Emmanuel Macron tente de réformer les relations Afrique-France
Les réunions et sommets de haut niveau peuvent-ils renforcer la confiance et modifier des relations historiquement complexes ?
Le président français Emmanuel Macron s’est rendu au Rwanda le 27 mai, premier voyage d’un chef d’État français dans ce pays depuis Nicolas Sarkozy il y a plus de 10 ans. Cette visite très attendue visait à normaliser les relations entre les deux pays ; des lectures contradictoires du rôle de la France pendant le génocide de 1994 ont créé des tensions entre Kigali et Paris.
À Kigali, Macron a déclaré que si la France « n’a pas été complice », elle « endossait une responsabilité accablante » dans le génocide pour avoir soutenu le gouvernement rwandais de l’époque. « Alors, en me tenant, avec humilité et respect, à vos côtés, ce jour, je viens reconnaître nos responsabilités [celles de la France] », a-t-il déclaré. Ce geste hautement symbolique contribuera largement à apaiser les relations entre le Rwanda et la France et pourrait ouvrir la voie à d’autres actes réconciliateurs.
À l’invitation du président Cyril Ramaphosa, M. Macron se rendra également en Afrique du Sud pour la première fois le 28 mai. Ce voyage vise à développer des « opportunités de commerce et d’investissements mutuellement bénéfiques ». Les discussions porteront aussi sur la réponse mondiale à la pandémie de COVID-19.
Les visites au Rwanda et en Afrique du Sud s’inscrivent dans une stratégie globale de redéfinition de la relation en la France et l’Afrique, impulsée par M. Macron. Il reste à voir dans quelle mesure ces visites, auxquelles s’ajoutent plusieurs rencontres de haut niveau organisées par le gouvernement français, peuvent changer la donne de relations historiquement complexes.
Les visites au Rwanda et en Afrique du Sud s’inscrivent dans le cadre des efforts déployés par la France pour redéfinir sa relation avec l’AfriqueLa croissance économique et l’influence politique grandissante de l’Afrique attirent des partenaires extérieurs désireux de renouveler et de renforcer leurs relations avec le continent. La Russie, la Chine, la Turquie, le Japon, l’Inde, le Royaume-Uni et la France sont autant de pays qui tiennent des sommets réguliers avec les États africains.
La France cherche à préserver ses intérêts et son influence actuels en Afrique, principalement dans les pays francophones, tout en portant son attention sur des États d’Afrique de l’Est et d’Afrique australe, considérés « non traditionnels » car étant en dehors du cercle d’influence français. Outre les visites officielles du président Macron dans des pays tels que le Rwanda et l’Afrique du Sud, la France organise cette année deux sommets visant à faire évoluer la stratégie française à l’égard de l’Afrique.
Le 18 mai a eu lieu un Sommet sur le financement des économies africaines, qui s’est tenu à Paris en présence de 22 chefs d’État africains. Il sera suivi du 28e Sommet Afrique-France, qui se tiendra à Montpellier en octobre. Cette dernière rencontre est présentée comme une tentative française de s’éloigner des discussions classiques entre gouvernements pour donner à la société civile africaine, notamment aux jeunes générations et aux entrepreneurs, la possibilité de faire entendre leur voix.
Achille Mbembe, historien camerounais de renom et spécialiste de la « postcolonie », a été chargé de lancer plusieurs débats qui permettront de recueillir les points de vue Africains sur la redéfinition des relations entre l’Afrique et la France.
Les promesses du sommet du 18 mai semblent bien maigres par rapport aux besoins économiques réels de l’AfriquePour que ces visites et sommets contribuent à changer la façon dont la France et l’Afrique interagissent, ils doivent déboucher sur des politiques publiques tangibles et pertinentes. La déclaration publiée à l’issue du Sommet du 18 mai souligne la résolution prise par les États présents selon laquelle le Fonds monétaire international (FMI) devrait émettre une allocation générale de droits de tirage spéciaux (DTS) s’élevant à environ 650 milliards de dollars américains. Cela fournira automatiquement aux pays africains 33 milliards de dollars américains à se répartir en fonction de leurs quotes-parts au FMI.
Adoptée par 29 pays africains et d’autres États, cette déclaration note également la nécessité pour les institutions financières internationales et les banques multilatérales de développement de soutenir la reprise économique en Afrique. Tout cela a été présenté comme un « ‘new deal’ pour l’Afrique et avec l’Afrique ».Malgré ce beau slogan, Il n’est pas clair si ou comment cette initiative sera véritablement bénéfique au continent.
Alors que l’Afrique doit recevoir 33 milliards de dollars au titre des DTS, le FMI estime à 285 milliards de dollars les besoins du continent entre 2021 et 2025 pour combattre le ralentissement économique provoqué par la pandémie de COVID-19. Les promesses du Sommet du 18 mai semblent donc bien maigres par rapport aux besoins financiers réels de l’Afrique.
Ces réunions, seules, ne peuvent cependant pas résoudre toutes les difficultés auxquelles l’Afrique est confrontée. Plusieurs problèmes persistent, notamment la structure même de nombreuses économies africaines, perpétués et exacerbés par des défis systémiques et par les profonds déficits de gouvernance du continent.
La France doit aller au-delà de la rhétorique et changer les modalités et la substance de ses interactions avec l’AfriqueSi l’Afrique et la France souhaitent une meilleure relation basée sur le respect et la confiance mutuels, toutes les parties devront travailler avec ardeur pour des rapports plus égalitaire et fructueux pour tous. La France et ses anciennes colonies entretiennent des relations complexes, principalement en raison de l’histoire coloniale, suivie d’une période postcoloniale au cours de laquelle la France a maintenu des liens politiques et économiques privilégiés avec presque tous ces pays.
Le sommet du mois d’octobre pourrait servir de plateforme pour débattre de ces problématiques et réformer des liens postcoloniaux qui ont largement perpétué un système d’exploitation des populations francophones d’Afrique.
Contrairement à ses prédécesseurs François Hollande et Nicolas Sarkozy, la rhétorique « réformatrice » de Macron s’est accompagnée de gestes symboliques. Il s’agit notamment de la commande d’un rapport sur le rôle de la France dans le génocide rwandais et le travail effectué dans le but de restituer les objets d’art africains volés pendant la période coloniale. Toutefois, le discours et les actes de Macron et de la classe politique française restent souvent imprégnés de relents colonialistes.
La question du franc CFA en est un exemple. Le projet de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest visant à créer une monnaie commune appelée ECO ont été contrariés par la France et les pays africains du bloc de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine amené par la Côte d’Ivoire. Cette situation n’est pas sans rappeler les anciennes divisions qui prévalaient en Afrique de l’Ouest.
La redéfinition de la relation entre les États africains et la France relève d’un effort collectif. La France doit montrer sa volonté d’aller au-delà de simples déclarations et changer les modalités et la substance de ses interactions avec le continent. Les pays africains doivent affirmer et poursuivre leurs intérêts propres pour le bien de leurs populations. En agissant ensemble, les Africains peuvent orienter leurs partenariats extérieurs de manière à s’assurer que le continent en bénéficie réellement.
Mohamed M Diatta, chercheur, Rapport sur le CPS, ISS Addis-Abeba, et Gustavo de Carvalho, chercheur principal, Opérations de paix et consolidation de la paix, ISS Pretoria
Une partie de l’analyse contenue dans cet article émane des discussions d’un séminaire organisé par l’ISS et l’Ambassade de France.
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