Les enjeux complexes de la dette dans les relations Chine-Afrique

La Chine n'est pas la principale cause de la crise de la dette en Afrique, cependant son manque de transparence et ses accords collatéraux sont préoccupants.

La dette publique en Afrique a atteint le chiffre effrayant de 1 800 milliards de dollars US en 2022, ce qui représente une augmentation de 183 % depuis 2010. Plus inquiétant encore, ce taux est presque 300 % plus élevé que celui de la croissance du produit intérieur brut (PIB) de l'Afrique au cours de la même période. En conséquence, le ratio dette/PIB de nombreux pays africains devrait dépasser 60 % en 2023. Ce déséquilibre potentiel pourrait rendre difficile la gestion des ressources financières par les gouvernements.

La Chine est un créancier important en Afrique. Le montant des prêts qu’elle a accordés à 49 pays africains et institutions régionales entre 2000 et 2022 dépasse les 170 milliards de dollars. Une nouvelle étude de l’Institut d’études de sécurité a tenté d’éclaircir le dilemme de la dette en Afrique et à mieux comprendre le rôle de la Chine. Elle a montré que si la Chine n'était pas la cause première de la crise de la dette, le manque de transparence, l’impact de ses contrats sur les industries locales et l'absence d'options de restructuration collective dans leurs clauses suscitaient des inquiétudes.

Comparaison des prêts souverains accordés à l'Afrique par la Chine, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement

Comparaison des prêts souverains accordés à l'Afrique par la Chine, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement

Source : Centre de politique de développement mondial de l'Université de Boston
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Les prêts chinois ont joué un rôle essentiel dans le financement des projets d'infrastructure et la stimulation de la croissance économique dans de nombreux pays africains. Toutefois, les tendances récentes indiquent une réduction de ces prêts en raison d'une série de facteurs, notamment le COVID-19 et les nouvelles priorités chinoises.

Inventée par un groupe de réflexion indien en 2017, l'expression « diplomatie du piège de la dette » a souvent été associée aux prêts chinois. Reprise par les gouvernements, les médias et les cercles de renseignement occidentaux, elle sous-entend que les prêts chinois pourraient piéger les pays africains en créant des niveaux de dettes insoutenables, entraînant une perte de souveraineté. Bien que ces affirmations soient vivement réfutées, certains prêts chinois demandent à être examinés de plus près.

Les prêts accordés par la Chine diffèrent de ceux des institutions occidentales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Des recherches de AidData ont montré que les prêteurs publics chinois, motivés par la recherche du profit, incluent souvent dans leurs accords de prêt des conditions qui peuvent mettre à rude épreuve des économies africaines déjà fragiles. Il s'agit notamment de l'interdiction des restructurations collectives et d’importantes clauses de confidentialité. Ces conditions peuvent limiter la capacité des pays emprunteurs à prendre des décisions financières indépendantes et souveraines.

La dette en Afrique a atteint des proportions alarmantes et pourrait se répercuter sur la sécurité humaine

Le manque de transparence entourant les prêts chinois est une autre préoccupation majeure. La transparence des gouvernements est cruciale pour les interactions financières avec les créanciers extérieurs, car elle garantit que les marchés et les citoyens sont informés de façon précise. Cependant, l'augmentation de la « dette cachée » des banques publiques chinoises complique l'évaluation des niveaux d'endettement, ce qui pose un sérieux problème de gestion financière et de responsabilité.

Une étude récente a estimé que la moitié des prêts chinois en Afrique subsaharienne ne figurerait pas dans les registres de la dette souveraine. Cependant, cette opacité ne se limite pas aux prêts chinois, car les prêts du secteur privé occidental suscitent les mêmes inquiétudes.

Le manque de transparence affecte également les projets d'infrastructure financés grâce aux prêts chinois. La plupart d’entre eux ne font pas l'objet d'appels d'offres publics, ce qui accroît le risque de corruption, en particulier dans les pays dont les structures de gouvernance sont faibles. Ce manque d'information peut entraîner des tensions sociales et susciter un sentiment anti-chinois, compliquant encore la crise de la dette.

La moitié des prêts chinois en Afrique subsaharienne ne serait pas publiée

La montée du sentiment anti-chinois au Ghana, en Zambie et au Zimbabwe a été instrumentalisée par les politiciens pour renforcer leur soutien électoral. Lorsque les termes des accords ne sont pas rendus publics, il devient difficile de séparer la réalité de la fiction.

Les prêts concessionnels, souvent destinés à des projets d'infrastructure, jouent un rôle important dans l'engagement de la Chine en Afrique et ont contribué à réduire le déficit d'infrastructure du continent. Ces prêts sont assortis de conditions plus favorables que les prêts commerciaux classiques, mais peuvent présenter leurs propres difficultés. Les contrats stipulent souvent que les entreprises d'État chinoises sont les principaux entrepreneurs des projets, ce qui peut freiner le développement des industries locales, créant d'autres problèmes.

Certains contrats de prêt chinois peuvent présenter des risques de garantie importants et entraver la flexibilité financière des pays africains. Le projet de modernisation de l'aéroport international d'Entebbe en est un bon exemple. En 2015, la Banque d'import-export de Chine a accordé à l'Ouganda un prêt de 200 millions de dollars US pour ce projet. L'aéroport ne pouvait pas servir de garantie car il s'agit d'un actif illiquide. Le contrat prévoyait plutôt un dépôt en espèces sur un compte séquestre, permettant au prêteur de le saisir en cas de défaillance.

La Chine est un prêteur important pour l’Afrique et devrait contribuer à trouver des solutions durables

Le contrat prévoyait également que toutes les recettes de l'aéroport seraient affectées au remboursement du prêt sur 20 ans, ce qui est unique puisque l'aéroport a été créé avant l'octroi du prêt. Des recherches du Centre pour le développement mondial ont permis de trouver des clauses similaires dans de nombreux contrats entre des prêteurs chinois et des États étrangers.

La crise de la dette en Afrique est un défi à multiples facettes qui exige une attention immédiate. En tant que prêteur important pour le continent, la Chine devrait contribuer à trouver des solutions durables. Si les prêts chinois ont joué un rôle essentiel dans le financement du développement, les préoccupations concernant la transparence, les accords de garantie et leur impact sur la souveraineté de l'Afrique ne peuvent être ignorées.

L'étude de l'ISS citée plus haut présente plusieurs mesures pour répondre à ces préoccupations. Elle propose notamment une transparence juridiquement contraignante pour les accords de prêt, des réglementations équitables pour tous les créanciers, une meilleure gestion de la dette et une plus grande transparence, et de renforcer les recherches pour améliorer les capacités de gestion de la dette nationale en Afrique.

Ces mesures peuvent contribuer à répondre aux besoins de financement extérieur du continent et à garantir des conditions de concurrence équitables pour tous les créanciers, y compris la Chine.

Jana de Kluiver, chargée de recherche, l’Afrique dans le monde, ISS Pretoria

Image : © Amelia Broodryk/ISS

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