L’aide extérieure a-t-elle donné à la RCA un faux sentiment de sécurité ?
Aujourd’hui en position de force, les autorités centrafricaines ont une occasion unique de traiter les causes de l'instabilité en amont du scrutin à venir.
Publié le 15 septembre 2025 dans
ISS Today
Par
Romain Esmenjaud
chercheur associé à l'Institut français de géopolitique et coordonnateur du Groupe d'experts des Nations unies sur la République centrafricaine entre 2017 et 2021
Depuis sa réélection en 2021, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra a consolidé sa position grâce à plusieurs succès diplomatiques et militaires : en 2024, le Conseil de sécurité des Nations unies a levé son embargo sur les armes à destination des Forces armées centrafricaines, et le Processus de Kimberley a levé sa suspension sur les exportations de diamants.
Autre signe de sa nouvelle stature régionale, Touadéra a été désigné en 2023, facilitateur de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale dans la crise au Gabon.
Après l’échec de la tentative de coup d’Etat de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) menée par l’ancien président François Bozizé en 2021, les groupes armés ont été refoulés aux confins du pays par l'armée, épaulée par Wagner et les forces rwandaises.
Revigorés par cette victoire militaire, Touadéra et son parti abordent les élections locales, législatives et présidentielles de décembre 2025 en position de force, avec une occasion historique de mettre leur pays sur la voie de la stabilité, à condition toutefois de s’attaquer aux racines profondes de la crise.
Et pourtant, malgré les avancées militaires, l’Etat reste incapable de répondre aux besoins des populations, surtout dans les régions marginalisées du nord-est comme la Vakaga et le Bamingui-Bangoran, où les frustrations alimentent depuis longtemps les rébellions armées.
L’État peine toujours à répondre aux besoins des populations des zones reculées comme le nord-est
Le rétablissement de la sécurité et des services publics prendra du temps, d’autant que les priorités du pouvoir restent orientées vers les régions les plus développées telles que Bangui et dans une moindre mesure la région de l’ouest.
A cela s’ajoutent une gouvernance économique défaillante qui a limité le budget du gouvernement, et une gestion opaque des secteurs minier et pétrolier, régulièrement dénoncés par la société civile. Les ressources du pays profitent avant tout à un cercle restreint d’élites politiques et sécuritaires.
L'adoption en juillet 2023 d’une nouvelle constitution permettant au président de briguer un troisième mandat a verrouillé l’espace politique. Hostile à ce texte, l’opposition a annoncé qu'elle boycotterait les élections de décembre, dénonçant une Autorité électorale nationale et un Conseil constitutionnel trop inféodés au pouvoir, et déplorant la détérioration de la situation socio-économique du pays.
Sous cette pression ainsi que celle des partenaires internationaux, Touadéra a lancé un dialogue politique le 2 septembre, une tentative d'apaisement positive, mais aux résultats incertains. Ceci est d’autant plus préoccupant que l'histoire de la RCA – comme celle de plusieurs pays voisins – montre que l'impasse politique peut pousser des opposants frustrés à prendre le pouvoir par la force, à l’image de Bozizé qui avait rejoint la rébellion après le rejet de sa candidature.
Une autre cause profonde de la crise réside dans le fait que les entrepreneurs politico-militaires du pays disposent encore de nombreuses ressources militaires. Bien que l’accord signé le 10 juillet entre le gouvernement et deux composantes majeures de la CPC affaiblit partiellement la rébellion, les combattants restent actifs dans d’autres zones de crise.
Les ressources du pays sont accaparées par un cercle restreint d’élites politiques et sécuritaires
Certains d’entre eux ont été détournés par les belligérants de la guerre civile au Soudan et pourraient facilement retourner sur le champ de bataille en RCA si on leur offrait des incitations financières suffisantes. Ce risque est accentué par les tensions croissantes entre Touadéra et le général soudanais Abdel Fattah al-Burhan, sur fond de rumeurs de construction en RCA d’une base militaire destinée à acheminer l'aide des Émirats arabes unis aux Forces de soutien rapide rivales.
L'armée centrafricaine traverse également des tensions susceptibles d’être exploitées par les opposants au gouvernement. Le recrutement et la formation désorganisés, notamment d’anciens insurgés, combinés à l’absence de ressources suffisantes pour assurer l’approvisionnement et le paiement des soldes, fragilisent l’armée et contribuent à sa « milicianisation ».
Conscient de ces vulnérabilités, le gouvernement s’appuie sur la reconfiguration géopolitique : l’engagement militaire de la Russie et du Rwanda lui assure une protection stratégique et l’occasion de jouer la concurrence entre partenaires extérieurs pour renforcer sa position.
Entre 2021 et 2022, la proximité avec Wagner avait conduit les États-Unis et l’Union européenne à suspendre une partie de leur aide pour tenter de freiner cette alliance, sans succès. Aujourd’hui, les relations de la RCA avec l’Occident se sont améliorées, permettant à Bangui de profiter à la fois du soutien militaire russe et de l’appui financier occidental.
Au niveau régional, le gouvernement semble avoir apaisé les tensions avec le Tchad, qui a soutenu plusieurs rébellions dans le passé, et s'est également rapproché du Rwanda, plus favorable à son égard. Mais cette stratégie comporte un angle mort : la fluidité du contexte régional et international sur lequel il n'a qu'un contrôle limité.
Un changement de position des puissances extérieures pourrait s’avérer fatal pour la gouvernance
En tout état de cause, rien ne garantit que ces relations resteront favorables à long terme, et un changement de position des puissances extérieures pourrait s’avérer fatal pour la gouvernance.
Plusieurs dirigeants de la RCA ont appris à leurs dépens qu'il était risqué de compter sur des acteurs extérieurs pour assurer leur pouvoir et leur sécurité. Bozizé en est un exemple : les soldats sud-africains n'ont pas pu le protéger de l'offensive de la Séléka en 2013.
Par conséquent, pour éviter un retour à l'instabilité, le gouvernement devrait non pas se conforter dans le soutien de la Russie et du Rwanda, mais plutôt s'attaquer aux racines de la crise. À long terme, cela implique une répartition équitable des avantages de la stabilisation entre toutes les régions et communautés du pays. À court terme, l’apaisement des tensions avec l'opposition et les pays voisins, en particulier le Soudan.
Lisez l’intégralité du rapport Afrique centrale sur la stabilisation toujours précaire en RCA en cliquant ici.
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