L’Égypte tente de contourner Rafah
Longtemps redoutée, l’attaque israélienne de Rafah, dans le sud de Gaza, a mis Le Caire sur la sellette.
L’assaut meurtrier de Gaza par Israël et l’escalade des attaques contre la ville méridionale de Rafah continuent d’avoir des répercussions dans la région et dans le monde.
Ils mettent à rude épreuve l’amitié, jusqu’ici inébranlable, entre Israël et les États-Unis et pourraient coûter la Maison Blanche au président Joe Biden, les jeunes démocrates protestant de plus en plus contre le maintien de son soutien à Israël. Cet appui des États-Unis a affaibli sa position internationale par rapport à la Russie et la Chine, aux yeux de nombreux pays du Sud.
L’Égypte s’est retrouvée dans une situation particulièrement délicate. Seul pays voisin de Gaza hormis Israël, elle ressent davantage les répercussions de la guerre, comme on a pu le voir avec l’attaque israélienne de Rafah ce mois-ci. Le point de passage de Rafah vers l’Égypte est l’unique sortie de Gaza, à l’exception de celle vers Israël.
L’Égypte et Israël coopèrent depuis longtemps et de manière pragmatique sur les questions de sécurité, notamment en ce qui concerne Gaza. Avant cette guerre, l’Égypte exerçait un contrôle étroit des déplacements passant par Rafah, en raison du conflit qui oppose Israël et la Palestine depuis des décennies.
Le Caire était particulièrement inquiet d’un éventuel afflux de réfugiés palestiniens dans le Sinaï. En partie, parce qu’il craignait une résurgence possible de l’insurrection djihadiste dans le Sinaï, mais aussi parce qu’un exode massif des habitants de Gaza faciliterait ce que l’Égypte soupçonne être l’intention d’Israël, à savoir de la vider des Palestiniens et d’anéantir tout espoir d’État palestinien.
Seul voisin de Gaza avec Israël, l’Égypte ressent davantage les répercussions de la guerre
L’attaque de Rafah exacerbe ces craintes et met à rude épreuve les accords de sécurité avec Israël, principalement parce qu’elle augmente la probabilité que plusieurs milliers de Palestiniens – qui n’ont nulle part où aller en toute sécurité – s’installent en Égypte.
Chatham House explique que l’Égypte est également irritée par le fait qu’Israël contrôle désormais le côté gazaoui du point de passage de Rafah :
« Pour atténuer ce scénario, l’Égypte adopte ce que les responsables du Caire appellent une ‟stratégie d’endiguement”. Il s’agit notamment d’accroître la pression internationale sur Israël en conditionnant la réouverture du point de passage de Rafah (principale voie d’acheminement de l’aide humanitaire vers Gaza) au retrait [des Forces de défense israéliennes] de la zone et à la restitution du contrôle du point de passage aux Palestiniens. »
L’Égypte et Israël ont commencé à se rejeter mutuellement la responsabilité de la situation. La majeure partie de la communauté internationale accuse depuis longtemps Israël d’assiéger Gaza et de restreindre considérablement l’entrée de l’aide humanitaire. Cependant, aujourd’hui, Israël semble tirer parti des restrictions imposées par l’Égypte au passage de Rafah en affirmant qu’elle pourrait, si elle le souhaitait, autoriser le passage de l’aide.
Le Caire rétorque que c’est l’activité militaire d’Israël à la frontière qui empêche le trafic humanitaire. À quoi Israël répond que sa présence est nécessaire pour empêcher le Hamas de détourner l’aide. L’Égypte a également accusé Israël d’être responsable de l’impasse dans laquelle se trouvent les pourparlers de paix avec le Hamas, qui se sont déroulés au Caire au début du mois sous l’égide de la communauté internationale.
L’Égypte a demandé la fin des opérations militaires à Rafah et la protection des civils palestiniens
Expression concrète des tensions croissantes, Le Caire a annoncé dimanche avoir l’intention d’intervenir officiellement pour soutenir l’action en justice intentée par l’Afrique du Sud contre Israël pour génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ).
Un communiqué du ministère égyptien des Affaires étrangères a indiqué que « les atrocités israéliennes [...] y compris le ciblage direct des civils, la destruction des infrastructures dans la bande, et le fait de pousser les Palestiniens à fuir et à se déplacer en dehors de leurs territoires [...] ont provoqué une crise humaine sans précédent et des conditions invivables dans la bande de Gaza » en violation de la quatrième Convention de Genève de 1949. L’Égypte a appelé à un cessez-le-feu, ainsi qu’à la fin des opérations militaires à Rafah et à la protection nécessaire des civils palestiniens.
Le Caire se joint ainsi aux Maldives, à la Turquie, à l’Irlande et à la Belgique dans la déclaration d’intention d’appuyer l’action de l’Afrique du Sud devant la CIJ. La Libye, la Colombie et le Nicaragua sont allés plus loin en demandant officiellement à intervenir aux côtés de l’Afrique du Sud. À ce jour, aucun pays n’a pris de mesures pour intervenir aux côtés d’Israël, malgré l’annonce de l’Allemagne en janvier allant dans ce sens.
En soutenant l’action en justice de l’Afrique du Sud, l’Égypte s’associe également à la compréhension concordante de Pretoria de ce qui se passe autour de Rafah. Pretoria a dernièrement demandé à la CIJ, le 11 mai, d’ordonner à Israël de prendre d’autres mesures conservatoires d’urgence afin d’éviter que les citoyens de Gaza ne subissent davantage de préjudices. Il s’agit de la quatrième démarche de l’Afrique du Sud auprès de la Cour pour obtenir des mesures conservatoires.
En janvier, l’Afrique du Sud avait persuadé la CIJ d’ordonner à Israël d’empêcher le génocide à Gaza et d’y renforcer l’aide humanitaire. La demande de donner ordre à Israël de suspendre ses opérations militaires à Gaza a, quant à elle, été rejetée.
Malgré les tensions, les relations Égypte-Israël n’ont pas atteint le point de rupture
Dans sa dernière requête, l’Afrique du Sud a déclaré que l’assaut récent d’Israël à Rafah menaçait la survie des Palestiniens de Gaza et créait des risques pour l’acheminement de l’aide humanitaire. Rafah est « en effet, devenue le dernier refuge à Gaza pour 1,5 million de Palestiniens de Rafah et pour ceux qui ont été déplacés par l’action israélienne ».
En prenant le contrôle des points de passage de Rafah et de Kerem Shalom (Karem Abu Salem) dans le sud, Israël maîtrisait désormais directement et totalement toutes les entrées et sorties de la bande de Gaza et la « coupait de tout approvisionnement humanitaire et médical, en biens de consommation et en carburant dont dépend la survie de la population de Gaza, et empêchait les évacuations médicales ».
L’Afrique du Sud a alors demandé à la CIJ, lors de ses plaidoiries du 16 mai, d’ordonner à Israël de mettre fin spécifiquement à son assaut sur Rafah et, devant les nouvelles attaques israéliennes dans le nord, de cesser le feu dans toute la bande de Gaza. Le fait que Rafah soit le dernier refuge des Palestiniens et qu’Israël ait largement ignoré les précédentes ordonnances de la Cour pourrait convaincre les juges d’ordonner un cessez-le-feu.
Bien que les relations entre l’Égypte et Israël soient apparemment plus tendues qu’elles ne l’ont été depuis des décennies, les observateurs pensent qu’elles n’ont pas encore atteint le point de rupture. Africa Confidential, par exemple, note que l’Égypte est devenue très dépendante du gaz israélien, en particulier à un moment où son économie est vulnérable. Les attaques des Houthis yéménites contre les navires de la mer Rouge ont fait baisser les recettes du canal de Suez d’au moins un demi-milliard de dollars.
De son côté, Israël a besoin de tous les alliés possibles dans la région, même les plus difficiles, au moment où il s’est aliéné le soutien de tant de personnes dans le monde entier en raison de son assaut contre Gaza.
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