Faut-il réévaluer la prévention du terrorisme en Afrique ?
Inclure des services de santé mentale pour cibler les facteurs sociaux et comportementaux pourrait améliorer la prévention.
L’Indice mondial du terrorisme 2023 indique que 60 % des décès attribués à des groupes extrémistes violents en 2022 ont eu lieu en Afrique subsaharienne. La violence intercommunautaire et le manque de cohésion sociale contribuent au recrutement de groupes sur le continent, et malgré de nombreux efforts de prévention, la menace terroriste persiste.
Est-il temps de réévaluer les actions de prévention de l’extrémisme violent et, en particulier, du recrutement dans les groupes terroristes en Afrique ?
Le récent rapport Journey to Extremism in Africa du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) met en évidence deux types de facteurs à l’origine de l’enrôlement volontaire ou du risque d’être recruté par des groupes terroristes.
Parmi les facteurs sociaux on trouve la marginalisation économique, le manque d’accès aux services de base, l’exclusion politique et les violations des droits de l’homme. Les facteurs comportementaux décrivent les réactions d’un individu ou d’une communauté à ces facteurs sociaux. Celles-ci peuvent se traduire par un sentiment de déconnexion par rapport à son identité ou à son groupe ethnique ou religieux, par une méfiance à l’égard d’autres groupes ethniques et religieux ou par de forts sentiments de haine, de colère ou de vengeance envers un groupe ou un gouvernement.
Le traumatisme intergénérationnel est rarement priorisé dans les interventions humanitaires
De nombreux Africains sont victimes d’une insécurité qui dure depuis des décennies. Les communautés ont subi des traumatismes continus résultant d’insurrections, d’attaques terroristes, de violences politiques, d’une marginalisation socioéconomique, politique, religieuse ou ethnique, de génocides et de guerres civiles.
Pour beaucoup, les traumatismes sont devenus un problème intergénérationnel rarement pris en compte dans les interventions humanitaires et de développement. C’est pourquoi les experts recommandent désormais d’intégrer la santé mentale et le soutien psychosocial dans les programmes de développement afin de traiter les traumatismes et les griefs profondément enracinés. Cette démarche pourrait également permettre de prévenir l’extrémisme violent.
Le Comité permanent interorganisations (IASC), la plus ancienne et plus haute instance de coordination humanitaire des Nations unies, définit les services de santé mentale et de soutien psychosocial (SMSPS) comme « un soutien à plusieurs niveaux pour traiter les problèmes de nature psychologique (par exemple, le deuil, les troubles mentaux graves, la dépression, l’anxiété, le stress post-traumatique) et les problèmes de nature sociale (par exemple, l’extrême pauvreté, l’oppression politique, la séparation des familles, la destruction de la communauté) ». L’appui aux services de SMSPS peut comprendre des interventions sanitaires, éducatives ou communautaires.
L’IASC et le PNUD classent la santé mentale en trois catégories. Premièrement, les problèmes qui affectaient la communauté avant le conflit, tels que la pauvreté et la discrimination. Deuxièmement, les problèmes sociaux causés par le conflit, tels que la séparation des familles, la perturbation des réseaux et la rupture de la cohésion et de la confiance. Troisièmement, les problèmes sociaux provoqués par les efforts de stabilisation postconflit et d’aide humanitaire, tels que l’affaiblissement de l’identité sociale et des structures communautaires.
Les experts recommandent d’intégrer la santé mentale et le soutien psychosocial dans les programmes en cours
Selon le PNUD, les interventions des services de SMSPS ont divers objectifs qui varient en fonction de l’individu et de la communauté. Il peut s’agir de fournir des conseils à la suite d’événements traumatisants, de résoudre des hostilités et des griefs intercommunautaires, de promouvoir le rétablissement et la résilience ou de proposer une thérapie holistique pour faciliter la prise de décisions et mieux comprendre ses émotions.
Les services de SMSPS devraient aborder les traumatismes intergénérationnels, renforcer la confiance et la résilience et permettre la discussion et la validation des griefs auxquels sont confrontées de nombreuses communautés vulnérables à travers l’Afrique. Ces approches peuvent être utilisées au niveau individuel, avec des groupes sexospécifiques — en particulier lorsque des sujets sensibles tels que les traumatismes sexuels sont abordés — ou des groupes mixtes.
Il existe plusieurs études de cas où les activités de services de SMSPS ont été intégrées dans les interventions de prévention et de postconflit en cours. Dans le Nord-Est du Nigeria, la population est confrontée à de graves problèmes sociaux dus à la crise climatique et à l’épuisement des ressources naturelles, ainsi qu’aux attaques et enlèvements perpétrés par Boko Haram et des groupes affiliés.
Les communautés considérées comme les plus marginalisées se trouvent dans les États de Borno, de l’Adamawa et de Yobe. Les interventions des services de SMSPS dans ces États sont principalement effectuées par des groupes locaux de la société civile et des organisations internationales, notamment l’Organisation internationale pour les migrations et Save the Children. En raison de la persistance de l’insécurité, la plupart de ces organisations disposent de ressources humaines et logistiques minimales et n’ont qu’un accès limité aux communautés qui ont besoin d’un soutien des services de SMSPS.
La réintégration de ceux qui ont quitté les groupes extrémistes violents est une fonction négligée de la SMSPS
Au Kenya, le réseau Green String Network mène des activités de SMSPS dans les zones côtières et dans la capitale depuis plusieurs années. Les efforts de lutte contre le terrorisme ont entraîné une grande méfiance à l’égard de l’appareil de sécurité de l’État, compte tenu des violations des droits de l’homme commises par l’armée et la police et de la discrimination à l’égard de certains groupes ethniques, tels que les Somalis. L’évaluation après programme de Green String Network a montré que les participants comprenaient mieux leur traumatisme et comment celui-ci affectait leur quotidien, et que la cohésion sociale au sein des communautés était améliorée.
L’une des fonctions souvent négligées des services de SMSPS est la réhabilitation et la réintégration des déserteurs ou des personnes libérées par des groupes extrémistes violents après avoir été enlevées. La Stratégie de stabilisation régionale du bassin du lac Tchad définit les services de SMSPS comme étant intégrés à des activités plus larges de réhabilitation, de réinsertion et de réintégration. Cela permet d’empêcher les déserteurs de retourner dans les rangs de groupes armés et de garantir une réinsertion plus durable, tout en préparant les communautés à leur retour.
Les programmes de réhabilitation et de réintégration échouent souvent lorsque les communautés censées accepter le retour des déserteurs ne sont ni consultées ni préparées.
Dans le cas du Rwanda, les programmes de SMSPS mis en œuvre après le génocide de 1994 se sont révélés inestimables. Ils ont permis de réunir des communautés de différents groupes ethniques afin d’arbitrer les griefs et de rétablir la cohésion sociale.
L’intégration des activités de SMSPS dans les efforts actuels de prévention du terrorisme pourrait apporter un soulagement bien nécessaire aux traumatismes et aux effets comportementaux résultant d’activités extrémistes violentes. Elle pourrait également aider les communautés à prévenir et à résister à d’autres types de conflits à l’avenir.
Isel Ras, consultante en recherche, Justice et Prévention de la violence, ISS Pretoria
Image : UN Photo
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