L’or ne brille pas pour les femmes dans les mines du Sénégal et du Mali
L'exploitation minière artisanale devrait enrichir les femmes orpailleuses : pourquoi sont-elles alors discriminées et exploitées ?
Publié le 09 décembre 2021 dans
ISS Today
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Les femmes ont toujours été des actrices clés de l'exploitation minière artisanale dans les communautés autochtones mandingues du sud-est du Sénégal et de l'ouest du Mali. Cependant, la rentabilité croissante de ce secteur au cours de la dernière décennie a conduit à leur marginalisation économique et les a exposées à de multiples formes d'insécurité.
Les recherches de l'Institut d’études de sécurité (ISS) révèlent que les femmes impliquées dans l'exploitation artisanale et à petite échelle de l'or sont victimes de discrimination et retirent peu de bénéfices de ce secteur très lucratif malgré leur rôle majeur. Cela est particulièrement vrai dans les régions minières de Tambacounda et de Kédougou dans le sud-est du Sénégal et de Kayes dans l'ouest du Mali.
Régions minières du sud-est du Sénégal et de l'ouest du Mali (cliquez sur le carte pour agrandir l'image)
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Les derniers chiffres officiels estimaient la production minière artisanale à 4,3 tonnes en 2018 au Sénégal, représentant une valeur totale de 132 millions d'euros, et à 26 tonnes au Mali en 2019, équivalant à 1,1 milliard d'euros.
Bien que les données officielles ne reflètent pas tout à fait la réalité en raison de la clandestinité des sites, il en ressort qu’en 2018, au Sénégal, et en 2019, au Mali, la moitié de la main-d'œuvre minière était féminine.
Cette dernière n'est pas seulement sénégalaise et malienne, mais comprend également des ressortissantes du Burkina Faso, de la Côte d'Ivoire, du Ghana, de la Guinée et du Nigeria, en nombre significatif.
Dans les localités où l’ISS a mené des recherches, les orpailleurs croient qu'une forte présence féminine sur un site présage de son abondance en or. Cette conviction est soutenue par les multiples tâches qu’effectuent les femmes sur les sites d'extraction et leurs alentours. Elles se relaient pour remonter les seaux contenant le minerai. Elles participent également au transport, au concassage et au traitement du minerai en séparant l'or, avec ou sans produits chimiques.
Les femmes impliquées dans l'exploitation artisanale et à petite échelle de l'or retirent peu de bénéfices de ce secteur très lucratif
Au plus bas de la chaîne de production, ces tâches effectuées par les femmes s'inscrivent dans les normes sociales locales de la division du travail qui considèrent les femmes comme de simples aides pour les hommes. Elles travaillent dans des conditions difficiles et beaucoup d’entre elles sont des employées temporaires auprès de différents groupes d’orpailleurs. Elles sont payées soit en minerai et reçoivent les plus petites portions, soit en résidu de minerai sous forme de boue. Dans les deux cas, leur gain est très incertain, et dépend de la découverte ou non d'or.
Pourvues de faibles revenus, les femmes n'ont pas les moyens financiers suffisants pour s’offrir les outils mécanisés nécessaires à l'augmentation de leurs bénéfices. Dans les deux pays, elles ne jouent qu'un rôle limité dans la gouvernance des sites d’orpaillage. Ceux-ci sont contrôlés par les autorités traditionnelles, majoritairement des hommes, en conformité avec les coutumes locales.
Les conditions de travail précaires et les maigres revenus exposent ces femmes à plusieurs risques. Certaines d'entre elles ont confié à l’ISS qu'elles étaient régulièrement victimes de violences physiques et verbales de la part d’orpailleurs consommateurs de drogues.
Elles sont également confrontées à des risques sanitaires à cause du manque d'équipement de protection lors de l'utilisation du mercure pendant la phase de lavage du minerai. L'exposition à ce produit chimique engendre des conséquences néfastes. Les dommages sont particulièrement graves pour les femmes enceintes du fait des effets neurotoxiques dangereux pour le développement du fœtus. La plupart des femmes enceintes interrogées par l’ISS ont déclaré avoir travaillé jusqu'à leur accouchement et, dans certains cas, être revenues deux mois après.
Les conditions de travail précaires et les maigres revenus exposent ces femmes à divers risques
En raison de leur précarité économique, les femmes développent des stratégies de résilience, en se livrant à des activités licites (commerce de l'eau et restauration) et illicites. Au Mali, certaines d’entre elles participent au commerce illégal de médicaments classés comme stupéfiants tels que le tramadol, le diazépam et le rivotril que les orpailleurs utilisent largement. Ce marché entretient les réseaux de trafic transfrontalier et contribue au développement d'économies criminelles.
Certaines femmes sont également impliquées dans la prostitution et d'autres sont victimes de traite. La plupart d'entre elles sont issues de milieux défavorisés et ont souvent entre 18 et 25 ans. Elles sont originaires du Ghana, de la Côte d'Ivoire, de la Guinée et majoritairement du Nigeria. Elles sont recrutées soit par des proxénètes communément appelées « madames », qui sont souvent d’anciennes victimes de traite désormais installées à leur propre compte, soit par des hommes travaillant pour ces dernières. Elles sont attirées par des fausses promesses de gains rapides dans des emplois de serveuses dans des bars et restaurants au Mali et au Sénégal ou dans des « salons de beauté » aux États-Unis ou en Europe.
Les informations fournies par la police locale et ces femmes à l’ISS indiquent qu'elles sont battues et parfois séquestrées si elles résistent. Alors que les « madames » paient en moyenne 457 à 762 euros pour amener une jeune femme au Sénégal ou au Mali, le remboursement qui lui est demandé s’élève à trois ou quatre fois cette somme.
Cette traite lucrative et transfrontalière de personnes à des fins d’exploitation sexuelle est alimentée localement par trois facteurs interreliés. Premièrement, le travail du sexe répond à la demande des orpailleurs qui s'est intensifiée avec l’augmentation des ouvertures de sites miniers. Deuxièmement, il existe une croyance magico-religieuse locale selon laquelle « les rapports sexuels avant l'extraction augmentent les chances de trouver de l'or ». Troisièmement, les recherches de l'ISS montrent que ce marché illégal est intégré dans un système de corruption redistributif qui implique des fonctionnaires et des autorités communautaires.
La situation des femmes dans l'exploitation minière artisanale et à petite échelle a été négligée
La prostitution contribue à l'augmentation du VIH/SIDA et d'autres maladies sexuellement transmissibles dans les communautés autour des sites d'extraction de l'or. Ainsi en mars 2021, les autorités sanitaires indiquaient à l’ISS que le taux de prévalence du VIH/SIDA en 2020 était de 0,9 % sur les sites d’orpaillage contre 0,6 % dans la région de Kédougou et 0,5 % au niveau national.
La situation des femmes dans l'exploitation minière artisanale et à petite échelle, dans un contexte sécuritaire assombri par les attaques de groupes extrémistes violents dans la région du Sahel, a été négligée. Il est nécessaire d'accorder plus d'attention à la place des femmes dans l'économie aurifère qui est actuellement en plein essor, et de s'efforcer de remédier aux diverses vulnérabilités et aux risques auxquels elles sont exposées.
Le Sénégal et le Mali gagneraient à mettre en œuvre de toute urgence une politique de discrimination positive pour faciliter l'accès des femmes au foncier minier. Cela contribuerait à réduire leur vulnérabilité économique et faciliterait leur implication dans la gouvernance du secteur.
Une plus grande coopération impliquant les pays d'origine, de transit et de destination des jeunes femmes victimes de traite (notamment le Nigeria, le Bénin, le Burkina Faso, le Sénégal, le Mali, le Ghana, la Guinée et la Côte d'Ivoire) est par ailleurs nécessaire pour lutter efficacement contre ce phénomène. Une politique de retour volontaire des victimes devrait également être mise en place en collaboration avec les pays concernés et les organisations humanitaires.
Ce n'est qu'à ces conditions que les femmes travaillant dans les mines pourront profiter du secteur lucratif de l'or et être moins exposées à l'insécurité.
Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur principal et Adja Khadidiatou Faye, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du Lac Tchad
Cet article a été réalisé avec le soutien des gouvernements des Pays-Bas et du Danemark, du Fond pour les conflits, la stabilité et la sécurité du Royaume-Uni (CSSF) et de l’ambassade de Suisse au Sénégal.
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