Drones armés : la dernière menace technologique en date pour l’Afrique
Alors que les preuves de l’utilisation de drones par des terroristes et des criminels s’accumulent, les États devraient envisager de réglementer ce secteur.
Depuis quelque temps, les forces armées régulières ont recours à des drones dans les zones de combats en Afrique, comme en Éthiopie et au Mali. Mais aujourd’hui, ce sont les terroristes qui les utilisent de plus en plus, ce qui suscite une certaine panique au niveau mondial.
À la fin du mois d’octobre, le Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) tiendra une réunion spéciale en Inde sur la lutte contre l’utilisation des nouvelles technologies à des fins terroristes. Les drones ou systèmes aériens sans pilote ont été identifiés comme l’une des principales menaces terroristes par les organisateurs de la réunion. Les autres risques sont la désinformation, le recours abusif aux réseaux sociaux et les nouvelles technologies de paiement utilisées par les extrémistes violents.
Les drones sont dans l’ensemble utilisés à des fins positives, par exemple pour livrer des médicaments dans certaines régions isolées d’Afrique. Mais leur disponibilité généralisée, l’augmentation de leur portée et leur sophistication croissante en termes de charge utile (ce qu’ils peuvent transporter) entraînent une expansion de leurs applications.
Le marché des drones amateurs s’est développé rapidement. Les ventes mondiales qui étaient de 14 milliards de dollars US en 2018 passeront à 43 milliards de dollars en 2024, selon les prévisions de Drone Industry Insights. L’Afrique du Sud est le plus grand marché du continent, notamment pour l’utilisation des technologies aériennes dans les secteurs minier et agricole. C’est en raison de cette démocratisation d’une technologie relativement abordable que les drones peuvent être utilisés à des fins nuisibles, en temps de guerre comme en temps de paix.
Les drones ont été identifiés comme une menace terroriste majeure par le Conseil de sécurité des Nations unies
La guerre entre l’Ukraine et la Russie a mis en évidence l’importance du nouvel espace de combat où interviennent des drones, avec une course aux armements tant pour leur production que de leur acquisition. Mais l’achat, l’adaptation et l’utilisation des drones peuvent également servir à perturber des infrastructures essentielles telles que les aéroports, les centrales électriques et les réseaux de communication.
Alors que les gouvernements africains évaluent les risques de cyberattaques sur les infrastructures essentielles, comme sur Transnet en Afrique du Sud en 2021, ils devraient également envisager les conséquences indirectes de la prolifération des drones.
Sur le continent, à ce jour, aucune installation majeure n’a été prise pour cible par un drone. Mais il ressort de plus en plus clairement que les drones servent d’armes aux extrémistes violents et aux réseaux criminels transnationaux, soit comme outil de surveillance, soit dans le cadre de leurs opérations de renseignement et de reconnaissance. Comme ISS Today l’a précédemment signalé, des groupes armés tels qu’al-Shabaab en Somalie et des insurgés en République démocratique du Congo et au Mozambique y ont recours dans les combats.
La résolution 2617 du Conseil de sécurité de l’ONU reconnaît l’augmentation du détournement des drones dans le monde, notamment « le détournement de systèmes aériens sans pilote par des terroristes pour mener des attaques contre des infrastructures commerciales et gouvernementales à accès restreint et contre des lieux publics, ou pour les explorer ». Les membres du Conseil ont été exhortés à « trouver le bon équilibre entre la promotion des innovations » et « la prévention du détournement des drones », mais comment y parvenir ?
En Afrique, les drones sont utilisés par les terroristes à des fins de surveillance et de renseignement
Pour commencer, des recherches sont entreprises afin de comprendre comment les terroristes utilisent les drones. Le Bureau de lutte contre le terrorisme de l’ONU et le Conflict Armament Research développent un projet conjoint pour évaluer les tendances à l’échelle mondiale. Les prochaines étapes consisteront à classer les types de drones (amateurs, commerciaux, militaires, etc.) et à mettre en place un système pour les enregistrer afin d’en assurer le suivi.
Le Bureau de lutte contre le terrorisme de l’ONU a élaboré un guide de bonnes pratiques sur la protection des cibles vulnérables contre les attaques de drones, sachant que ces derniers, qu’ils soient commerciaux ou amateurs, sont progressivement utilisés comme des armes. La technologie d’impression 3D ouvre également la perspective d’une fabrication rapide de pièces détachées par des extrémistes.
Alors que des pays comme l’Afrique du Sud ne se considèrent pas forcément comme exposés à un risque d’attaque terroriste imminente, les spécialistes du secteur s’inquiètent du terrorisme économique, c’est-à-dire de la déstabilisation des services publics essentiels ou d’autres services de l’État.
Kim James, membre exécutif de l’Association des exploitants de drones commerciaux de l’Afrique australe (Commercial Unmanned Aircraft Association of Southern Africa, CUAASA), confirme que les groupes criminels utilisent des « narco-drones » en Afrique du Sud pour la reconnaissance de base et la distribution de drogues. On a pu constater qu’une stratégie similaire était employée en Colombie, dans le but d’échapper aux mesures de sécurité aux frontières. La perspective d’une utilisation des drones pour cibler, par exemple, des véhicules de transport de fonds est à envisager.
Une réglementation plus stricte permettra de détecter rapidement les utilisations nuisibles des drones
Si une réglementation plus stricte n’empêchera pas nécessairement les utilisations nuisibles de la technologie des drones, elle peut fournir des signes d’alerte précoce. Une réglementation plus stricte pourrait permettre, par exemple, de localiser les drones suspects ou de signaler la livraison d’achats groupés de drones amateurs à proximité de cibles potentielles. C’est ce qui s’est produit en Irak et en Syrie en 2016, lorsque d’importants lots de drones amateurs ont été livrés en Turquie, puis ont traversé la frontière par la route.
Comme l’a fait remarquer Audrey Kurth Cronin dans son livre Power to the People: How Open Technological Innovation is Arming Tomorrow’s Terrorists : « Le type de drone le plus couramment utilisé par l’État islamique est le DJI phantom, que l’on peut acheter sur le site amazon.com pour à peine 450 dollars US ». Les décideurs politiques peuvent également envisager de procéder au contrôle des exportations de ce type de technologies à double usage.
Si une réglementation est adoptée, il faudra l’appliquer. Étant donné les vastes applications qu’offrent les drones, il faudra faire en sorte que les services gouvernementaux coordonnent leurs réponses. En Afrique du Sud, la CUAASA élabore des propositions avec le ministère du Développement économique pour mettre en place un processus d’enregistrement et d’accréditation qui protège le public sans nuire aux entreprises.
Le secteur privé développe également des solutions techniques et des alertes, notamment sur l’identification des drones potentiellement dangereux, en se concentrant sur les grandes installations telles que les mines, les oléoducs, les prisons, les aéroports, etc. Cela soulève la question de savoir qui est légalement autorisé à intercepter un drone, ainsi que celle de la souveraineté des États et du droit international.
La réunion du Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité de l’ONU de ce mois-ci devra faire preuve de prudence afin de ne pas entraver l’utilisation légitime des drones, qui apporte des changements majeurs au commerce, à l’agriculture, à l’aide humanitaire et à la médecine en Afrique. Dans le même temps, le continent entier constitue un environnement vulnérable, au sein duquel tant les militaires que les insurgés peuvent tester et utiliser des drones armés.
Karen Allen, consultante, ISS Pretoria
Image : © geospatialworld.net
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