G5 Sahel : Redéfinir la coopération franco-sahélienne lors du sommet de N’Djaména
Face à la persistance de la crise, les opinions publiques de part et d’autre s’impatientent.
Publié le 15 février 2021 dans
ISS Today
Par
Remadji Hoinathy
chercheur principal, Afrique centrale et bassin du lac Tchad, ISS
L'opération Barkhane n'a jamais été aussi impopulaire, depuis son lancement il y a huit ans. Un sondage réalisé début janvier 2021 par l'Institut français d'opinion publique (IFOP) a révélé que 51% de la population française ne soutient plus l'intervention militaire au Sahel.
Faisant écho aux questionnements des Français, l'Assemblée nationale et le Sénat ont convoqué des débats sur le rôle du pays au Sahel, à quelques jours du sommet de N’Djamena.
Les chefs d’État du Groupe des cinq pays du Sahel (G5 Sahel), composé du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad, se réunissent ces 15 et 16 février dans la capitale tchadienne. Ils seront joints à distance par leur homologue français pour évaluer la situation sécuritaire du Sahel et faire le point sur une coopération militaire dont l’Opération Barkhane reste la pièce maîtresse.
Cette rencontre de haut niveau fait suite à celle de janvier 2020 à Pau, en France, qui avait abouti à un renforcement de la coopération, notamment avec l’envoi de 600 militaires supplémentaires, portant les effectifs de la force Barkhane à 5 100 hommes et femmes.
Selon un récent sondage, 51 % des Français ne soutiennent plus l'intervention militaire au Sahel
Un an plus tard, la France a perdu 12 soldats supplémentaires (57 au total depuis le début de son intervention en janvier 2013) dans une guerre qui, vue de l’hexagone, paraît lointaine et sans fin.
Pour maintenir leur engagement dans une opération militaire extérieure de plus en plus impopulaire, les autorités françaises doivent convaincre. Elles mobilisent à cet effet une intense communication autour de la « neutralisation » de quelques leaders des groupes extrémistes violents (GEV), présentée comme autant de succès stratégiques déterminants.
À un an de la présidentielle française d’avril 2022, ces éléments ont de quoi inquiéter l’actuel président et futur candidat Emmanuel Macron, qui est conscient que le bilan de sa politique étrangère sera en grande partie jugé à l’aune du dossier sahélien.
Les résultats du sondage de l’IFOP témoignent aussi d’une fatigue collective des Français face à un investissement militaire au coût humain et financier élevé. Ils marquent l’impatience de contribuables qui préféreraient voir leurs impôts investis dans une économie nationale durement éprouvée par la crise de COVID-19 plutôt que dans des opérations militaires à l’issue incertaine.
Une partie des populations sahéliennes suspecte la France de desseins inavoués
D’autant qu’une partie des populations sahéliennes censées « bénéficier » de cet élan de solidarité internationale ne cache pas son hostilité envers des opérations militaires françaises qu’elle perçoit comme une forme d’occupation néocoloniale déguisée. Cette opinion n’est peut-être pas majoritaire, mais son écho est amplifié par une large visibilité médiatique et des manifestations devenues récurrentes, surtout au Mali, où la présence française est la plus visible.
Que les peuples du Sahel abordent avec méfiance la présence militaire française dans la région, accusant l’ancienne puissance coloniale d’arrogance et la soupçonnant de desseins inavoués, n’a rien de surprenant au regard de l’histoire. Mais ils ont aussi des raisons immédiates de remettre en cause la pertinence et l’efficacité du modèle de coopération militaire actuel.
D’abord, nombre de Sahéliens, Maliens en tête, peinent à comprendre que le mandat de la force Barkhane, centré sur la lutte anti-terroriste, ne prenne pas en compte la protection des civils. Celle-ci est dévolue aux forces armées nationales et à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). La logique de complémentarité des mandats ne convainc pas toujours. La violence des milices locales et des agents des forces de sécurité nationales a fait plus de victimes civiles en 2020 que l’action des groupes extrémistes violents, aussi bien au Mali qu’au Burkina.
Les bavures avérées ou supposées de Barkhane sur le terrain amplifient ces questionnements. Les frappes aériennes françaises du 3 janvier 2021 sur le village de Bounti, dans le centre du Mali, ont suscité la controverse. Alors que Paris affirme n’avoir ciblé que des membres clairement identifiés d’un groupe armé terroriste, des témoins locaux évoquent des victimes civiles rassemblées pour un mariage.
Le risque d’une expansion de la menace jihadiste vers les pays côtiers n’est pas nouveau
La MINUSMA a lancé une enquête visant à faire la lumière sur cet incident. Mais pour ce qui est de la rupture de confiance, le mal est fait. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la responsabilité de troupes étrangères, notamment françaises, est mise en cause dans des incidents présumés ou confirmés de violence contre les civils.
Dans un tel contexte, le sommet de N’Djamena pourrait marquer un changement de cap.
En prélude au sommet, les autorités françaises ont d’ores et déjà évoqué la possibilité d’un « ajustement » de leur présence opérationnelle au Sahel. Ceci pourrait correspondre à une réduction des effectifs de l’Opération Barkhane, en commençant par le rappel des 600 personnels envoyés en renfort après le sommet de Pau. Une diminution des effectifs de Barkhane irait dans le sens des opinions publiques aussi bien française que sahéliennes.
L’impact d’une telle décision sur la sécurité dans la région reste néanmoins à déterminer. Elle pourrait marquer le début d’un retrait progressif des troupes françaises du Sahel, alors que les groupes extrémistes violents demeurent vigoureux, et les armées nationales vulnérables.
En théorie, la montée en puissance de la force Takuba, chargée d’accompagner l’armée malienne au combat avec une plus grande implication des autres partenaires européens, pourrait compenser un allègement du dispositif français sur le terrain. Mais pour l’heure, l’hypothèse d’un tel passage de relais relève du vœu pieux, tant la mise en place de cette force accumule des retards et soulève des incertitudes.
La reconfiguration annoncée du dispositif militaire français vise sans doute également à libérer des ressources humaines et financières pour les redéployer vers des zones de coopérations existantes dans les pays côtiers. Le chef du renseignement extérieur français a ainsi récemment évoqué le risque d’une expansion de la menace jihadiste vers le golfe de Guinée. L’identification de ce risque n’a rien de nouveau.
L’identification de ce risque n’a rien de nouveau. Des travaux de l’Institut d'études de sécurité ainsi que d’autres institutions de recherche en font état depuis 2017 au moins. L’annonce qu’en a fait le patron du renseignement extérieur français dans une rare prise de parole médiatique à quelques jours du sommet de N’Djamena n’est toutefois pas anodine.
L’on peut se demander si ces déclarations visaient à préparer le terrain pour une réorientation stratégique prenant davantage en compte les liens des groupes terroristes sahéliens dans les pays côtiers. Si tel est le cas, il faudrait aussi espérer un recadrage vers une stratégie opérationnelle davantage préventive et plus attentive aux questions de développement, alors que l’actuelle reste largement réactive et axée sur les opérations militaires.
À moins que cette sortie médiatique ne soit qu’un coup de communication destiné à légitimer le dispositif actuel, en élargissant ses enjeux au-delà du Sahel mais sans en tirer les conséquences stratégiques et opérationnelles. Une telle manœuvre, si elle s'avérait exacte, pourrait au contraire aggraver la crise de confiance des opinions publiques.
Ornella Moderan, cheffe du programme Sahel, ISS Bamako et Remadji Hoinathy, chercheur principal, Programme Bassin du lac Tchad, ISS Dakar
Cet article a été réalisé grâce au soutien du Fonds de résolution des conflits du Royaume-Uni et du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.
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