Gabon : Entre la sécurisation du régime et la nécessité pour les réformes réelles

La vacance du pouvoir qui résulte de l’absence du président en convalescence risque de prolonger l’ombre de l’incertitude.

Depuis la tentative de coup d’État au Gabon le 7 janvier, le président Ali Bongo Ondimba a procédé à des remaniements pour rétablir la confiance en son gouvernement. Bongo, qui se remet au Maroc d'une attaque vasculaire cérébrale, a nommé un nouveau gouvernement dirigé par le Premier ministre Julien Nkoghe Bekale.

De retour à Libreville le 15 janvier pour assister à la cérémonie de prestation de serment du nouveau gouvernement, il est retourné par la suite au Maroc, d’où il a procédé à des changements supplémentaires dans cinq départements ministériels, le 30 janvier.

Nanette Longa, porte-parole du gouvernement, a déclaré que ce nouveau remaniement visait à « renforcer la cohérence des portefeuilles ministériels ».

Par la suite, des jeunes activistes soupçonnés d’être liés aux putschistes, ont fait l’objet d’intimidations et ont été arrêtés. Ces mesures montrent que le régime ne tolèrerait aucune dissidence.

L’absence prolongée du président inquiète de plus en plus la population et l’élite dirigeante

Le Gabon doit toutefois fournir plus d’efforts pour réduire le mécontentement sociopolitique croissant. L’absence prolongée du président inquiète de plus en plus la population et l’élite dirigeante.

La tentative avortée de coup d’État a révélé la profonde insatisfaction à l’égard du gouvernement qui semble avoir atteint les rangs de la garde républicaine du Gabon. Depuis que les parachutistes français ont empêché une même tentative en 1964, les forces armées gabonaises sont restées en grande partie à l’écart de la politique, préservant ainsi le maintien au pouvoir de la famille Bongo, en fonction depuis 1967.

Pourtant, depuis 2015, la stabilité politique au Gabon est ébranlée par des tensions sociopolitiques qui ont pris la forme de manifestations publiques initiées par des syndicats, des partis politiques et des mouvements étudiants.


Deux événements récents cristallisent la fracture au sein de la classe politique et augmente le mécontentement : la bataille pour la succession à la suite du décès du président Omar Bongo en 2009, puis l’élection présidentielle contestée d’août 2016 qui a opposé le fils de Bongo à Jean Ping, son ancien ministre des Affaires étrangères.

Les élections ont amplifié le clivage entre les factions traditionaliste et moderniste du Parti Démocratique Gabonais (PDG), le parti au pouvoir. Après avoir succédé à son père, Bongo a renforcé son contrôle sur le parti en marginalisant puis en ostracisant les modernistes qui s'opposaient largement à cette succession dynastique et à la répression. Beaucoup ont été contraints de rejoindre l'opposition ou de créer de nouveaux partis politiques.

Les dépenses militaires du Gabon, qui se chiffraient à 288 millions de dollars en 2017, ont été les plus élevées jamais enregistrées

Le ministre de l'Intérieur a déclaré Bongo vainqueur parmi 10 candidats, dépassant d’un peu plus de 5 000 voix celles obtenues par Ping, chef du regroupement des partis de l'opposition, le Front uni de l’opposition pour l’alternance (FUOPA). Les huit autres candidats ont recueilli environ 7 000 suffrages. Des institutions d’État telles que la Cour constitutionnelle, l'Assemblée nationale et la Commission électorale nationale permanente, sous influence du président sortant, ont reconnu la réélection de ce dernier malgré les contestations.

Les observateurs électoraux ont mis en évidence des irrégularités parmi lesquelles le très discutable décompte des voix dans la province du Haut-Ogooué, fief de Bongo, qui a enregistré un taux de participation de 99,9 % et 95,9 % des voix en faveur de sa réélection.

Le nombre relativement élevé de candidatures (9) contre Bongo lui ont donné une justification apparente pour une victoire contestée en dispersant les voix des électeurs dans un système de scrutin à un tour. Ceci, malgré le fait qu’une opposition habituellement fracturée, s’est regroupée autour de Ping, car consciente de la difficulté de renverser un président qui poursuit un règne dynastique de 49 ans.

Afin de sortir d’une crise postélectorale, le consensus s’est avéré nécessaire. Cependant, Bongo a préféré créer un consensus sélectif en se tournant vers une partie de l’opposition beaucoup plus conciliante pour crédibiliser le dialogue avec les forces vives du pays. C’est dans cette logique que Pierre-Claver Maganga Moussavou, candidat classé cinquième à l’élection, a été nommé vice-président.

Le dialogue n’a pas non plus résolu la question principale de l’absence de limitation du mandat présidentiel dans la Constitution

Le contexte sociopolitique déjà inquiétant au Gabon a été aggravé par la chute des prix du pétrole depuis 2014 qui s’est répercutée sur son économie pétro-dépendante. Depuis les élections de 2016, les perspectives économiques du Gabon ne se sont guère améliorées. Le gouvernement a demandé et reçu 395,9 millions de dollars US du Fonds monétaire international au cours des deux dernières années pour assurer son équilibre macro-économique.

Mais la stabilisation des finances publiques ne résout pas nécessairement les problèmes socioéconomiques et politiques qui refont surface lors des manifestations, dont le manque d'accès à l’emploi, la diminution de la mobilité sociale et la dégradation de la qualité des services de santé et d'éducation.

De même, les dépenses militaires du Gabon, qui se chiffraient à 288 millions de dollars en 2017, ont été les plus élevées jamais enregistrées. Ceci alors que le ratio dette-PIB du pays a atteint 66,5 %, son plus haut niveau en 10 ans. Le gouvernement gabonais choisit de financer la sécurité – en raison de menaces réelles ou imaginaires – plutôt que d’investir dans de véritables réformes politiques et socioéconomiques qui pourraient contribuer à réduire le mécontentement.

Après la crise postélectorale de 2016, Bongo a convoqué un dialogue politique national (le dialogue national d’Angondjé) de mars à mai 2017. Les pourparlers n'ont apporté que des modifications superficielles aux quatre principaux sujets à l'ordre du jour : réforme institutionnelle et consolidation de l'état de droit, réforme électorale, modernisation politique, cohésion nationale et consolidation de la paix. Certains partis de l’opposition y ont participé mais le bloc de Ping a boycotté ces discussions largement perçues comme une tentative de légitimer un président élu au terme d’un processus profondément biaisé.

L’ordre du jour du dialogue n’a pas non plus résolu la question principale de l’absence de limitation du mandat présidentiel dans la Constitution. Le refus de Ping de reconnaître la victoire électorale de Bongo près de trois ans après la dernière élection et quatre ans avant les prochaines présidentielles, entretient le mécontentement postélectoral.

Pour éviter de futures crises électorales, les obstacles institutionnels doivent être éliminés. Depuis la tentative de coup d’État, le gouvernement a réagi aux contestations publiques par une réponse sécuritaire pour protéger le régime au lieu de traiter les causes profondes du mécontentement. Cette attitude menace la stabilité et ne résout en rien les problèmes engendrés par la stagnation économique du Gabon.

Le Gabon a besoin d’un dialogue réellement inclusif pour conduire à une gouvernance légitime, responsable, réactive et dépersonnalisée. Or, avec son président toujours en convalescence, la vacance du pouvoir ne fait qu’accentuer l’ombre d’incertitude.

Fonteh Akum, Chercheur principal, ISS Dakar

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