’ancien chef d’état-major interarmées, le général Colin Powell.

Ces critères comprennent un intérêt vital clairement défini, une ferme intention de vaincre, la proportionnalité entre les objectifs et les moyens militaires, le soutien de l’opinion publique et du Congrès, et le recours à la force en dernier lieu.

Les opérations de paix ne sont pas censées être des entreprises à long terme

Dans le contexte des OSP africaines, le nouveau modèle pourrait reposer sur quatre principes clés : des mandats explicites et limités, un déploiement circonscrit dans le temps, des critères sélectifs pour les pays contributeurs de contingents et des déploiements pluridisciplinaires.

Premièrement, il est essentiel que les objectifs de la mission soient clairs sur le plan politique et militaire. La portée du mandat devrait fixer un maximum de trois objectifs fondamentaux, principalement dans les domaines de la politique et de la sécurité.

Deuxièmement, chaque mission devrait être soumise à un calendrier précis et non renouvelable. Cela est essentiel pour éviter les risques d’inertie institutionnelle qui surviennent souvent lors de déploiements prolongés.

Troisièmement, l’UA devrait envisager d’adopter une position intermédiaire entre le concept de nation-cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et l’approche actuelle de la nation telle qu’envisagée par l’UA. Il est important que les pays africains qui en ont les capacités se voient confier davantage de responsabilités dans la conduite des missions, avec le soutien, au plus, de deux pays contributeurs supplémentaires.

Cette approche rationalisée permettrait de résoudre certains des problèmes persistants de commandement et de contrôle qui compromettent souvent l’efficacité des missions dirigées par l’UA, y compris l’AUSSOM. En outre, les États qui partagent une frontière avec des pays touchés par une crise ne devraient pas pouvoir participer à l’opération afin d’éviter les conflits d’intérêts et de préserver la crédibilité et la neutralité de la mission.

Le quatrième principe consiste à éviter une approche trop militarisée des opérations de paix. De nombreux défis en matière de sécurité – tels que la protection des civils – nécessitent des réponses policières plutôt que militaires. Les futures missions devraient être véritablement pluridisciplinaires, axées sur la demande et adaptées aux besoins de chaque situation.

Les missions de paix prolongées résultent souvent de l’incapacité à trouver des solutions

Un modèle d’OSP repensé devrait se fonder sur le principe d’une action rapide, énergique si nécessaire, et d’un retrait dès que les conditions le permettent – laissant ainsi la place à un processus politique durable.

Il est essentiel de renforcer la dimension politique de ces opérations. Les missions de maintien de la paix prolongées résultent souvent de l’incapacité des parties prenantes internes et externes à élaborer des solutions politiques qui rendraient le maintien de la paix inutile.

La principale valeur de l’UA réside dans sa légitimité politique et diplomatique. Cela signifie qu’elle devrait renforcer la capacité de ses unités politiques et de ses instruments diplomatiques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des OSP.

Si la fonction première du Conseil de paix et de sécurité de l’UA devrait être d’empêcher les conflits d’éclater, il pourrait contribuer à les gérer en élaborant des instruments de responsabilisation tels qu’un régime de sanctions. Avec des procédures fortes pour l’adoption et l’application des sanctions, il pourrait faire pression sur les parties au conflit afin qu’elles dialoguent et respectent les cadres convenus.

Toutefois, la résistance des États membres aux sanctions reste importante malgré le risque imminent d’un nouveau report de l’objectif visant à « Faire taire les armes d’ici à 2030 », ce qui nuirait considérablement à la crédibilité de l’UA.

Il est nécessaire de procéder à des changements normatifs de fond dans l’ensemble du cycle de gestion des crises de l’UA et de l’ONU. Il ne s’agit pas d’un simple toilettage, mais d’une modification intégrale qui reflète la transformation en cours de l’ordre international.

Une refonte complète du concept d’OSP africaine est essentielle pour redonner un élan à l’architecture de paix et de sécurité de l’UA et résoudre l’instabilité persistante du continent.

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié