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L’Afrique a beaucoup à gagner d’une nouvelle route de la soie plus modeste

Malgré le bilan mitigé, l’Afrique pourrait bénéficier d’une participation prudente dans des projets plus écologiques et maîtrisé.

L’initiative chinoise de la nouvelle route de la soie a gagné beaucoup de terrain en Afrique depuis son lancement en 2013, avec la participation de 53 nations africaines à des degrés divers. En 2023, les pays africains ont reçu 21,7 milliards de dollars US dans le cadre de l’initiative, notamment pour des investissements dans les ports, le rail et les énergies renouvelables.

L’Afrique aura beaucoup à gagner de ce programme que la Chine réoriente vers des projets plus réduits, plus écologiques et moins risqués. Cependant, les pays doivent se montrer plus proactifs pour aligner les avantages potentiels sur leurs propres priorités stratégiques et stimuler les efforts pour renforcer la gouvernance des projets.

Le Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA) de septembre est l’occasion pour l’Afrique de renforcer son libre-arbitre. La Chine en profitera pour approfondir la coopération dans le cadre de l’initiative, les discussions se concentrant sur le financement concessionnel du développement, les infrastructures et le commerce. Cette évolution du Plan d’action de Dakar (2022-2024) vers un nouveau cadre suscite d’ores et déjà un débat quant à son impact potentiel sur l’Afrique.

Le modèle d’investissement « petit et beau » se concentre sur des projets moins risqués

Conçue à l’origine pour relancer les antiques routes du commerce de la soie, la nouvelle route de la soie s’est considérablement développée. Elle concerne désormais 151 pays d’Asie, d’Afrique, d’Europe et d’Amérique latine. Elle comprend également une nouvelle route de la soie numérique et une nouvelle route de la soie sanitaire et englobe désormais divers domaines tels que le tourisme, le renforcement des capacités et l’énergie nucléaire.

Nombre de pays participant à la nouvelle route de la soie par région en 2023
Investissements de la nouvelle route de la soie en Afrique par secteur en 2013 et en 2023

Le programme comporte un aspect stratégique, en offrant à la Chine un espace qui lui permet de projeter sa puissance à l’échelle mondiale. Il lui garantit un accès à long terme à des ressources et à des marchés tout en la positionnant comme un allié clé des pays en développement, remettant ainsi en cause la domination traditionnelle de l’Occident dans ces régions.

Il offre également une source alternative de financement du développement, qui bénéficie tout particulièrement aux nations africaines les plus pauvres en comblant les déficits substantiels d’investissement dans les infrastructures avec des conditions minimales. En conséquence, la Chine est devenue un créancier essentiel en Afrique, avec plus de 170 milliards de dollars prêtés à 49 pays africains et institutions régionales entre 2000 et 2022. La nouvelle route de la soie fournit des projets clé en main, rapidement exécutés par des entreprises chinoises, ce qui les rend plus attrayants que les financements plus lents et lourds de conditions d’institutions telles que la Banque mondiale et la Banque africaine de développement.

Cependant, ces projets n’ont pas toujours été bien conçus ou stratégiques, ce qui a conduit à des résultats qui n’ont pas eu l’impact économique escompté. Le chemin de fer à écartement standard du Kenya, par exemple, a été critiqué parce qu’il n’était pas économiquement viable et qu’il ne profitait pas aux communautés locales. Ces « éléphants blancs » renforcent les inquiétudes concernant la viabilité de la dette : s’ils ne génèrent pas suffisamment de profits économiques, les pays pourraient avoir du mal à rembourser leurs prêts.

Si les projets de la nouvelle route de la soie contribuent au surendettement de certains pays hôtes, les experts affirment qu’il ne s’agit pas là d’une stratégie de Beijing. La thèse de la « diplomatie du piège de la dette » est remise en question, l’accent étant mis sur la nécessité pour les banques chinoises de récupérer leurs investissements. Par exemple, l’Éthiopie a renégocié son prêt de 4 milliards de dollars pour un projet ferroviaire, prolongeant ainsi l’échéance du remboursement sans pour autant perdre le contrôle de l’infrastructure. Cependant, l’impact des prêts commerciaux pour ces projets fait toujours l’objet d’un examen minutieux, comme dans le cas de la Zambie.

Le fonctionnement de la nouvelle route de la soie évolue et implique de nouveaux acteurs

Malgré les garanties fournies par les États et des taux d’intérêt élevés, Beijing a revu à la baisse son appétit pour les prêts à haut risque, en mettant de plus en plus l’accent sur les investissements durables. Le modèle d’investissement « petit et beau » de la nouvelle route de la soie, établi en 2021, se concentre sur des projets de moindre ampleur, plus écologiques et moins risqués financièrement, tant pour Beijing que pour les pays hôtes.

L’objectif est de restreindre la dégradation de l’environnement et le mécontentement social qui ont frappé certains des projets les plus importants et les plus ambitieux, tels que la voie express Kampala-Entebbe en Ouganda. Le discours liminaire du président chinois Xi Jinping à l’occasion du troisième Forum des nouvelles routes de la soie en 2023 a mis l’accent sur une évolution stratégique vers des projets plus durables et plus axés sur les communautés. Il a mis en avant des domaines prioritaires tels que les énergies renouvelables, les soins médicaux et la technologie, qui devraient profiter aux communautés locales à long terme.

Quelles que soient les tentatives de Beijing pour améliorer les résultats de la nouvelle route de la soie, le succès sera limité si les pays africains ne l’abordent pas de manière plus proactive. Paul Nantulya, chercheur associé et spécialiste de la Chine au Centre d’études stratégiques de l’Afrique, souligne l’importance du libre-arbitre de l’Afrique et de son appropriation des projets pour renforcer la responsabilisation et réduire les risques.

« Lorsque toute l’initiative en termes de conception, d’instruments de financement et d’exécution émane d’entités chinoises, le pays partenaire de la nouvelle route de la soie se sent moins contraint par les mécanismes de responsabilité nationaux puisqu’il n’a pas d’enjeux majeurs », explique-t-il.

Les États africains doivent éviter de promouvoir les priorités de la Chine

Nantulya estime que les pays africains doivent développer une approche stratégique à l’égard du programme : « S’il y a eu beaucoup de réflexions politiques délibérées du côté chinois, je ne vois pas d’efforts correspondants du côté africain pour identifier l’approche stratégique de l’Afrique vis-à-vis de la Chine et l’intérêt de l’Afrique pour la nouvelle route de la soie. »

Il est peu probable que la Chine, sous la présidence de Xi Jinping, abandonne le programme. Au contraire, ce dernier évolue, impliquant de nouvelles parties prenantes et modifiant son mode de fonctionnement. Stephen Brawer, président de l’Institut Belt & Road en Suède, affirme que la nouvelle route de la soie reste essentielle à la stratégie mondiale et à la diplomatie économique de la Chine. Il affirme que Beijing l’a déjà ajustée pour en améliorer la viabilité, ce qui laisse penser qu’elle continuera à jouer un rôle important dans les relations internationales.

Le fait d’alléger l’initiative permet de s’attaquer à de nombreux problèmes, grâce à un développement qui a un impact plus immédiat sur les communautés locales, comme les projets d’énergie renouvelable au Kenya et en Afrique du Sud. Elle s’aligne également mieux sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Réformée, elle pourrait constituer un outil précieux pour le développement de l’Afrique, mais ne résoudra pas tous les problèmes du continent.

La leçon la plus importante tirée d’une décennie d’engagement africain est claire : les pays doivent définir leurs objectifs et leurs stratégies avant de s’engager auprès d’acteurs extérieurs. Sinon, ils risquent de devenir des espaces de promotion des priorités des puissances extérieures, affaiblissant du même coup leur propre crédibilité.

Dans la perspective du FCSA de cette année, les États africains doivent se préparer à exprimer clairement ce qu’ils attendent de Beijing. Pour ce faire, ils devront s’entretenir avec leurs homologues à l’échelle régionale et examiner dans quelle mesure les nouveaux projets s’intègrent dans des initiatives plus vastes, telles que la zone de libre-échange continentale africaine.

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