L’absence de consensus sur les réformes constitutionnelles accentue les tensions au Togo
Les crises successives ont été alimentées par des conflits liés à la limitation des mandats présidentiels et à l’alternance démocratique.
La nouvelle Constitution, adoptée le 25 mars 2024 et en deuxième délibération le 19 avril, fait passer le Togo d’un régime présidentiel à suffrage universel direct à un régime parlementaire. Pour des personnalités du parti au pouvoir, l'Union pour la République (UNIR), cette Constitution renforce la démocratie, la stabilité institutionnelle, et permet d’adapter la loi fondamentale aux réalités sociopolitiques. Cependant, une partie de l’opposition et de la société civile la qualifie de coup d’État constitutionnel visant à contourner la limitation des mandats présidentiels.
La nouvelle Constitution publiée le 21 mai, deux mois après son adoption, réduit les pouvoirs du président de la République qui sera désormais élu par le Parlement réuni en congrès pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois. Elle instaure également la fonction de président du Conseil des ministres, poste qui revient de fait au président actuel, Faure Gnassingbé, leader du parti UNIR, majoritaire à l’Assemblée nationale. Faure détiendra alors l'essentiel des pouvoirs exécutifs pendant six ans, sans limitation du nombre de mandats tant que son parti conserve la majorité lors des législatives.
Les opposants à cette révision constitutionnelle dénoncent l’opportunité et la légalité de la procédure et soulignent le manque de transparence et de consultation avant son adoption. Ils critiquent notamment la légitimité du Parlement qui a voté la loi et dont le mandat a expiré en décembre 2023, date initialement annoncée pour la tenue des élections législatives.
Les recours de l’opposition et de la société civile, y compris la saisine de la Cour constitutionnelle le 22 avril pour statuer sur la légalité des réformes, n’ont pas abouti. Par ailleurs, des tentatives de mobilisation de l’opposition et des organisations de la société civile ont été interdites.
Des critiques qualifient la réforme de coup d'État constitutionnel visant des mandats présidentiels illimités
Au-delà du débat politico-juridique sur les conditions d’adoption du texte révisé, les véritables enjeux demeurent la limitation du nombre de mandats présidentiels et l’alternance démocratique dans ce pays dirigé depuis 57 ans par la famille Gnassingbé. Ces questions ont été au cœur des crises politiques successives au Togo depuis son indépendance.
Pour rappel, la limitation du nombre de mandats présidentiels avait été supprimée de la Constitution en 2002 pour permettre au père de l’actuel président de se présenter à l’élection présidentielle de 2003. Elle a été réintroduite en 2019, sans effet rétroactif, à la suite de la crise politique de 2017 et du dialogue inter-togolais de 2018.
La nouvelle Constitution a été promulguée à moins d’un an de l’élection présidentielle prévue en février 2025. Celle-ci devait acter le cinquième mandat consécutif du président Faure en cas de réélection.
Par ailleurs, son adoption, à moins d’un mois des élections législatives et régionales du 29 avril 2024, a peut-être été calculée pour donner au scrutin l'apparence d'un « référendum » sur la réforme constitutionnelle. Les résultats des législatives proclamés par la Cour constitutionnelle le 13 mai donnent le parti au pouvoir largement vainqueur avec une majorité absolue, soit 108 députés sur 113 sièges. L’opposition, dont les principaux partis avaient boycotté les législatives de 2018, a obtenu cinq sièges dont deux pour l’Alliance des démocrates pour le développement intégral et trois partagés entre l’Alliance nationale pour le changement (ANC), la Dynamique pour la majorité du peuple (DMP) et les Forces démocratiques pour la République (FDR).
Si le parti au pouvoir conserve sa majorité au Parlement, l’accession de l’opposition au pouvoir sera improbable
Depuis sa création en 2012, l’UNIR détient la majorité à l’Assemblée nationale. Sur les 91 sièges que comptaient les parlements précédents, le parti en a remporté 62 lors des législatives de 2013 et 59 après celles de 2018. Si cette tendance se maintient, elle réduirait toutes les chances de l’opposition d’accéder au pouvoir exécutif et la probabilité d’une alternance démocratique à la tête du pouvoir au Togo. Ceci d’autant plus que l’opposition est affaiblie par des rivalités internes et des luttes de pouvoir et de succession qui rendent inopérantes les alliances en son sein et ne permettant pas de modifier le rapport de force en sa faveur.
L’opposition a toutefois dénoncé des irrégularités et des fraudes constatées le jour du scrutin, certaines ayant été confirmées par des observateurs nationaux. L’ANC et le FDR ont d’ailleurs boycotté l’installation du nouveau Parlement le 21 mai. L’ANC et la DMP, entre autres, avaient également critiqué en novembre 2023 le fichier électoral audité et validé par l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), et avaient dénoncé des irrégularités dans le processus d’enrôlement des électeurs, jugeant le découpage électoral favorable au parti au pouvoir. Ils avaient exigé, en vain, un nouveau recensement et une révision du découpage électoral. Une partie de l’opposition continue aussi de dénoncer la politisation des organes qui interviennent dans le processus électoral, notamment la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et la Cour constitutionnelle.
La CENI a reconnu avoir connu quelques difficultés le jour du scrutin. Toutefois, elle ne les a pas jugées de nature à entacher la crédibilité de l’élection. Par ailleurs, tous les recours déposés par l’opposition après la proclamation des résultats ont été rejetés par la Cour constitutionnelle. En outre, le 30 avril, dans un communiqué conjoint, la CEDEAO, l'Union africaine (UA) et l'OIF ont salué le calme dans lequel les élections se sont déroulées.
Dans un contexte d’exacerbation de la crise de confiance entre les acteurs politiques, toutes les parties impliquées dans la gestion des crises successives au Togo devraient tirer les leçons nécessaires pour éviter une autre crise aux conséquences imprévisibles, dans une région ouest-africaine déjà confrontée à de nombreux défis.
La controverse pourrait discréditer le rôle de conciliateur de Faure entre la CEDEAO et les pays de l’AES
Le parti au pouvoir devra tirer les leçons de son rôle dans l’échec des différents dialogues organisés depuis la signature de l’Accord politique global (APG) en août 2006. Il devrait continuer à explorer les voies et moyens d’une gouvernance plus inclusive qui aboutirait à des réformes institutionnelles et constitutionnelles consensuelles. Ces réformes doivent répondre aux défis multidimensionnels du Togo et aux besoins des populations désabusées par les dialogues successifs entre les acteurs politiques. Les autorités devraient aussi éviter de créer des frustrations politiques supplémentaires alors que le pays est confronté à des menaces terroristes dans le nord.
L’opposition devrait pour sa part repenser sa stratégie de conquête du pouvoir jugée contre-productive, y compris en son sein.
Le groupe des cinq (le Programme des Nations unies pour le développement, l’Union européenne, la France, l’Allemagne et les États-Unis) et les organisations régionales, notamment la CEDEAO, devront tirer les leçons de leur rôle dans la gestion des crises au Togo et de la perception d’une partie de la population qui estime qu’ils font preuve d'indulgence à l'égard du pouvoir en place.
En ce qui concerne la CEDEAO, des organisations de la société civile et des observateurs de la situation politique au Togo ont considéré son changement de ton à la suite de la révision constitutionnelle comme un rétropédalage. En effet, dans son communiqué du 15 avril, la CEDEAO a déclaré qu'elle déploierait une mission exploratoire dans le pays suite à la gravité des réformes constitutionnelles controversées envisagées par le gouvernement. Un jour plus tard, elle a retiré ce communiqué, modéré ses déclarations en annonçant plutôt l’envoi d’une mission d'information au Togo dans la perspective des élections législatives et régionales. Ce revirement a renforcé l’impression d’une organisation à la solde des chefs d’État, accusée de faire deux poids deux mesures selon qu’il s’agit de coup d’État militaire ou constitutionnel.
La réforme constitutionnelle controversée risque également de ternir davantage la réputation de la CEDEAO et de jeter le discrédit sur le rôle de conciliateur de Faure entre la CEDEAO et les pays de l’Alliance des États du Sahel (le Burkina Faso, le Mali et le Niger) dans la résolution des crises politiques en lien avec les transitions politiques. Ces trois pays ont annoncé leur retrait de la CEDEAO en janvier 2024.
La CEDEAO, en coordination avec le Groupe des cinq, doit maintenir le dialogue entre la classe politique et la société civile afin de recréer un climat de confiance entre toutes les parties prenantes. Sans avoir réglé les questions de fond, les précédents dialogues ont malgré tout contribué à apaiser les tensions au Togo.
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