Des options pour relancer la coopération sécuritaire au Sahel ?

Le manque de financement, la redéfinition des alliances stratégiques et le retrait du Mali du G5 Sahel imposent de repenser le dispositif militaire.

Le Sahel connaît des bouleversements politiques et sécuritaires importants. Au Mali, au Tchad et au Burkina Faso, une série de changements inconstitutionnels de gouvernement a été enregistrée sur fond d’une insécurité persistante avec une extension progressive de l’extrémisme violent vers les pays côtiers.

La Force conjointe du G5 Sahel avait été mise en place en 2017 pour lutter contre le terrorisme, le trafic de drogue et la traite d'êtres humains dans la région. Son objectif était de favoriser la coopération régionale et de faire face aux menaces sécuritaires dans ses pays membres, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.

Le 16 novembre, le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) débattra de la force conjointe, qui est confrontée à divers problèmes, notamment le besoin d'un financement pérenne et de capacités supplémentaires. Elle s'efforce également de maintenir son indépendance par rapport aux influences extérieures. À cela est venue s’ajouter la difficulté de rester efficace sur le plan opérationnel sans la participation du Mali.

Le 16 mai, le gouvernement de transition du Mali, dénonçant l'opposition de certains pays du G5 Sahel de le voir assurer la présidence de l'organisation, s'était retiré du G5 Sahel. Les tensions politiques entre les autorités françaises et maliennes se sont intensifiées après que la France a critiqué la décision du Mali de coopérer avec les paramilitaires russes contre les groupes extrémistes violents. Cela a entraîné le départ des forces françaises Barkhane et Takuba du Mali.

Pour être efficace sur le terrain et garantir la protection des civils, la capacité de la force doit être considérablement améliorée

Le Niger, confronté aux menaces des groupes extrémistes le long de sa frontière avec le Mali, a commencé à renforcer sa garde nationale avec une composante nomade. Les autorités burkinabè, arrivées au pouvoir après le coup d'État du 30 septembre, prévoient d'armer les civils dans le cadre de l'initiative des Volontaires pour la défense de la patrie.

La discussion au Conseil de sécurité des Nations unies intervient deux mois après la réunion des ministres de la défense et des chefs d'état-major des pays du G5 Sahel, qui s'est tenue les 21 et 22 septembre à Niamey, la capitale du Niger. La réunion a débattu d'une nouvelle stratégie pour la force après le retrait du Mali.

Il a été convenu de réviser son concept d’opérations, de supprimer les trois zones d'opération appelées « fuseaux », compte tenu de la discontinuité créée par le retrait du Mali, et de rapprocher le poste de commandement interarmées du théâtre de la zone d'opérations. Il a également été décidé que le G5 soutienne les opérations militaires bilatérales et multilatérales de ses pays membres.

Ces décisions transformeraient la force conjointe en une force d'intervention antiterroriste qui pourrait mener des opérations dans l'ensemble des pays composant le G5. Actuellement, sa portée est limitée aux opérations militaires transfrontalières.

Le défi consiste toutefois à formaliser ces décisions et à résoudre l'épineuse question du financement sur la durée, qui a toujours constitué un obstacle majeur à la pleine opérationnalisation de la force. Pour être efficace sur le terrain et garantir la protection des civils, les capacités de la force doivent aussi être considérablement améliorées.

Des initiatives bilatérales de sécurité se matérialisent déjà pour pallier l’inefficacité de la FC-G5S

À cet égard, le G5 Sahel, comme toutes les autres initiatives africaines de paix et de sécurité, a besoin du soutien des partenaires extérieurs. Mais, il doit veiller à préserver son indépendance des influences de ces partenaires.

L'autre grande question est de savoir comment la force conjointe peut subsister sans le Mali, pays pivot et épicentre de l'insécurité. Le retrait du Mali crée de fait une rupture géographique dans l’espace de la FC-G5S.

Les membres du Conseil de sécurité devraient réfléchir à la meilleure approche pour relancer cette coopération sécuritaire à la lumière de ces défis. Des initiatives bilatérales de sécurité se matérialisent déjà pour pallier l’inefficacité de la FC-G5S.

Lors d'une réunion à Ouagadougou en août 2022, les ministres de la défense du Burkina Faso et du Niger ont réaffirmé l'engagement de leurs pays à renforcer et à dynamiser leur coopération militaire. Un accord a été signé pour encourager les opérations conjointes dans la bande frontalière entre les deux pays, où l'opération militaire « Taanli 3 » a eu lieu en avril 2022. Les deux ministres ont lancé un appel au Mali pour qu'il se joigne à leur partenariat contre l'insécurité dans la région tri-frontalière du Liptako-Gourma. Pour l'instant, le Mali n'a pas réagi officiellement à cet appel.

La coopération militaire entre les pays du Sahel central doit se construire sans l’ingérence des partenaires extérieurs

L'ancien président de transition burkinabé, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, s'est rendu au Mali et au Niger les 3 et 11 septembre. Il avait espéré impulser une nouvelle réponse militaire commune, basée sur la mutualisation des moyens, le partage de renseignements et la conduite d’opérations conjointes pour combattre les djihadistes aux frontières communes entre les trois pays.

Le coup d'État militaire au Burkina en septembre dernier n'a pas changé cette dynamique. Le 2 novembre, le capitaine Ibrahim Traoré, le nouveau dirigeant de transition du Burkina Faso, s'est rendu à Bamako pour consolider les relations avec le Mali et pour améliorer la coopération opérationnelle entre les armées burkinabé et malienne. Il devrait faire de même avec le Niger.

L'impératif pour ces pays est d'endiguer la montée et l'expansion de la menace terroriste, les activités illicites et des tensions entre les communautés dans la zone des trois frontières. Les autorités burkinabè, nigériennes et maliennes admettent l'intérêt de mettre en commun leurs moyens militaires pour éviter que cet espace central ne devienne un sanctuaire pour les terroristes et les trafiquants.

Les évolutions récentes suggèrent une reconfiguration militaire dans la région. Elle pourrait suivre le format de la force multinationale que l'Autorité du Liptako-Gourma avait proposée en 2017, comprenant le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Le projet ne s'est jamais concrétisé, car il avait été absorbé par la Force conjointe du G5 Sahel, lancée peu après. Si le Mali devait réintégrer le G5 Sahel, le concept d’opérations révisé de la force conjointe pourrait diriger l'essentiel de ses effectifs vers la zone du Liptako-Gourma.

Pour être efficace, la coopération militaire entre les pays du Sahel central doit se construire sans l'ingérence de partenaires extérieurs, dont le champ d'action devrait être limité au soutien sollicité par les pays concernés.

Pour répondre durablement à l’insécurité dans le Sahel, les solutions apportées doivent garantir un meilleur financement des opérations militaires dans cette région. L’accent devrait également être mis sur la coordination entre les opérations militaires et les interventions en matière de gouvernance et de développement qui s'attaquent aux causes profondes de l'extrémisme violent qui déstabilise la région.

Hassane Koné, chercheur principal, Programme Sahel, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le bassin du Sahel et le lac Tchad

Image : © AFP Photo / Phillippe Desmazes

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