L'Afrique doit contribuer à sortir le traité sur la haute mer de l’impasse
L'Afrique a joué un rôle central dans les négociations du traité et devrait en impulser l’entrée en vigueur.
Publié le 20 septembre 2024 dans
ISS Today
Par
David Willima
chargé de recherche, sécurité maritime, ISS Pretoria
Le traité sur la haute mer adopté en juin 2023 constitue une avancée majeure pour la gouvernance des océans, notamment parce qu'il a été finalisé au moment où les divisions mondiales s'accentuaient. L'accord des Nations unies vise à protéger la biodiversité marine dans les eaux ne relevant d'aucune juridiction nationale, qui couvrent près de la moitié de la surface de la Terre.
Après des décennies de négociations, le traité - officiellement appelé Accord sur la biodiversité marine des zones situées au-delà de la juridiction nationale - a abouti à un cadre juridique pour la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine. Il permet la création de zones marines protégées en haute mer, la réalisation d'études d'impact sur l'environnement, le renforcement des capacités, le transfert de technologies et le partage équitable des ressources génétiques marines (utilisées à des fins biotechnologiques et médicales).
Mais le succès de tout traité international dépend de l'engagement d'un nombre suffisant d'États à ratifier et faire appliquer ses dispositions. Soixante ratifications sont nécessaires pour l'entrée en vigueur du traité, mais ce seuil reste lointain.
Les pays africains peuvent prendre l’initiative d'accélérer la signature et la ratification. Toutefois, leur engagement reste limité, bien que le continent puisse tirer des avantages considérables de la sécurité maritime et des économies bleues durables.
Certains pays craignent que les accords internationaux n'empiètent sur leur souveraineté
Jusqu'à présent, 92 pays ont signé l'accord, parmi lesquels seulement 14 pays africains (sur 55). Seuls huit pays dans le monde l'ont ratifié, dont deux en Afrique (Seychelles et Maurice). De nombreux États sont engagés dans des procédures juridiques nationales chronophages, mais face aux pressions climatiques alarmantes qui pèsent sur nos océans, le temps presse.
La voie de la ratification et de la mise en œuvre des traités internationaux est souvent semée d'embûches, surtout pour les pays africains. L'Afrique est le plus grand bloc régional aux Nations unies et le groupe africain de négociateurs a joué un rôle central dans la négociation du traité sur la haute mer - pourtant, peu de pays du continent l'ont signé. Comment cela se fait-il ?
Tout d'abord, plusieurs nations africaines ont une connaissance insuffisante de l'accord et des différences entre celui-ci et les cadres de gouvernance des océans existants, comme les conventions de Nairobi et d'Abidjan, relatives aux ressources marines en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale et australe.
Les États africains doivent comprendre que le traité sur la haute mer s'aligne sur ces conventions en créant un cadre central de gouvernance des océans par le biais d'une conférence des parties. Cet instrument juridique global permettra de combler les lacunes dans les domaines ne relevant pas de la compétence nationale.
Le traité permettra le renforcement des capacités, le transfert de technologies et le partage des avantages
Deuxièmement, certains pays africains craignent que les accords internationaux n'empiètent sur leurs droits souverains, notamment dans la gestion de leurs zones maritimes. Cette situation est compliquée par le manque de ressources et de capacités qui constitue un obstacle à la ratification. Certains États craignent également que la mise en œuvre du traité n'entraîne une charge budgétaire supplémentaire. Pour les pays qui s'efforcent déjà à assurer la sécurité maritime nationale et régionale, la surveillance des zones marines protégées en haute mer est une tâche ardue.
Le traité sur la haute mer pourrait également susciter des inquiétudes quant à ses conséquences involontaires, surtout pour les États africains confrontés à la pêche illégale, non déclarée et non réglementée. Les navires impliqués dans la pêche illégale tentent d'échapper à la répression en haute mer et risquent d'exploiter les eaux africaines où la sécurité est souvent réduite. Cela aggraverait le pillage des ressources halieutiques du continent.
Enfin, les considérations politiques et les lacunes administratives peuvent entraver la ratification. En effet, les pays confrontés à des problèmes de gouvernance ou qui préparent des élections relèguent leurs engagements mondiaux au second plan. Rien que cette année, 17 pays africains organisent des élections.
Les dynamiques géopolitiques limitent également la ratification des traités. Les pays africains ont un pouvoir de négociation limité à l’international, ce qui complique la prise en compte de leurs intérêts. Lors de la mise en œuvre, les parties doivent s’assurer que le traité prévoit un partage inclusif et équitable des avantages, notamment pour les États membres disposant de moins de ressources à protéger en vertu du principe du patrimoine commun de l'humanité.
L'UA devrait encourager les États pionniers comme les Seychelles et Maurice à partager leurs expériences
Toutefois, la ratification du traité sur la haute mer présente de nombreux avantages. Il s'agit notamment du renforcement des capacités et du transfert de technologies, ainsi que du partage des avantages monétaires et non monétaires des ressources génétiques marines, véritable sujet épineux lors des négociations du traité. Les pays développés ont fait valoir que des réglementations strictes limiteraient la recherche et l'accès aux ressources génétiques marines, mais la position ferme du groupe de négociateurs africains en faveur d'une répartition équitable des avantages a finalement prévalu.
Plusieurs mesures concrètes peuvent renforcer le rôle de l'Afrique dans l'entrée en vigueur du traité. Tout d'abord, l'Union africaine (UA) et les organismes internationaux comme le Programme des Nations unies pour le développement devraient inviter les Seychelles et Maurice, États pionniers, à partager leurs expériences afin d’inspirer une plus grande participation africaine.
Le juge Thembile Elphus Joyini, du Tribunal international du droit de la mer et membre du groupe africain de négociateurs, a déclaré à ISS Today : « il est essentiel que l'Afrique s'implique davantage dans l'entrée en vigueur de l'accord. Un engagement renforcé permettra de protéger nos écosystèmes marins et nos ressources océaniques et de consolider les institutions maritimes africaines aux niveaux national, régional et continental, en favorisant une approche intégrée de la gouvernance des océans conforme aux principes du multilatéralisme dans l'intérêt de l'humanité tout entière ».
Ensuite, l'UA peut faciliter le dialogue entre les États membres afin d'atténuer les craintes liées à la souveraineté et de mettre en évidence les dispositions des traités concernant les droits nationaux. Le bureau du conseiller juridique de l'UA, en partenariat avec le groupe des négociateurs africains, devrait organiser des discussions sur le renforcement des intérêts nationaux et continentaux au moyen de la ratification.
Les gouvernements africains et les organisations régionales devraient promouvoir les avantages du traité en matière de transfert de technologie. « Le traité est important pour l'accès de l'Afrique aux ressources et aux données océaniques, car il favorise la croissance socio-économique et le progrès scientifique », déclare Minna Epps, directrice des océans à l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
« Les campagnes pourraient démontrer comment les dispositions relatives au renforcement des capacités et au transfert de technologie répondent aux besoins des pays en développement notamment les pays africains non côtiers. Ces mécanismes contribueront à préparer l'avenir des marchés du travail maritime en Afrique grâce à des technologies de pointe ».
Une fois le traité entré en vigueur, une période de consultation de 120 jours est prévue pour informer les parties et les préparer à sa mise en œuvre. Les États africains doivent commencer à préparer le terrain pour que leurs intérêts soient inclus dans le cadre de gouvernance lorsque le traité sera opérationnel.
Alors que le monde est aux prises avec des défis liés aux océans, comme la pêche illégale et les phénomènes météorologiques extrêmes, le traité sur la haute mer fournit un cadre d’action collective. L'Afrique doit prendre des mesures concrètes et faire preuve de dynamisme pour que le traité entre en vigueur. La santé de nos océans (les poumons bleus de la Terre) en dépend.
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