SAMBA BALDE / AFP

Guinée-Bissau: rétablir la légitimité institutionnelle pour crédibiliser les élections

Un minimum de consensus sur les institutions électorales permettrait d'éviter d’exacerber l'instabilité politique.

Les nouveaux membres de l'Assemblée nationale populaire de la Guinée-Bissau (Assembleia Nacional Popular, ANP) seront élus le 24 novembre. Alors que ces élections devraient normalement contribuer à la démocratisation et à la stabilité politique du pays, elles sont organisées par des institutions ayant perdu leur légitimité.

Associées aux tensions politiques accrues de ces dernières années, ces élections risquent de renforcer la fragilité institutionnelle de la Guinée-Bissau.

Ces élections sont organisées suite à la dissolution controversée de l’ANP, par le président de la République Umaro Sissoco Embaló, en décembre 2023. L’assemblée était dominée par la coalition PAI-Terra Ranka dirigée par le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), qui a obtenu, à l’issue des législatives de juin 2023, la majorité absolue de 54 sièges sur les 102 que compte l’ANP.

Deuxième du genre depuis l'accession de Embaló à la magistrature suprême, cette dissolution semble, comme en mai 2022, motivée par la volonté de mettre fin à une cohabitation qui limitait la marge de manœuvre du président dans l’exercice du pouvoir.

Les élections en Guinée-Bissau sont organisées par des institutions ayant perdu leur légitimité

Les affrontements entre des éléments de la Garde nationale et les forces spéciales de la Garde présidentielle, qualifiés de tentative de coup d’état par le président, ont servi de prétexte pour la dissolution de l’ANP. La précédente, quant à elle, était fondée sur le refus de lever l'immunité parlementaire de certains députés dont le président du PAIGC, Domingos Simões Pereira.

À l’approche du scrutin, des défaillances institutionnelles et les tensions politiques menacent la bonne tenue de cette consultation électorale.

La première défaillance est liée au caractère illégitime de la Commission nationale électorale (CNE) chargée d’organiser et de superviser les processus électoraux. Son président et les membres de son secrétariat exécutif dont les mandats ont pris fin depuis avril 2022 n’ont pas encore été renouvelés. Cette anormalité institutionnelle persiste du fait d’un manque de volonté politique sous-tendu par le désir apparent du pouvoir de contrôler l’institution, et par l'incapacité de l’ANP, paralysée par des dissolutions successives, à élire le président et les membres du secrétariat exécutif de la CNE.

En l’absence d’une ANP fonctionnelle, la solution pourrait venir de son comité permanent, le seul organe actif du parlement, capable de procéder à l’élection des membres de la CNE. Ce comité est cependant empêché de réunion par le gouvernement qui a également décidé de remplacer l’actuel président de l’ANP, Domingos Simões Pereira, par le vice-président Adja Satu Camará, par ailleurs allié du président de la République.

Certains partis ne reconnaîtront plus le président après la fin de son mandat en février prochain

La deuxième défaillance majeure concerne la paralysie de la Cour suprême, résultant également d’une lutte pour son contrôle par les acteurs politiques, en vue des prochaines élections. En Guinée-Bissau, la Cour suprême est l’organe judiciaire chargé de réceptionner et de valider les candidatures, de vérifier et de proclamer les résultats définitifs des scrutins. Elle est également chargée de vider le contentieux électoral. Or, depuis la démission sous contrainte de son ancien président, José Pedro Sambu, en novembre 2023, la Cour suprême présente des dysfonctionnements qui l'empêchent de jouer pleinement son rôle.

Sur les 12 juges de la Cour suprême qui doivent siéger en matière électorale, 6 sont sous le coup d’une procédure disciplinaire initiée par l’ancien vice-président, le juge Lima André, qui assure actuellement l’intérim. Suspendus, ces juges ne peuvent participer aux sessions. Par conséquent, la Cour ne disposant pas du quorum de 7 juges nécessaire pour siéger et délibérer, elle ne pourra, dans le cadre du processus électoral, ni recevoir, ni valider les candidatures, et encore moins proclamer les résultats du scrutin.

Afin de surmonter cet obstacle, le président par intérim de la Cour suprême a créé une commission technique ad hoc chargée de superviser le processus de vérification des candidatures. Cette commission ne sera efficace que si elle reçoit l’adhésion des acteurs politiques impliqués.

Outre les suspicions sur les relations personnelles entre le président Embaló et le président par intérim de la Cour, la mise en place de cette commission constitue une entorse à la législation régissant l’organisation et le fonctionnement de la Cour et son rôle dans le processus. Par ailleurs, tout rejet par la Cour de la candidature des leaders de l’opposition pourrait être interprété comme une commande politique visant à éliminer les adversaires du président lors des prochaines élections législatives et présidentielle censées se tenir cette année. Surtout dans un contexte où Embaló a déclaré que ni Domingos Simoes Pereira, ni Nuno Gomes Nabiam, ni Braima Camará, ses principaux opposants, ne le remplaceraient.

Reporter les législatives permettrait de corriger les dysfonctionnements des institutions électorales

Ainsi, ni la CNE, ni la Cour suprême ne remplissent les conditions légales pour organiser et superviser les prochaines législatives. Afin d’éviter que cette anomalie institutionnelle ne devienne la source de tensions pouvant exacerber la crise politique, le président de la République devrait engager des discussions avec les acteurs politiques et institutionnels dans l’optique d’obtenir un large consensus pour rétablir la normalité institutionnelle. Cela est d’autant plus important que la controverse sur la fin de son mandat et la date de la prochaine présidentielle, également source de tension, reste vive.

En effet, ayant pris fonction le 27 février 2020, certains partis politiques de l’opposition ont déjà déclaré que l’actuel président ne sera plus considéré comme tel après le 27 février 2025, date à laquelle son mandat constitutionnel prendra fin.

Alors que les élections se rapprochent, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, garante du processus de stabilisation du pays, devrait intervenir pour créer les conditions d’une élection apaisée et crédibles. Pour ce faire, l’option de coupler les élections législatives et la présidentielle, à une date ultérieure retenue de façon consensuelle par les acteurs pourrait être envisagée.

Un report des législatives permettrait d’abord de corriger les dysfonctionnements à la cour suprême et à la CNE, en faisant de l’élection de leurs membres un préalable. Cette option garantirait au-delà de tout soupçon le bon fonctionnement de ces institutions et renforcerait leur légitimité, ainsi que celle des décisions qu'elles prendront. Elle offrirait une opportunité aux acteurs de trouver un consensus sur la date de la prochaine présidentielle.

Elle permettrait surtout d'éviter la remise en cause de la légitimité du président de la République après la fin de son mandat prévue en février 2025, une situation qui pourrait accentuer la fragilité des institutions du pays.

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