Félix Tshisekedi est politiquement sur la corde raide
Les besoins de développement conséquents de la RDC passent au second plan en raison des affrontements politiques des dirigeants du pays.
Bien que Félix Tshisekedi soit président depuis trois mois, la République démocratique du Congo (RDC) n'a toujours pas de gouvernement, ni de premier ministre. D'autres structures de la nouvelle administration fonctionnent, comme le Sénat élu en mars, les gouverneurs provinciaux élus en avril et le président de l'Assemblée nationale élu la semaine dernière.
Les résultats de ces processus reflètent le déséquilibre dramatique entre le Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme politique dirigée par l'ancien président Joseph Kabila, et Cap pour le changement (CACH), l'alliance politique entre l'Union pour la démocratie et le progrès (UDPS) de Tshisekedi et l'Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe.
Parmi ces élus, 91 des 100 sénateurs et 23 des 24 gouverneurs provinciaux sont issus du FCC (deux élections ont été reportées en raison des violences et de l'épidémie d'Ebola), consolidant la mainmise du parti sur l'exécutif. Ces joutes électorales nous permettent d’avoir un aperçu clair des relations entre le FCC et le CACH.
Les deux partis ont conclu un accord en février, indiquant ainsi qu'ils sont déterminés à coopérer et à travailler ensemble au niveau institutionnel, particulièrement à l'Assemblée nationale. En réalité, les élections sénatoriales démontrent que la relation n'est pas seulement déséquilibrée, mais qu'elle est aussi très concurrentielle, voire antagoniste.
Trois mois après le début de la présidence de Tshisekedi, la RDC n'a toujours ni gouvernement, ni premier ministre
La corruption a entaché les élections sénatoriales, avec des allégations de pots-de-vin versés par le FCC à des députés provinciaux de l'UDPS afin qu'ils votent pour des candidats FCC au détriment de l'UDPS. Cet incident est embarrassant pour Tshisekedi, ainsi que pour son parti, qui a réagi en suspendant l'investiture des sénateurs. Il a dû reculer moins d'une semaine plus tard, concédant ainsi une première défaite dans la longue série de batailles qui se profile à l'horizon.
En privé, certains membres du FCC expriment leur frustration vis-à-vis de la cupidité de la coalition qui n'hésite pas à éclipser son partenaire au sein de l'alliance. Pour Kabila, donner l'impression que Tshisekedi est indépendant passe au second plan derrière le besoin existentiel de maintenir la cohésion de sa coalition actuellement divisée.
Ceci ne lui est possible qu'en continuant à donner à ses membres accès au pouvoir, aux positions et aux ressources. Tant qu'il est en mesure de distribuer ces faveurs, il reste un dirigeant solide, au cœur du pouvoir.
Malgré tout, il sera difficile de maintenir ce système en place pendant les cinq prochaines années, à l'issue desquelles il souhaite revenir comme candidat présidentiel du FCC, selon des membres du parti. La volonté réelle de Kabila de se représenter est une autre question. Il est possible que d’en maintenir le mythe soit un autre élément de sa stratégie pour conserver l’intégrité de son alliance.
En revanche, s'il souhaite reprendre la présidence, il doit empêcher Tshisekedi de réussir et de bénéficier d'un véritable soutien populaire.
Il est trop tôt pour savoir quelle direction prendra le nouveau président de la RDC au cours des cinq prochaines années
Il y a aussi la question des intentions et des ambitions de Tshisekedi lui-même. Beaucoup considèrent qu'il souhaite revendiquer son indépendance vis-à-vis du camp Kabila et que la meilleure stratégie à suivre dans l'immédiat consiste à l’appuyer dans ce sens. Mais il s'agit d'un homme ayant accédé au pouvoir à la suite d'un accord politique qui rejette le réel vainqueur à la présidence, ainsi que le vote du peuple congolais.
Il est trop tôt pour déterminer la direction qu'il prendra dans les cinq prochaines années, et s’il peut et veut prendre les risques nécessaires pour commencer à modifier fondamentalement la nature de la gouvernance et de la politique en RDC.
Cette démarche nécessiterait de lutter contre la corruption, le favoritisme, de réformer des institutions politisées telles que la Commission électorale indépendante nationale et la Cour constitutionnelle et de briser les réseaux des intérêts militaro-économiques qui maintiennent le statu quo.
Il s’agirait d’un défi de taille pour n'importe qui, même le véritable gagnant de la présidentielle, Martin Fayulu, qui aurait eu un soutien et une légitimité populaires et aurait échappé à un compromis politique avec les élites régionales et nationales qui dirigent le système et en dépendent.
Même si les ambitions de Tshisekedi se concentrent sur son avenir politique personnel plutôt que sur les intérêts nationaux, il sera en concurrence avec Kabila lors des élections présidentielles de 2023. Il est improbable qu'il se retire et ne se représente pas, ou que son entourage puissant constitué par les militants de l'UDPS lui permette de se détacher du pouvoir.
Si Kabila souhaite revenir à la présidence, il doit empêcher Tshisekedi de réussir
C'est ce même entourage, mené par Jean-Marc Kabund, qui l'avait contraint à abandonner le pacte de Genève qui avait conduit à l'élection de Fayulu comme candidat de l'opposition. Ces militants considèrent qu'ayant combattu dans l'opposition depuis des décennies aux côtés d'Étienne Tshisekedi la victoire leur appartient autant, voire davantage, qu'à Felix Tshisekedi.
Et puis il y a Kamerhe, le caméléon politique de la RDC qui a le plus réussi. Actuellement chef de cabinet de Tshisekedi, son ambition personnelle est de devenir président. Attendra-t-il jusqu'en 2028, lorsque Tshisekedi aura complété un hypothétique deuxième mandat, ou essaiera-t-il de l'obliger à se retirer en 2023 ? Kamerhe est l'un des politiciens les plus compétents de la RDC. Mettra-t-il ses compétences et ses relations au service de Tshisekedi ? Seulement si cela lui profite.
Mais même si Tshisekedi consacre ses cinq prochaines années à essayer de créer ses propres réseaux politiques afin de pouvoir remporter un second mandat en 2023 plutôt que d’œuvrer pour le bien du pays, le centre du pouvoir en RDC ne peut que commencer à se déplacer. Mais le changement sera progressif et adapté – et non radical, comme le souhaitent de nombreux électeurs.
Les nombreuses ambitions créées par la confiscation des résultats de l'élection auront pour conséquence que la compétition et les stratégies de survivance politique éclipseront la gestion des affaires nationales, au moins à moyen terme. Néanmoins, des interventions adroites – particulièrement de partenaires internationaux clés – pourraient encore permettre de transformer cette situation en une opportunité pour un changement réel en RDC.
Si Tshisekedi et Kamerhe sont prêts à recevoir le soutien nécessaire qui permettra au nouveau président de gagner en stature tout en faisant une différence significative dans le mode de gouvernance du pays, il sera peut-être possible de tirer le meilleur parti d'une mauvaise situation.
Stephanie Wolters, chercheuse principale, ISS Pretoria
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